Le « patriotisme constitutionnel » ne suffit pas, il faut aussi un peu de pression sociale
Un communautarisme galopant qui gangrène nos quartiers ghettoïsés, une radicalisation des jeunes musulmans qui mettent les valeurs de l’islam devant celles de la République, ou encore une charia suspendue au-dessus de la tête de profs de banlieues qui osent défendre la liberté d’expression: on ne compte plus les criantes manifestations du séparatisme qui fracture notre pays. Pour Raphaël Doan, auteur d’un essai passionnant[tooltips content= »Le rêve de l’assimilation: De la Grèce antique à nos jours, Passés Composés, 2021″](1)[/tooltips] sur l’histoire de l’assimilation, tout n’est pas encore perdu. Mais à condition d’assumer la volonté d’assimiler et de renouer avec cette tradition typiquement française. Entretien.
Isabelle Marchandier. « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus. L’auteur de l’Étranger semble avoir guidé votre démarche. Vous entamez votre essai comme un philosophe en distinguant ce qu’est l’assimilation de ce qu’elle n’est pas. Ce faisant, vous faites tomber un certain nombre de préjugés et démontrez que l’assimilation n’est ni raciste ni nationaliste!
Raphaël Doan. Absolument, et ce que vous dites saute aux yeux lorsqu’on remonte le cours de l’histoire : en France, l’assimilation a connu son apogée à la fin du XIXe siècle. À l’époque, ce sont les républicains de gauche, aux idéaux de la Révolution française chevillés au corps, qui l’ont défendue contre des intellectuels qui soutenaient la théorie des races et la supériorité de la race blanche. L’assimilation est incompatible avec le racisme. Sur le plan conceptuel, c’est logique puisque l’assimilation est la pratique qui consiste à exiger de l’étranger qu’il devienne un semblable. Alors si vous croyez qu’il y a des races différentes et que la vôtre est supérieure, vous ne pouvez pas accepter l’idée qu’un étranger puisse devenir comme vous. Vous pensez même que cette démarche est contre-nature. Pour assimiler, il faut être persuadé que l’étranger partage la même nature humaine que soi, et que la différence qui nous sépare n’est que superficielle et culturelle. Bref, il faut être universaliste et humaniste pour vouloir assimiler.
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » et « A Rome, fais comme les Romains » : ces deux maximes romaines sont les deux piliers de l’assimilation.
Dans votre essai, vous comparez les modèles d’assimilation déclinées dans six civilisations différentes : la Grèce, Rome, le monde arabe, la France, le Japon et les États-Unis. Qu’est ce qui a fait la spécificité de l’assimilation à la française?
Si l’assimilation française a connu son heure de gloire sous la IIIe République, elle plonge ses racines bien plus loin. D’abord, il faut rappeler que la première assimilation française est celle de la France à elle-même : la réunion de toutes les provinces et de tous les peuples de France en un seul pays et un seul peuple. Sous la IIIe République, cela passait par le travail des maîtres d’école, qui punissaient sévèrement l’usage du patois, par exemple. Ce que nous demandons aux immigrés, les Français eux-mêmes l’ont subi ! D’ailleurs, l’Ancien régime avait déjà préparé le terrain à cette grande homogénéisation de la culture française. Quand Louis XIV annexe le Roussillon à la France, il ordonne aux habitants de Perpignan d’abandonner l’habit à l’espagnole et d’adopter le costume français. Même chose dans les premières colonies : au Canada, Colbert a dépensé beaucoup d’efforts à essayer de « franciser » les Indiens d’Amérique. Cette francisation, même si elle s’est soldée par un échec, révélait cette tendance à considérer que l’étranger est toujours un Français potentiel.
A relire, notre numéro de janvier: Causeur #86: Assimilez-vous!
Cette conception a été possible grâce aux caractères de la civilisation française : l’universalisme, qui a été enraciné par la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme, mais aussi une propension à l’abstraction, celles des tragédies classiques ou du cartésianisme. Or, pour assimiler, il faut pratiquer l’abstraction des origines et de l’apparence physique de l’étranger, pour voir en lui un Français par l’esprit et les mœurs.
Pourtant vous expliquez que l’une des conditions pour réussir l’assimilation repose sur l’attractivité du modèle culturel du pays d’accueil et donc sur du concret. La force assimilatrice ne devrait-elle pas être plus liée à ce qu’est la France dans sa culture, son histoire, son art de vivre qu’à un système politique et à des valeurs bien trop universelles pour créer l’envie de s’identifier?
Bien sûr, pour assimiler, il faut être séduisant, il faut donner envie de s’assimiler. La France a une tendance naturelle à l’abstraction. Le problème de la situation actuelle c’est que nous sommes passés à un excès d’abstraction. On n’ose plus parler de mœurs et de façons concrètes de vivre, alors on se réfugie dans le ciel des idées républicaines : l’égalité, la fraternité, la laïcité… Le problème, c’est que les « valeurs de la République » sont bien trop larges pour constituer un modèle culturel : qui n’est pas favorable à la fraternité ? Nous sommes prisonniers d’une façon de concevoir la politique et la société qui rappelle la philosophie de Jürgen Habermas : le patriotisme constitutionnel. Selon cette logique, nous devrions être unis que par notre respect de la constitution démocratique, et non par des similitudes culturelles. C’est le pire des terrains pour l’assimilation, car on ne s’assimile pas à une constitution ni à un régime politique (la République, par exemple). On s’assimile à une culture et à un mode de vie, à des habitudes vestimentaires, culinaires, festives, à une façon de voir les relations entre générations ou entre hommes et femmes. C’est avec ces questions-là que la politique doit oser renouer.
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Assimiler ceux qui ne veulent pas l’être, ce n’est donc qu’une question de volontarisme politique?
Il faut déjà et avant tout assumer de vouloir assimiler, oui. Finalement, l’assimilation est un marché : si l’étranger accepte de se comporter comme la population d’accueil, celle-ci acceptera de le considérer comme un égal et de lui offrir des opportunités, sans discriminations. Sauf qu’aujourd’hui, ce marché n’est pas clairement exprimé : comme notre société fait l’éloge de la différence, de la singularité ou de la diversité, on incite l’étranger à se comporter en étranger, au lieu de chercher à nous ressembler. Résultat, un véritable malentendu : aux immigrés et à leurs enfants, on dit à la fois « Restez vous-mêmes » et « Soyez comme nous. » Beaucoup de jeunes issus de l’immigration n’ont même pas conscience que la France leur demande de s’assimiler, avant même de savoir s’ils en auraient envie !
Mais n’est-ce pas trop tard ? Au regard de ce mondialisme dans lequel nous baignons, du sans frontiérisme… du “droit-de-l’hommisme”… de ce progressisme culturel qui voue un culte aux identités de race, de genre ou de sexe… bref de toutes ces idéologies actuelles qui constituent le bain dissolvant de toute unité nationale, peut-on encore sauver l’assimilation?
Je suis persuadé que la société française, dans sa très large majorité, tend toujours à vouloir assimiler comme le prouvent les lois de 2004 et de 2010 sur le voile à l’école et le voile intégral. Ce sont des lois d’assimilation, même si l’on n’a pas prononcé le mot à l’époque : elles visent à ce que les musulmans se comportent autant que possible comme des Français.
Notre mentalité collective reste très propice à l’assimilation, en témoignent les polémiques sur le port du burkini ou même l’idée d’un projet de loi contre le séparatisme. Au Canada, il est tout à fait normal qu’une policière puisse porter le voile ; en France, ce serait un scandale absolu, encore aujourd’hui. Bien sûr, l’identitarisme racial qui nous vient des États-Unis commence à infuser dans certains cercles, et s’oppose frontalement à la logique assimilatrice. Mais il n’est pas trop tard pour refaire de l’assimilation une réalité assumée.
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La réussite de l’assimilation ne passe-t-elle pas aussi par la maitrise de nos flux migratoires ? Même si les conditions pour assimiler étaient de nouveau réunies, comment pourrait-on le faire si nous avons outrepassé notre capacité d’accueil ?
En réalité, c’est la principale question opérationnelle pour réussir l’assimilation : personne ne s’assimile s’il n’est pas réellement plongé dans la société d’accueil. Or, aujourd’hui, des populations entières issues de l’immigration vivent en France sans vrais contacts avec le reste de la population française. À l’école, des classes entières sont constituées d’enfants d’immigrés. Comment pourraient-ils s’assimiler dans ces conditions, puisqu’ils ne sont jamais confrontés à la culture française dans leur entourage ? Si la France n’a pas réussi à franciser les Indiens d’Amérique au XVIIe siècle, c’est d’abord parce qu’il n’y avait pas assez de Français sur place pour leur montrer l’exemple et instaurer une forme de pression sociale. À la fois par la maîtrise de nos flux migratoires et en jouant sur les politiques scolaires et du logement, il faudrait faire en sorte qu’il n’y ait jamais de concentration trop importante de populations d’origine immigrée dans un même milieu. Car c’est la fréquentation avec la société française qui sera le principal facteur d’assimilation.
Le projet de loi confortant les principes républicains, débattu actuellement à l’Assemblée, aurait dû comporter le mot « séparatisme », mais il est passé à la trappe pour éviter toute stigmatisation. La censure ne se serait-elle pas également appliquée dans le cas d’un projet de loi sur l’assimilation ? Est-il encore possible de remettre ce mot dans un débat législatif?
C’est un débat culturel à avoir, et je ne vois vraiment pas pourquoi l’assimilation serait rejetée à la droite de l’échiquier politique, ni pourquoi elle devrait être jugée sulfureuse. Comme je vous l’ai dit, l’assimilation est le propre des sociétés ouvertes, qui ne sont pas repliées sur une conception ethnique de leur identité, qui ont quelque chose à apporter au monde et à l’étranger, et qui sont sûres de leur valeur. Elle permet la coexistence de personnes d’origines différentes, mais en échappant aux conflits qui surgissent inévitablement en présence de cultures trop dissemblables. L’assimilation est tellement adaptée aux idéaux français qu’elle devrait faire consensus. Il faut simplement la défendre sans excès et sans en faire un étendard de la droite dure !
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