Quel est le point commun entre l’adultère, les yaourts, la recherche contre la lèpre et les voyages low-cost ? Réponse : la publicité. Les Parisiens ont l’habitude : en prenant le métro pour aller au bureau, on peut aussi bien tomber sur un appel à envoyer son fric en Afrique, via Western Union, que sur un encouragement à sauver les toutous abandonnés, en donnant à la fondation Bardot. Et jusqu’ici, qu’il s’agisse du Secours islamique ou catholique, la RATP avait une interprétation scrupuleuse du principe de neutralité du service public, et donc de l’exigence républicaine de laïcité. Tant mieux. Après tout, l’argent n’a pas d’odeur et le pass Navigo est déjà bien assez cher comme ça.
Aussi, le refus par la régie publique de mentionner qu’un concert du groupe « Les Prêtres » était organisé au profit des chrétiens d’Orient a de quoi laisser sans voix tous les Petits chanteurs à la Croix de bois. Logiquement, sur les réseaux sociaux, la RATP a dû faire face à la colère et à l’incompréhension de milliers d’usagers outrés, aussitôt rebaptisés « cathos réacs » par l’increvable Libération. Mais bon Dieu, en quoi était-il progressiste de censurer un message aussi inoffensif ?
Sans doute en hommage au poisson, symbole des premiers chrétiens, la société de transports a répondu par un communiqué diffusé le 1er avril. Et en effet, il y aurait de quoi pleurer de rire si l’actualité du Moyen-Orient ne prêtait pas plutôt à pleurer tout court. Des centaines de milliers de personnes sont persécutées au nom de leur foi par l’Etat Islamique et ses cousins, mais la RATP considère que le faire savoir « ouvrirait la brèche à des prises de positions antagonistes sur notre territoire au nom de la défense de nombreuses communautés pouvant être en situation de conflit ».
Après vérification, il ne s’agit pas d’un poisson d’avril. Citant l’article 10 de la convention qui lie la RATP à sa régie Métrobus, le communiqué indique que la société de transport ne saurait « prendre parti dans un conflit de quelque nature qu’il soit ». Suivons le raisonnement : entre « un certain nombre de minorités » – au hasard, d’innocents civils chrétiens pacifiques – et les hordes d’islamistes armés qui les crucifient ou les décapitent, il n’y aurait pour la RATP que deux communautés en conflit. Comme Charlie Hebdo et al-Qaïda, sans doute…
En revanche, appeler à venir en aide aux victimes de ce « conflit » – à ne surtout pas confondre avec un génocide, attention – représenterait un risque de trouble à l’ordre public « sur notre territoire », par les défenseurs de ces deux « communautés ». A savoir : les chrétiens, sans doute, et qui d’autre ? La communauté des défenseurs de l’Etat islamique ? Dans ce cas, puisqu’elle tient tant à garantir l’ordre public, on aimerait beaucoup que la RATP transmette au plus vite l’adresse de cette mystérieuse organisation à la DCRI.
[Mise à jour 03/04/2015, 11h50]
Valérie Pécresse (UMP) a demandé vendredi à Ségolène Royal d’intervenir comme ministre des Transports auprès de la RATP afin que l’affiche des Prêtres puisse arborer la mention « au bénéfice des chrétiens d’Orient ».
Administrateur du Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF) et présidente du groupe d’études sur les chrétiens d’Orient de l’Assemblée Nationale, Mme Pécresse « interpelle solennellement Ségolène Royal, ministre des transports, afin qu’elle intervienne en tant qu’autorité de tutelle de la RATP pour que celle-ci revienne sur cette décision choquante », selon un communiqué.
La députée des Yvelines demande aussi au président de la RATP de reconsidérer cette décision « qui s’apparente à une censure » et « s’indigne » des explications avancées.
« Le terme +chrétiens d’Orient+ regroupe différentes minorités qui font aujourd’hui l’objet d’une destruction systématique et programmée par l’organisation terroriste de Daech », a souligné Mme Pécresse, pour qui « il ne s’agit donc pas d’une cause religieuse mais humanitaire ».
[Mise à jour 04/04/2015]
Même son de cloche au Parti socialiste, où Jean-Christophe Cambadélis, « appelle solennellement la RATP à revenir sur cette décision » par un communiqué publié samedi matin.
[Mise à jour 06/04/2015, 16h45]
Le secrétaire d’Etat aux transports Alain Vidalies a indiqué lundi que le gouvernement attendait « la décision judiciaire » face au refus de la RATP d’accepter la mention « au bénéfice des chrétiens d’Orient » sur les affiches pour un concert de « Les prêtres » prévues dans le métro.
M. Vidalies, qui exerce la tutelle de l’entreprise de transports, a précisé au quotidien Le Monde avoir fait intervenir sa directrice de cabinet auprès de la RATP pour que sa régie publicitaire, Metrobus, revienne sur sa décision.
Pour le secrétaire d’Etat, « cela n’a aucun sens » d’opposer le principe de neutralité aux organisateurs d’un événement qui vise à prendre la défense de « victimes de la barbarie ».
Il explique avoir « fait valoir cet argument ». Mais devant le refus de la RATP, il précise qu' »à ce stade, le gouvernement attend la décision judiciaire ».
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