Politiquement, notre chroniqueur Philippe Bilger reste un grand naïf. Aujourd’hui, il se penche sur le cas du candidat du PS et de « Place publique » aux élections européennes. En progression dans les sondages (il se rapproche des 12%), ce dernier propose de taxer les plus riches au niveau européen pour financer la « transition écologique et sociale » et d’accentuer notre soutien militaire à l’Ukraine.
Alors que je suis passionné au-delà de toute mesure par la politique politicienne, il m’arrive en même temps de déplorer que celle-ci brouille le paysage intellectuel et rende des frontières absurdement infranchissables. J’écoute le 7 avril au Grand Jury Raphaël Glucksmann, tête de liste du parti socialiste pour les élections européennes, et je continue à être impressionné par la finesse de son intelligence, la pondération de ses analyses et le ton courtois qu’il cultive, qui n’est pas faiblesse de caractère mais maîtrise de soi. Même en ne surestimant pas mon savoir dans le registre européen, j’avoue ne pas avoir été scandalisé par ses raisonnements même les plus extrêmes, sur le plan des taxes comme pour la défense des droits de l’homme. Au risque de choquer les partisans de rudes antagonismes, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver plus qu’une similitude entre sa personnalité et celle de François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains. Lors des dernières élections européennes, j’avais déjà remarqué cette familiarité entre deux intellectuels qui, alors, avaient eu du mal à endosser ce que le verbe politique doit avoir de partisan pour être efficace.
Une constatation navrante
Cette proximité des caractères et des cultures demeure aujourd’hui, même si l’espace politique dont dispose Raphaël Glucksmann est plus identifiable que celui réservé à François-Xavier Bellamy. Malgré son talent, ses capacités de réflexion et son excellent bilan européen, il éprouve des difficultés à se distinguer sur le plan du projet par rapport à « Reconquête! » et au Rassemblement national. Certes, François-Xavier Bellamy pourra soutenir, contre le RN, qu’il a travaillé et obtenu des résultats, lui, à Bruxelles mais ce n’est pas suffisant pour marquer une nette différence sur le fond.
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Cette détestable pente politicienne qui contraint à dissimuler, à méconnaître le lien fort entre deux natures pourtant proches, dont l’apport concerté serait remarquable, me navre. Elle amplifie les contradictions des programmes alors qu’elles seraient aisément solubles dans un monde démocratique qui placerait au premier plan l’honnêteté intellectuelle et le refus des outrances. Au détriment des idéologies qui sont trop souvent un moyen de donner bonne conscience à la libération des pires instincts de l’homme. Alors, naïveté politique, ma désolation face à l’impossibilité même d’envisager ce que l’union d’un François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann apporterait à tous ? Je ressens ce même état de mélancolie républicaine au sujet d’une impasse présidentielle. Je ne doute pas de l’authenticité de l’esprit européen du président de la République même si on a le droit de mettre en cause sa conception de l’Europe et sa volonté de la faire servir à l’affaiblissement des identités nationales. Aussi, quand on nous annonce que « Macron prépare son entrée en campagne avec un grand discours Sorbonne 2 »[1], mon premier mouvement n’est pas d’en soupçonner l’insincérité. Mais d’en prévoir l’inutilité.
Glucksmann devrait récupérer une partie de l’électorat macroniste déçu
En effet, je suis frappé par le gouffre de plus en plus vertigineux entre d’un côté la bonne volonté du président sur certains plans, la justesse de ses résolutions, et de l’autre leur parfaite stérilité opératoire. Je crois qu’il n’y a plus un domaine où le président puisse s’exprimer en étant assuré d’être sinon cru, du moins vraiment écouté. Cela me navre parce qu’il pourrait arriver que son verbe méritât d’être pris au sérieux, notamment quand il n’a pas été altéré, selon son habitude, par de multiples fluctuations et contradictions. Mais il faut convenir que la principale responsabilité incombe à Emmanuel Macron. Si ses propos sont dévalués, si ce qu’il dit ne laisse plus la moindre trace dans la conscience publique – qu’il s’agisse de saillies ou d’argumentations sérieuses -, cela ne tient pas seulement à 2027 où il ne pourra plus nous faire don de sa personne mais, plus profondément, au fait qu’il a trop évolué, infléchi, contredit, varié, démenti et déstabilisé, qu’il nous a trop habitués à percevoir dans l’affirmation d’aujourd’hui la dénégation de demain, qu’il nous a, au fond, interdit de lui attacher foi et confiance, nous privant de cette exemplarité capitale d’un chef tellement légitime qu’on le croit sur parole.
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C’est une autre de mes naïvetés politiques que cette tristesse que j’éprouve face à la déliquescence d’une destinée présidentielle qui aurait pu avoir tout pour elle mais se retrouve vouée à parler dans le désert républicain. Je ne vois pas d’insurmontable contradiction entre ma dilection, peut-être immature, pour la politique politicienne et mes regrets de citoyen adulte : les seconds me permettent de supporter la première.
[1] https://www.lefigaro.fr/elections/europeennes/europeennes-emmanuel-macron-prepare-son-entree-en-campagne-avec-un-grand-discours-sorbonne-2-20240407