89 députés Rassemblement national feront leur entrée à l’Assemblée, une percée historique à laquelle le parti de droite nationale lui-même ne croyait pas vraiment. Le RN aura ainsi plus de députés que Jean-Luc Mélenchon. La coalition de la Nupes promet de faire du bruit dans l’hémicycle, et repoussera toute approche constructive. De leur côté, les députés RN pourraient se montrer moins vindicatifs, achevant la normalisation souhaitée par le parti de Marine Le Pen.
Au lendemain du second tour des élections législatives, la majorité présidentielle perd la moitié de ses places au Palais Bourbon, et le « déferlement » réclamé par Jean-Luc Mélenchon aux électeurs ne s’est pas produit. La représentation nationale apparait très éclatée : finalement, la France n’a peut-être pas besoin d’un scrutin proportionnel, les citoyens l’ayant en quelque sorte imposé hier !
Le pouvoir législatif redevient ainsi le centre des préoccupations et des manœuvres politiciennes de la démocratie française. Mais beaucoup craignent déjà le retour d’une instabilité parlementaire contre laquelle la Ve République nous protégeait.
En période de crise économique et géopolitique, il n’est pas certain que les Français goûtent de voir le législatif prendre une telle importance par rapport à l’exécutif.
Une (fausse) facho peut en cacher une autre
Il n’est en tout cas pas du tout dit que le chaos parlementaire vienne de la droite de la droite. Dans la coalition de gauche très baroque de la Nupes, la militante woke Sandrine Rousseau promettait ainsi sur TF1 « le chahut » de l’ensemble des députés de gauche à l’Assemblée pour couvrir la voix de Damien Abad, le ministre des Solidarités réélu dans l’Ain et accusé de viol. « Si Damien Abad reste ministre, nous serons plusieurs à faire une opposition comme jamais pour que cette personne n’ait pas de voix légitime à l’intérieur de l’Assemblée nationale », a déclaré la députée EELV élue à Paris. « On ne peut pas se contenter d’humilier encore la parole des femmes » a-t-elle ajouté. Voilà qui promet !
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De son côté, Marine Le Pen savourait hier dans une tonalité beaucoup plus tranquille sa victoire, devant ses militants à Hénin-Beaumont. « Le peuple a décidé d’envoyer un très puissant groupe parlementaire de députés Rassemblement national à l’Assemblée, qui devient un peu plus nationale » a-t-elle observé. Elle a promis une opposition « ferme » et « sans connivence », mais « responsable » et «respectueuse des institutions».
Le pari manqué de Jean-Luc Mélenchon
Quatrième volet d’une saison électorale qui n’avait pas passionné grand-monde jusque-là, le deuxième tour de l’élection législative aura finalement été l’épisode le plus important de ce printemps politique. Depuis 2002 et la concordance métronomique des scrutins présidentiels et législatifs, l’élection des députés tendait toujours à conforter le président élu quelques semaines auparavant, démobilisant et démoralisant tous les partis battus. Les élections législatives faisaient l’effet de ces petites fenêtres que l’on rencontre sur internet qui nous demandent si l’on a bien accepté les conditions générales du site ; et en général, c’était oui.
Il est vrai que Jean-Luc Mélenchon avait animé l’entre-deux-tours de la présidentielle en promettant d’être le prochain locataire de Matignon. Au lendemain du premier tour des législatives, les projections les plus flatteuses annonçaient jusqu’à 220 députés pour la Nupes, formation fourre-tout où l’on trouve aussi bien des anciens ministres de Hollande que des chantres du wokisme voire de l’islamo-gauchisme.
Certains, à la droite de la droite, s’étaient désolés que Marine Le Pen n’ébauchât pas une stratégie équivalente, ne serait-ce que pour faire autant de bruit et de fumée que la rive d’en face. Avec une moyenne nationale à 18,68% parmi les suffrages exprimés au premier tour, passant derrière la majorité présidentielle et la Nupes, le Rassemblement national était presque invisible durant cet entre-deux-tours. Mais c’était perdre de vue que dans de nombreuses circonscriptions, les candidats RN étaient arrivés en tête, y compris dans la France de l’Ouest. À titre d’exemple, dans la circonscription de la Flèche, dans la Sarthe, le candidat FN Pascal Gannat avait fait 15,52% en 2017, terminant à la troisième place. En 2022, son successeur Bruno Pinçon a accédé au deuxième tour et ne perd que d’un cheveu, à 49,02%, contre le candidat Modem !
Le RN, principal parti d’opposition
Que de telles percées locales soient passées sous les radars, cela a plutôt aidé le Rassemblement national, qui n’a pas réussi à susciter contre lui de semaine « antifasciste ». Cette fois, l’homme à abattre était Mélenchon. Malgré un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui lui est peu favorable (et qui reste en place en grande partie pour lui barrer la route), le Rassemblement national parvient à faire élire 89 députés. C’est moins que les 141 députés de la NUPES mais c’est mieux que les 72 députés de la France Insoumise. C’est mieux que les 35 députés Front National de 1986 également. Finalement, le pari du refus de l’alliance avec Éric Zemmour a payé : celle-ci ne lui aurait pas permis de gagner beaucoup de députés en plus (peut-être aucun…), et cela lui permet d’enterrer son concurrent sinon définitivement au moins pour un bon bout de temps. Partout sur le territoire, en Gironde, en Charente, en Dordogne, plein de petits plafonds de verre ont explosé, et le Front républicain qui allait avec. Dans les circonscriptions qui ont opposé des candidats RN aux candidats macronistes, les électeurs LR se sont reportés à 30% vers les candidats RN contre 12% vers la majorité sortante (à 58%, ils se sont abstenus). Ce que les Français n’ont pas voulu en avril (l’aventure présidentielle avec Marine Le Pen), ils l’ont davantage accepté en reportant leurs voix sur des candidats RN localement.
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Marine Le Pen, requinquée par ce quatrième tour électoral, pouvait ainsi prendre hier soir des accents gaulliens : « J’appelle tous les Français à nous rejoindre dans cette aventure exaltante qui s’appelle la France ». Avec une Assemblée composée de quatre forces principales, plus ou moins homogènes, c’est pourtant un air de IVème République que va prendre la vie politique pendant les années à venir… Sur les plateaux télé, était évoquée hier soir l’idée d’une culture du consensus, voire de coalition à l’allemande.
Cinq années de centrisme autoritaire, de coups de menton sanitaires et d’arrogance ont eu raison des pleins pouvoirs macroniens. Ce dimanche, moins qu’un oui à Le Pen ou à Mélenchon, les Français ont aussi voulu congédier quelques têtes à claques marquantes du quinquennat précédent. Et ils n’ont donc pas hésité à utiliser le bulletin RN pour le faire dans un nombre important de circonscriptions.