Accueil Édition Abonné Ainsi naquit « Reconquête »

Ainsi naquit « Reconquête »

Reportage au premier meeting d'Eric Zemmour


Ainsi naquit « Reconquête »
Meeting politique d'Eric Zemmour à Villepinte (93), 5 décembre 2021 © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22631784_000018

Paroles de militants de Zemmour recueillies dans les allées de Villepinte dimanche


Villepinte a vu débarquer hier beaucoup d’endimanchés, pas tous habitués au département de la Seine-Saint-Denis. Pas moins de 12 000 citoyens réunis dans un hangar ! « Il y a eu des menaces venues de l’extrême-gauche. Personnellement, je n’ai pas envie de me laisser intimider. J’admire d’abord Éric Zemmour pour son cran », assure Bénédicte, Parisienne et professeur de Lettres classiques à la retraite. Elle a découvert le chroniqueur « en en entendant parler à son club de bridge ». À Lille, en octobre, le candidat virtuel était encore écouté comme chroniqueur politique et écrivain. Changement de ton à Villepinte ce 5 décembre : Éric Zemmour annonçait la création de son parti politique et entendait relancer une candidature que des observateurs disent embourbée à cause de polémiques à répétition. 

Des militants aguerris côtoyaient encore de parfaits novices. 

Adam-Abdenour et Thomas, tous deux étudiants de 19 ans, s’amusent de la polémique des prénoms. Pour Adam, sa mère qui lui a donné un prénom conforme à ses origines et un prénom du calendrier avait « 20 ans d’avance sur le Z » !
Philippe, jeune actif travaillant dans la finance file la métaphore biblique et voit Zemmour en prophète mais pas encore en « roi ». Valérie à côté de lui est une « vieille militante » de la droite nationale et se dit aujourd’hui surprise par l’ampleur du mouvement…

Pas un homme politique comme les autres

« C’est la première fois que je viens dans une réunion publique. Je ne serais jamais allé écouter un homme politique. Eric Zemmour, c’est autre chose », explique Lucien, un cadre commercial venu tout spécialement d’Amiens. D’ailleurs, il « n’exclu[t] pas de s’engager dans son nouveau parti ». Un groupe de quatre retraités m’attend à la buvette. Ils se présentent comme « militants de tous les partis de droite et de toutes les causes depuis les années 1970 », leur engagement est motivé par « haine du communisme ». Ce motif d’indignation peut sembler désuet, mais François, 61 ans, assure que le « wokisme n’est qu’un produit dérivé du trotskysme qui utilise les identités pour créer des clivages et détruire la communauté nationale. C’est une vieille technique de subversion ! » S’ils se disent revenus de tous les combats perdus de la cause nationale, l’ampleur du mouvement surprend ces vieux briscards. « Nous étions quelques centaines dans les années 70, je me rappelle avoir milité pour Jean-Marie Le Pen en 1974 pour faire moins de 1%, mais là, c’est différent, on voit la jeunesse, beaucoup de gens ordinaires, pas uniquement des militants », témoigne l’un d’entre eux. « La propagande se heurte toujours au réel. C’est l’effet Pravda : il y a un moment où le discours officiel et l’idéologie ne suffisent plus et où la société décroche. Il se passe aujourd’hui ce qui s’est passé en URSS » abonde un autre. Une autre aguerrie, Valérie, qui assure être amie de Jean-Marie Le Pen et vieille militant du Front national en convient : ce n’est pas la même ambiance ici que dans son ancien parti. « On a l’impression de retrouver la France d’il y a trente ans, avec des jeunes bien élevés et BCBG, alors qu’on voyait surtout au Front des anciens militaires et des vieux. » 

A lire aussi: Comment gâcher son dimanche?

Les jeunes, en effet, on les trouve sans soucis dans les allées de Villepinte. Adam-Abdenour a 19 ans et est étudiant : « Cette histoire de prénoms m’a beaucoup fait rire, car ma mère a fait ce que Zemmour a fait il y a 20 ans en me donnant un prénom correspondant à mes origines et un autre plutôt d’ici. Je suis heureux d’avoir un prénom double, même si je n’en ai pas toujours compris l’intérêt, étant enfant. » Dans son discours, Éric Zemmour sera très applaudi lorsqu’il « tend la main aux musulmans qui veulent devenir nos frères », à qui il propose « l’assimilation », ce chemin « exigeant » que « les Maliens, les Marocains, les Turcs et les Algériens » sont invités à prendre à la suite « des Italiens, des Espagnols et des Polonais ». 

