Pénurie d’enseignants. Le tout n’est pas de savoir s’il y aura ou non un adulte devant chaque classe. L’essentiel est de savoir si cet adulte a les connaissances de base, et sait enseigner. Mais tout le monde s’en fiche, analyse notre chroniqueur.
Faisons-la courte : personne n’envisage de recruter en « job-dating » des pilotes d’avion, des chirurgiens ou des plombiers compétents. Et je ne suis pas sûr que malgré le matraquage gouvernemental, que les médias — c’est nouveau — hésitent à relayer sans critique, les Français envisagent sereinement de confier leur progéniture à des enseignants recrutés sur la base d’une Licence de n’importe quoi passée des années auparavant, après quatre jours de formation pédagogique dispensée dans les INSPE, dont on sait combien ils sont performants : et le seraient-ils, c’est une mission impossible qu’on leur confie là.
On appuie sur le quantitatif, parce qu’il est devenu impossible d’expliquer que qualitativement parlant, l’enseignement a plongé dans les abysses. « Quant à l’idée que le quantitatif est du qualitatif, elle est désormais partagée par tous les syndicats. Ils savent bien, pourtant, que les nouveaux enseignants auront été formés à la va-vite, ne maîtriseront que rarement les savoirs fondamentaux de leur discipline, et arriveront de cursus — sociologie ou psycho — qui n’ont pas grand-chose à voir avec les exigences scolaires. »
Ainsi m’exprimé-je dans mon dernier opus, le second volet de la Fabrique du crétin. Mais qui se soucie de ce que peut dire Cassandre ? Le Système a construit l’École dont il avait besoin : une masse de semi-illettrés, auxquels on fait croire qu’ils comptent en respectant leur différence et en leur inventant des pédagogies ludiques, ce qui dispense de leur apprendre la langue française des bourgeois, la grammaire des bourgeois, la culture des bourgeois ; et une petite élite, élevée dans des établissements d’élite, ou qui en ont la réputation ; au besoin, l’entre-soi de l’Ecole alsacienne, où le ministre a inscrit ses enfants (et en cela il montre clairement l’exemple : Pap Ndiaye, c’est « faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais ») remplace le haut niveau de Louis-le-Grand, Lakanal — où ce même ministre a fait ses études — ou Henri-IV, qu’il a fréquenté en classes prépas.
Quant aux parents qui ne sont pas informés et ignorent que leur collège de quartier a un niveau d’exigence très relatif, qui s’en soucie ? Les gueux apprendront à consommer leurs pizzas surgelées devant leur télévision, c’est bien assez.
Il ne viendrait à l’idée de personne de prétendre former des médecins en quatre jours — au lieu de dix ans. Ou de confier sa vie à des pilotes recrutés sur leur bonne volonté — et sous-payés, de surcroît. La compétence a un prix, qui résulte de la formation et du salaire.
L’incompétence a le sien : formation ultra-courte, et salaire indécent. « Plus aucun enseignant ne gagnera moins de 2000€ par mois en commençant à l’horizon septembre 2023 », promet le ministre. Et ta sœur, elle rase gratis ? Un enseignant débutant en 1980 gagnait 2,2 fois le SMIC. Aujourd’hui, 1,2 fois. Accepteriez-vous une baisse aussi nette de votre rémunération ? Accepteriez-vous, si vous aviez de réelles compétences, d’être recrutés en-dessous de votre valeur ? Non, bien sûr. C’est donc que les contractuels que l’on embauche ces jours-ci à tour de bras sont effectivement payés (et traités) à leur vraie valeur.
C’est la clef des polémiques (bien inutiles) actuelles. Depuis quarante ans, comme on sait, le niveau monte — et celui des profs aussi. Etape suivante, on les recrute en job dating, ce qui est à peu près aussi fiable que le speed dating pour trouver l’âme-sœur. C’est l’ubérisation de la profession.
C’est dans L’Opinion que j’ai trouvé l’analyse la plus pertinente, qui pose le problème de fond. « Le modèle de « l’enseignant à vie » ne fait plus recette. Une désaffection pour la profession synonyme d’uberisation ? » feint de se demander Marie-Amélie Lombard-Latune. Chaque année nous verrons les mêmes recrutements de dernière minute, les mêmes bras cassés mis en face d’élèves effarés. La polémique de cette fin d’été est un marronnier en devenir.
Mais rassurez-vous, les établissements d’élite, privés ou publics, ont de bons maîtres. Comme ils sont tout en haut de la hiérarchie, ils ne sont accessibles qu’à des maîtres chevronnés. Pas à des débutants inexpérimentés.
Que les syndicats persistent à réclamer « des postes » sur l’air des lampions, témoigne de leur incompréhension (volontaire ou non) devant la dégradation du système. Ou plutôt, devant le changement de paradigme du système, qui ne vise plus du tout, comme sous les IIIe et IVe Républiques, à amener chaque élève au plus haut de ses capacités, mais à perpétuer l’oligarchie au pouvoir.
Mais je ne doute pas que les syndicalistes, les pédagogues, et l’ensemble des enseignants, très au fait de ce qui se passe, n’intriguent pour inscrire leurs enfants dans des établissements d’excellence. Les résistances opposées à Paris au nouvel Affelnet, qui vise à rétablir plus de mixité sociale dans les lycées de la capitale, témoignent du choc que la mise en place de la réforme fait subir aux positions bien établies de l’establishment.
Nous n’amenderons pas le système, parce qu’il faut changer de système. Le libéralisme s’est construit l’École qui lui convient, qui fabrique des consommateurs à obsolescence programmée, pour des produits du même type. Comme disait Laclos, deux ans après avoir écrit les Liaisons dangereuses : « Apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. » C’était en 1784. Cinq ans plus tard…
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