Accueil Édition Abonné Les clés d’un scrutin historique: vers une majorité absolue du RN?

Les clés d’un scrutin historique: vers une majorité absolue du RN?


Les clés d’un scrutin historique: vers une majorité absolue du RN?
Eric Ciotti (LR) et Marine Le Pen (RN), hier, à Paris © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Si les sondeurs se refusent à considérer la victoire avec une majorité absolue du bloc de droite dirigé par Jordan Bardella comme la plus probable, le scénario n’est plus écarté. Mais où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? L’abstention différentielle: voilà la principale clé des élections législatives anticipées.


Le Rassemblement national caracole désormais plus que jamais en tête des sondages. Il n’a jamais été aussi fort dans la vie politique française que ces dernières semaines. Tous les jours, les « rollings » IFOP, Harris ou Odoxa font montre d’une progression légère mais bien réelle du bloc de la droite, qui, après une première semaine post-dissolution de recomposition politique des droites au forceps, avance derrière le rouleau-compresseur Bardella. Un demi-point par-ci, un demi-point par-là, et voilà l’union des droites menée par le Rassemblement national à 37 % au premier tour1. L’arrivée de Marion Maréchal et des principaux cadres Reconquête aura mécaniquement accordé quelques centaines de milliers de précieuses voix à cette Union des droites, ainsi que celle de l’aile ciottiste des Républicains. De quoi d’ailleurs rappeler la fameuse « vague bleue » de 1993 qui avait conduit Edouard Balladur à Matignon et provoqué la seconde cohabitation de François Mitterrand.

Pour autant, la victoire avec une majorité absolue de plus de 289 députés est-elle d’ores et déjà assurée ? Les élections législatives ne sont pas un scrutin à la proportionnelle mais l’addition de 577 scrutins majoritaires présentant de plus ou moins forts particularismes locaux. Elles sont donc extrêmement difficiles à pronostiquer. Nous pouvons néanmoins dès maintenant observer des tendances lourdes. Analyse et hypothèses.

Le score aux européennes du Rassemblement national est une anomalie sous la Vème République

L’ampleur de la victoire du Rassemblement national aux élections européennes fait figure d’anomalie dans l’histoire des élections sous la Vème République. Un petit exemple permettra de l’illustrer. A l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a recueilli 8.133.828 voix pour 23,15% des suffrages exprimés… soit à peine un peu plus que le score de la liste dirigée par Jordan Bardella en juin qui a enregistré 7.765.936 voix pour 31,37% des suffrages exprimés. Le résultat est colossal, historique. En effet, les deux élections présentaient des enjeux fort différents et une baisse d’un million de voix aurait été parfaitement logique. La capacité du Rassemblement national à mobiliser son électorat d’une élection sur l’autre s’explique par un dicton populaire : l’appétit vient en mangeant.

De fait, les élections législatives de 2022 ont montré aux électeurs de Marine Le Pen de la présidentielle qu’ils pouvaient gagner des scrutins majoritaires à deux tours dans un contexte hostile et avec alors peu de réserves de voix. Après plusieurs décennies de frustration et une domination peu payante sur la vie politique française depuis 2012 – malgré la prise de mairies sous le quinquennat Hollande et des résultats impressionnants aux européennes, aux régionales et aux cantonales de 2014-2015 -, les électeurs du Rassemblement national ont saisi l’opportunité offerte par un pouvoir de plus en plus impopulaire qui avait pris soin de les exclure de la prise de décision. C’est ainsi qu’il faut interpréter leur civisme nouveau. Autre raison : cet électorat a vieilli, s’est transformé sociologiquement. Il pèse désormais presque autant que la majorité présidentielle dans les segments âgés et chez les femmes, deux catégories civiques qui vont voter et subissent pleinement l’insécurité physique comme matérielle propre à notre société actuelle.

En outre, le parti Reconquête a perdu des électeurs entre 2022 et 2024. En 2022, Zemmour réunissait sous son nom 2.485.226 Français alors que la liste conduite par Marion Maréchal en 2024 n’a compté que sur 1.353.127 électeurs. Il est probable que ces 1.132.099 électeurs de Reconquête perdus se soient reportés en grand nombre sur Jordan Bardella, renforçant un peu plus cette domination qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron. Songeons que le Rassemblement national n’a perdu aux européennes que 3,8% de ses voix du premier tour de la présidentielle, c’est en réalité à analyser comme un gain2. Il y a néanmoins de fortes disparités régionales, parfois étonnantes du reste. Ainsi, la plus grosse hausse a été enregistrée à Paris, avec +19% de voix. Ce ne sont pas des circonscriptions gagnables. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la formation de Marine Le Pen a perdu 15% de ses électeurs. Contre-intuitif ? Pas vraiment si l’on considère que l’électorat comme la répartition territoriale du Rassemblement national sont en train de s’homogénéiser, transformant un parti autrefois placé en marge et sectorisé en mouvement de masse.

En dehors des îlots urbains, le Rassemblement national arrive en tête dans tous les départements métropolitains. Il progresse et s’installe peut-être pour longtemps dans des endroits qui lui furent longtemps hostiles : le Centre, la Bourgogne, l’axe garonnais, le nord-est jusqu’à la Lorraine,  une partie de l’ancienne région Rhône-Alpes, la grande couronne parisienne ou encore la Haute-Normandie. Au deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen avait devancé Emmanuel Macron dans 158 circonscriptions. Ses candidats n’avaient finalement réussi à garder cet avantage « que » dans 88 d’entre elles. Il est fort à parier qu’hors exceptions, à l’image de la Corse qui envoie des régionalistes à l’Assemblée, le Rassemblement national puisse déjà compter sur cette base pour le 7 juillet prochain. Quid du reliquat d’environ 130 circonscriptions manquantes pour entrer à Matignon ?

Le centre a-t-il disparu ?

La question mériterait presque d’être reformulée : le macronisme a-t-il disparu ? Les électeurs de Macron forment le bloc central mais ils ne sont pas uniquement des centristes « historiques » ou chimiquement purs. Il y  a parmi eux un fort électorat des Républicains traditionnels et du Parti socialiste « strauss-khanien » et vallsiste disparu. En 2022, au premier tour de la présidentielle, 9.783.058 électeurs votaient pour Emmanuel Macron, soit 1.649.230 Français de plus que ceux qui s’étaient prononcés pour Marine Le Pen. Une différence non négligeable. En ajoutant à Emmanuel Macron les électeurs de Valérie Pécresse et Anne Hidalgo et à Marine Le Pen ceux d’Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, les choses se rééquilibraient un peu mais l’avantage restait au président de la République. Au second tour, la chose était encore plus saillante avec 18.738.639 voix pour Emmanuel Macron contre 13.288.686 voix pour Marine Le Pen. 

D’où la question qui sera la clé du scrutin des législatives : où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? Valérie Hayer a enregistré 3.614.646 voix aux européennes, soit 6.168.646 voix de moins qu’Emmanuel Macron ! Raphaël Glucksmann a lui fait 3.424.216 voix, mais ses électeurs étaient loin d’avoir tous voté pour Emmanuel Macron en 2022, quelques-uns avaient choisi Hidalgo et d’autres étaient sûrement des déçus de Jean-Luc Mélenchon. Il est aussi possible qu’une petite proportion des électeurs macronistes ait voté pour Bellamy et que d’autres se soient reportés sur Jordan Bardella. Reste néanmoins un constat inévitable : lors des élections européennes, l’abstention différentielle a été extrêmement défavorable au camp présidentiel et très favorable au Rassemblement national.

Pourquoi ? Parce que le « macronisme » est grippé et a fini par lasser ses soutiens. Ses électeurs ont tout simplement trouvé les deux premières années de mandat confuses, voire chaotiques. Réforme des retraites, loi immigration ou émeutes ont perturbé un « centre » qui n’a plus su où donner de la tête. Le virage à gauche du début de quinquennat a déçu les plus droitiers, la tentative d’évolution à droite avec la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre a été perçue comme trop timorée à droite et presque « facho » par une gauche largement portée aux extrêmes.

Les élections législatives ne sont toutefois pas des élections européennes. L’enjeu y est différent. Il est toujours possible que ces millions d’électeurs disparus comme par magie reviennent aux urnes par « peur » du Front Populaire ou du Rassemblement national. Faute de quoi, le macronisme disparaitra de facto.

Le tsunami bleu marine ou le barrage multicolore ?

En 2021, j’écrivais dans Le Figaro Vox la chose suivante : « Il n’est pas dit que nous redeviendrons ce que nous fûmes sans un aggiornamento radical de nos pratiques politiques. La classe politique est à l’image de ses institutions ; déphasée. Le résultat est là sous nos yeux. La population est défiante, menaçant de se scinder en micro-communautés. En perdant des libertés, nous ne préservons pas la liberté: nous maintenons collectivement la résilience d’un Etat qui se perd et qui nous perd. L’état d’urgence démocratique implique de profonds bouleversements. Les lois d’exception ne peuvent plus être la norme. Le président ne doit pas pouvoir faire ce qu’il veut sans en référer à la représentation nationale. La représentation nationale doit nécessairement être pluraliste, ce qui s’accompagne d’une modification du mode de scrutin. Les députés à l’Assemblée nationale doivent donc être élus à la proportionnelle pour tenir compte de la diversité politique du pays. »

Faute d’avoir compris dès 2017, comme le lui suggérait François Bayrou, que la dissolution du PS et de LR demandait l’instauration de la proportionnelle, et faute d’avoir pris sérieusement en considération les thèmes portés par le Rassemblement national et des thèmes transversaux – tels que les libertés publiques ou la justice sociale entre les territoires -, Emmanuel Macron risque de plonger la France dans l’instabilité gouvernementale. Il aura eu tous les effets en pire des mesures politiques qu’il se refusait à prendre par peur des vieux marquisats de la politique locale et du peuple. Il est assez incroyable de l’entendre aujourd’hui agiter le risque d’une guerre civile alors qu’il a lui-même voulu la dissolution et que rien ne l’obligeait. Si on suit son raisonnement, Emmanuel Macron a mis sciemment les Français en danger. Il est aussi ahurissant de voir ces ministres battre la campagne … sur les pavés parisiens ou par visio-conférence auprès des Français de l’étranger, négligeant totalement la France de l’intérieur qui leur a envoyé de multiples messages au fil des ans.

Est-ce que les sortants Renaissance sont capables de se maintenir au second tour dans plus de 250 ou 300 circonscriptions pour bricoler une majorité à la sortie ? Rien n’est moins sûr tant ils sont peu aidés par leurs meneurs, bien que la chose soit encore réalisable. S’ils n’y parviennent pas, le Rassemblement national pourrait être porté et emprunter une autoroute vers la majorité absolue. La réponse à l’énigme posée par la dissolution se trouve entre les mains des disparus du macronisme de 2022. Elle se trouve aussi dans l’attitude respective des appareils et des électeurs de gauche et du centre. La droite fera bloc de son côté. Réponse définitive le 7 juillet.


  1. Dans son enquête réalisée en ligne du 19 au 20 juin 2024, Harris Interactive, Challenges, M6 et RTL donnent 33% d’intentions de vote aux candidats soutenus par le RN et 4% aux candidats soutenus par Eric Ciotti ↩︎
  2. 3,8 % de pertes de voix entre un premier tout de présidentielle et une européenne (le score de Bardella aux européennes a été soustrait à celui de Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2022, puis une règle de trois a été appliquée) est à analyser comme un gain de voix puisque la présidentielle T1 est toujours le potentiel maximal d’une formation politique compte tenu de l’enjeu et de la participation. En outre, le nombre total de suffrages exprimés aux européennes était évidemment plus bas qu’au premier tour de la dernière élection présidentielle. ↩︎



Article précédent Interdiction des portables en classe: Jordan Bardella et Emmanuel Macron sur la même ligne
Article suivant La Lettre aux Français de Macron: comme une bouteille à la mer…
Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération