À intervalles réguliers, une salve d’insultes numériques s’abat sur ceux qui bravent les interdits. Dernier épisode en date, Raphaël Enthoven. Il a « osé » accepter de débattre à une convention organisée par le journal l’Incorrect.
Aimeriez-vous vivre dans un monde où tout le monde pense comme vous ? Non sans doute. Eh bien, dans la grande famille qu’on appelait autrefois la gauche, on adore la diversité, sauf dans un domaine: celui des idées. On aime l’autre à condition qu’il pense la même chose que nous. Quand quelqu’un en émet une qui leur déplait (d’idée), les maîtres censeurs sortent leur revolver – métaphorique – et demandent qu’on le fasse taire. Et pour eux, les mauvaises idées ont de mauvaises odeurs. Nauséabondes. D’où le petit nom gauche olfactive.
L’inefficacité du cordon sanitaire
Seulement, pour que l’ordre idéologique règne, il ne suffit pas de priver les méchants de parole. Il faut encore interdire à quiconque de leur parler. C’est la glorieuse tactique du cordon sanitaire appliquée au Front national depuis la fin des années 1980 avec le succès que l’on sait puisqu’elle n’a pas empêché celui-ci de passer de 15 à 25 % de l’électorat.
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Ce sectarisme érigé en devoir citoyen a contaminé l’ensemble du débat public. On ne parle pas aux climato-sceptiques, on les appelle climato-négationnistes, ce qui veut dire presque nazis. On ne parle pas à celles-et-ceux qui refusent d’adorer metoo. On ne parle pas à Zemmour ou à Tartempion. Et bien sûr, on ne parle pas à l’extrême droite. C’est contagieux. Et ça évite d’avoir à se battre argument contre argument.
L’espace de la dispute civilisée se réduit dangereusement
À intervalles réguliers une salve d’insultes numériques s’abat sur ceux qui bravent les interdits. Ces attaques sont particulièrement mal venues dans le cas de Raphael Enthoven dont on connaît l’attachement à la gauche libérale et antitotalitaire. Enthoven est un digne héritier de l’esprit des Lumières, un des plus estimables représentants de ce que l’esprit français a de meilleur. Il ne concède rien sur ses idées, mais affectionne la dispute civilisée, le débat à la loyale. À quelques exceptions près, « parce que, dit-il, tout de même la vie est courte », il parle avec tout le monde, « des indigènes de la république aux adversaires de la PMA ». Au printemps, il a dialogué à trois reprises avec Etienne Chouard sur Sud Radio. Ça s’appelle le pluralisme et c’est le cœur de l’esprit démocratique.
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Le nouveau crime d’Enthoven, c’est d’avoir accepté de s’exprimer devant la convention de la droite organisée par l’Incorrect autour de Marion Maréchal – laquelle avait courageusement été désinvitée par le MEDEF après quelques éditos ou tweets furibards. L’affaire a fait suffisamment de mousse numérique pour que Le Point demande au philosophe pourquoi il allait se commettre en telle compagnie.
Laissez-le parler
Ceux qui l’insultent – ou lui demandent combien il est payé – se moquent de ce qu’il dira. On peut pourtant compter sur Enthoven pour parler des choses qui fâchent, autrement dit, pour exposer frontalement ce qui le sépare de Marion Maréchal. Dans Le Point, il se moque de ses détracteurs : « Des diabolisateurs sans mains, qui trouvent, depuis leur moquette, que je vends mon âme en mettant les miennes dans le cambouis. » À ceux-là, on rappelle le conseil de Montaigne : « Il faut frotter sa cervelle contre celle d’austruy ». Traduction en français moderne: il faut se méfier de l’entre-soi idéologique. Ça rend con.
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