Entre admiration et choix idéologique assumé 

À l’entrée du Parc des Expositions, des militants d’Action Française vendent leur journal. Leur chef Francis Venciton s’amuse : « Zemmour cite souvent Jacques Bainville [historien de l’Action Française et référence principale d’Eric Zemmour NLDR], alors autant aller directement aux sources ! » Il juge Zemmour « utile » mais n’attend pas nécessairement l’homme providentiel. « Comme le dit la Bible, il y a des prêtres, des prophètes et des rois. Zemmour pour l’instant est prophète, on attend qu’il puisse être roi » explique Philippe, 24 ans, qui travaille dans le secteur financier. « Je ne sais pas si c’est vraiment l’homme providentiel, on peine encore à le voir en homme d’État », explique-t-il pour signifier que son adhésion est pour le moment avant tout intellectuelle. 

Francis Venciton et Robin de la section d’Arras vendent les publications de l’Action Française alors qu’Eric Zemmour cite sans cesse Jacques Bainville qui fut une figure du mouvement.

Alors, pour convaincre ces récalcitrants, depuis la tribune, l’essayiste et ancien député européen Paul-Marie Coûteaux lance : « Zemmour ne sera jamais un homme politique. Il sera un homme d’État ». La salle applaudit. Certaines références sont pourtant érudites – presque exotiques dans un meeting politique – notamment quand il invoque Ernst Kantorowicz et son essai sur la théologie politique médiévale. « Zemmour doit incarner le corps immémorial et immortel de la France. Il doit n’être rien d’autre que ce que la France attend depuis un demi-siècle. Il n’est pas assez d’être Président de la République, il doit être roi de France ! » Couteaux est le chauffeur de salle numéro 1 à l’applaudimètre avec Jean-Frédéric Poisson. Son discours est enlevé, mais la salle s’impatiente et bout d’entendre parler son candidat. 

Mue d’orateur

Son arrivée est ponctuée d’incidents – on apprendra plus tard que le candidat a été agressé dans les allées – mais la salle est surchauffée. Le candidat est attendu au tournant quant à ses capacités d’orateur… Les lunettes de vue étonnent, mais le candidat se décrispe progressivement et les militants applaudissent à tout rompre certains de ses propos. Le rythme du discours est systématiquement ternaire – une allusion claire aux discours du Général de Gaulle. Alors qu’on le somme depuis plusieurs semaines de détailler un programme, Zemmour préfère énoncer des objectifs – toujours énoncés au futur, avec des verbes de résolution. 

Ses analyses sont ponctuées de propositions souvent destinées à satisfaire un public de droite précis, comme lorsqu’il évoque la transmission du patrimoine, les droits de succession ou l’allégement de la fiscalité. Mais il fait aussi la promesse d’un 13e mois pour les smicards. Zemmour parle aux ouvriers meurtris par la désindustrialisation qui ne l’ont pas encore rallié aussi bien qu’aux héritiers et aux chefs d’entreprise. « L’école libre doit rester libre », « suppression des droits de succession » : il connait son public et ménage sa droite. Ces dernières propositions sont d’ailleurs très applaudies. 

Plus politique, il fait acclamer son « ami Éric Ciotti » et huer Valérie Pécresse « héritière de Jacques Chirac ». À l’entrée, Antoine Diers, le moustachu médiatique de l’équipe de campagne de Zemmour, ne manquait pas de me rappeler qu’il est toujours à jour de cotisation chez LR, et qu’il a voté pour le député des Alpes Maritimes aux deux tours. Mais il tacle aussi son parti : « On s’apprête à faire la plus grande réunion publique de cette campagne, alors que les LR annulent leur rassemblement pour prétexte sanitaire… Sans doute par peur du ridicule, oui ! » 

Eric Zemmour parle déjà en chef de parti : les électeurs du FN doivent le rejoindre pour sortir d’un vote stérile et les électeurs de LR conjurer les trahisons de leurs chefs. À mi-discours, la citation de Bernanos est très appréciée du public et à la sortie, les mots de l’orateur sont repris dans la plupart des discussions. Dans une ambiance survoltée – malgré quelques incidents et mouvements de foule, et même si son équipe ne s’est pas totalement départie des soupçons d’amateurisme – nous avons incontestablement assisté dimanche à la naissance d’une nouvelle force centrale de la politique française. D’ailleurs le Stand Reconquête !, le nouveau parti d’Éric Zemmour, fait le plein d’adhésions quand nous quittons les lieux.




Article précédent Et si Orbán avait raison?
Article suivant Oyez oyez, braves gens! La plainte déchirante de Marine Le Pen

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération