Les élections législatives accouchent au forceps d’une nouvelle carte politique. L’hypocrite «front républicain» semblera bientôt très loin. Analyses.
Historique. Le mot n’est pas trop fort pour définir ce second tour des élections législatives qui s’est tenu le 17 juin. Alors que certains commentateurs politiques attendaient un triomphe de la Nupes, le fait le plus notable fut l’arrivée de 89 députés du Rassemblement national. Un chiffre inattendu qui consacre une nouvelle Assemblée nationale, bien plus représentative de la diversité d’opinion des Français que celles qui l’ont précédée.
Un décalage démocratique enfin corrigé
Qui pouvait imaginer, à peine six mois en arrière, que le Rassemblement national et Marine Le Pen sortiraient grands gagnants des élections législatives ? En multipliant par dix le nombre de députés dont il dispose, le Rassemblement national impose dans les institutions ce qui était une réalité politique dans la population. De fait, il devenait urgent qu’un parti capable de réunir plus de 13 000 000 de votants au second tour de l’élection présidentielle ait sa juste part dans la représentation nationale.
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La France souffrait d’un décalage démocratique qui produisait de la défiance et de l’éloignement entre une part des électeurs et le fonctionnement de la Vème République. Proche du président de la République, François Bayrou ne cessait de le répéter, affirmant que le fait majoritaire était devenu un anachronisme dans le monde occidental avec la disparition du traditionnel bipartisme à la française, réclamant sans succès l’instauration d’un mode de scrutin à la proportionnelle. Cela n’a finalement pas été nécessaire. Depuis l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen s’est donné les moyens de faire progresser sa formation politique, en dépit de quelques crises de croissance. Son travail a payé. Elle a aussi su intelligemment profiter d’une configuration politique qui s’est avérée avantageuse lors des seconds tours du 17 juin.
La cristallisation des trois blocs
La division du champ politique en trois blocs sensiblement équivalents sur le plan numérique se confirme. Pour certains, ces trois blocs n’en forment en réalité que deux : un bloc populaire et un bloc élitaire. Expressions auxquelles on pourrait préférer celles de bloc réformiste (LREM poursuivant au sein d’une seule entité la tradition réformiste du PS et de LR) et de bloc de rupture. Cependant, ce bloc de rupture apparaît comme profondément fracturé entre une aile gauche empruntant beaucoup plus à la tradition d’extrême-gauche qu’à la gauche plurielle de Jospin et une aile souveraino-populiste penchant à droite, cherchant de plus en plus à s’institutionnaliser. Une stratégie d’ailleurs payante comme nous le verrons plus loin, sa diabolisation étant aujourd’hui réduite à la portion congrue et le cordon sanitaire qui l’entourait naguère quasiment disparu.
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Ces trois blocs dont le plus central possède toujours une petite longueur d’avance par le fait majoritaire correspondent à des géographies électorales de plus en plus précises. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cartes des circonscriptions par couleurs politiques. Ainsi, le littoral méditerranéen et une grande partie du nord / nord-est de la France sont devenus la chasse gardée du Rassemblement national qui réussit, pour la première fois de son histoire, à emporter entièrement les deux départements méridionaux de l’Aude et des Pyrénées-Orientales. Le Vaucluse et le Var ne sont pas non plus passés loin du carton plein, confirmant que la sociologie sudiste est un terrain très favorable pour le parti de Marine Le Pen. Personne ne s’attendait toutefois à telles performances. Le tracé de la Garonne confirme aussi sa progression avec des victoires dans le Tarn-et-Garonne, le Tarn et plusieurs en Gironde. Sans compter une percée dans le centre de la France ou encore la Bourgogne, sous la tutelle du médiatique Julien Odoul.
La France qui vote Rassemblement national est donc populaire et plutôt éloignée des métropoles, comme nous avions pu le noter lors du second tour des élections présidentielles, où Marine Le Pen était arrivée en tête dans un grand nombre de circonscriptions rurales et périurbaines. La Nupes, de l’autre côté, conforte son assise dans les métropoles et les banlieues, emportant notamment toutes les circonscriptions de la Seine-Saint-Denis et l’Est parisien. Elle est aussi bien implantée dans certaines zones rurales spécifiques, au sud-ouest de la France, dans la Haute-Vienne, la Creuse ou encore la Drôme. Quant à La République en Marche, elle confirme sa bonne implantation dans le grand-ouest et l’ouest parisien, ne trouvant sur sa route les Républicains que dans le Massif-Central tenu d’une main de fer par Laurent Wauquiez, qui aura peut-être un jour une carte à jouer, et dans ses bastions traditionnels du nord-est (Moselle, Vosges, Haute-Marne, etc).
Des duels inédits qui ont avantagé le Rassemblement National
S’il était logiquement attendu que le « front républicain » n’allait pas fonctionner aussi facilement qu’autrefois dans les duels opposant les candidats d’Ensemble à ceux du Rassemblement national, l’électorat de gauche ayant déjà manifesté son rejet des politiques menées par Emmanuel Macron, il était en revanche difficile de prévoir l’attitude qu’allaient adopter les électeurs du bloc réformiste lors des oppositions de style entre la Nupes et le Rassemblement national. Nous avons, en la matière, reçu de précieux enseignements pour les années politiques à venir en France. De toute évidence, il y a eu un « front républicain » inversé favorable au Rassemblement national dans un nombre substantiel de circonscriptions où cette formation politique affrontait le bloc de gauche.
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Comment expliquer autrement la victoire surprise d’un Frédéric Cabrolier dans la première circonscription du Tarn, historiquement liée à la gauche d’obédience radicale-socialiste ? Parti d’un score relativement modeste de 20 % au premier tour, qui le mettait légèrement derrière son adversaire de la Nupes, Frédéric Cabrolier a pourtant remporté la circonscription avec une avance assez large. De son aveu même, il a effectivement bénéficié de reports d’électeurs divers-droite, mais aussi de votes venus de La République En Marche comme de la gauche modérée ! Dans la quatrième circonscription du Loiret, Thomas Ménagé a gagné au second tour avec un score de plus de 60 %, lui aussi renforcé par des voix de marcheurs. Jean-Michel Blanquer, candidat malheureux au premier tour, avait d’ailleurs réservé l’essentiel de ses attaques à la Nupes.
Dans les circonscriptions rurales, périurbaines et méditerranéennes où le Rassemblement national faisait face à la Nupes, ses scores sont souvent extraordinaires. On l’a ainsi vu avec Aurélien Lopez-Liguori, outsider qui a fini à 60 % dans la huitième circonscription de l’Hérault, dominant de la tête et des épaules contre la gauche. Une étude approfondie des reports de voix le confirme : la Nuoes a été rejetée par le centre-droit qui lui a préféré le Rassemblement national ou l’abstention. Un phénomène déjà observé lors des élections municipales de 2020 mais qui s’est considérablement accentué. La radicalité de Jean-Luc Mélenchon et des exécutifs municipaux des Verts dans les grandes métropoles semble avoir effrayé la « France raisonnable » qui voyait dans le même temps Marine Le Pen délivrer un discours républicain, souhaitant même que le président ait « une majorité stable pour gouverner ». Un choix stratégique payant dans les urnes.
Un compte de soutien à Fabien Roussel faisait d’ailleurs constater le lendemain des élections que les candidats du Rassemblement national avaient gagné 100 % de leurs duels contre les Verts et 65% contre des Insoumis… contre 35% face au PCF et 25% face au PS (allié à la Nupes). Une manière, peut-être, de faire comprendre aux plus radicaux du mouvement qu’ils faisaient fausse route. Apparaissant comme un parti plus républicain et moins révolutionnaire que La France Insoumise et ses alliés, le Rassemblement national a pu laisser La République En Marche en repoussoir des réformistes et de la France centrale, donc être toujours un opposant de rupture crédible à Macron… tout en ayant une image moins négative que la Nupes. Un tour de force rendu possible par les évènements des dernières semaines (le Stade de France par exemple) et les nombreux excès de l’extrême gauche. Au réflexe « antifa » s’est substitué un réflexe anti extrême-gauche dans une partie de la France des sous-préfectures, allant jusqu’à pénétrer des milieux autrefois très hostiles à cette formation.
Une culture du compromis encore à construire
Lors de sa première allocution post-législatives, Emmanuel Macron a fait montre d’une grande prudence. Pour l’heure, un gouvernement d’union nationale ne se justifie pas et personne n’en veut. Il lui reste donc deux options pour bénéficier d’une majorité qui ne soit pas simplement « relative » : conclure un pacte de gouvernement avec une importante partie des Républicains ou avec le Rassemblement national. Ces deux options sont pour l’heure impossibles, bien que le président soit connu pour sa grande adaptabilité et qu’il ne doit probablement rien exclure par avance. Reste donc l’hypothèse de « majorités au cas par cas », en fonction des projets de lois. C’est cette option qui sera retenue dans un premier temps. Elle permettra peut-être au Rassemblement national d’imposer ses thèmes – la sécurité ou de l’immigration. On se souvient que le premier projet de loi Collomb était d’un bon niveau, ayant été vidé de sa substance par l’aile gauche de la macronie. Le président va-t-il profiter des 89 députés du Rassemblement national pour avancer sur ces sujets capitaux ?
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Ce qui est certain, c’est que les Français sont désormais correctement représentés. Cette nouvelle Assemblée nationale les satisfait à 71% selon les derniers sondages. La Vème République ne devient pas une IVème République bis. Tout au contraire, elle revient à sa source parlementaire en offrant au fait monarchique du président un contre-pouvoir directement issu de l’opinion populaire, en représentant l’essentiel des nuances et des sensibilités. Les véritables démocrates ne peuvent que s’en réjouir.
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