Plus de 145 000 billets ont été vendus pour l’exposition « Ramsès et l’or des pharaons » qui se tient depuis le 6 avril, à la Grande Halle de la Villette.
L’exposition a même déjà dépassé en nombre de billets pré-vendus l’exposition de 2019 « Toutankhamon, le trésor pharaon ». Et comme celle-ci avait connu 1,4 million de visiteurs, tous les espoirs sont permis ! La France n’est pas seule à accueillir cette exposition, Paris est une escale parmi neuf autres dans le « world tour » du pharaon défunt mais, en revanche, c’est uniquement à la Villette que les visiteurs peuvent admirer le cercueil en bois peint de Ramsès II – sans la momie – pour remercier la France de l’avoir restaurée en 1976.
Des pièces sortant d’Egypte pour la première fois
L’exposition retrace les grandes étapes de la vie de Ramsès II et présente 180 pièces ; des momies d’animaux, des masques royaux, des bijoux et amulettes qui témoignent du grand savoir-faire des artistes égyptiens. On peut aussi y admirer des pièces jamais sorties d’Égypte jusqu’à ce jour, comme le cercueil du pharaon Chéchong II ou des bijoux appartenant au trésor des successeurs de Ramsès. Ces trésors sans prix ne sont pas uniquement un patrimoine pour l’Egypte mais surtout le vecteur principal d’un véritable « soft power ». Cette autre dimension de l’Egyptologie ou plutôt l’intérêt, voire la passion, pour le passé égyptien, largement partagés dans le monde et particulièrement vivaces en France, ont été discutés lors d’un colloque organisé par Abdelrahim Ali, directeur général du CEMO (Centre d’études du Moyen-Orient), coloque qui a réuni le jour de l’inauguration de l’exposition la figure de proue de l’Egyptologie populaire, Zahi Hawass (« l’Indiana Jones » égyptien), le ministre égyptien du Tourisme et des antiquités Ahmad Issa et Alaa Youssef, l’ambassadeur d’Egypte en France. C’est donc autant en visite d’État qu’en tant qu’objet d’antiquité que Ramsès arrive en France. Et l’Histoire de cette deuxième vie politique des anciens monarques égyptiens, le rôle joué par leurs vestiges, et l’imaginaire associé à leur mémoire peu connue, n’est pas moins intéressante que celle de leur passage sur terre. De la pièce où les débats se déroulaient on pouvait contempler l’Obélisque de Louxor, qui nous rappelait ces va et viens incessants entre archéologie et politique, diplomatie et tourisme, mémoire et économie.
Affaire d’amateurs éclairés, à savoir les antiquaires jusqu’au XVIIIe siècle, l’étude des « ruines » s’institutionnalise au XIXe siècle dans le sillage du colonialisme européen et de la construction nationale des sociétés métropolitaines. La discipline devient rapidement un facteur important dans des constructions – et revendications – identitaires impériales et nationales. L’Egyptologie, qui doit son élan à l’expédition militaro-scientifique française en Egypte (1798-1801), en est la parfaite illustration : ce font baptismal de l’Egypte contemporaine, et plus généralement du Moyen-Orient que nous connaissons aujourd’hui, a non seulement propulsé l’histoire de la région sur le devant de la scène, mais a également relancé l’étude de son passé et notamment celui de l’Egypte. Comme le disent les historiens, les nations naissent vieilles… et dès leur plus jeune âge, le passé est un champ de bataille.
Ainsi, les puissances étrangères ont dominé l’Égypte sur le plan culturel et politique pendant une grande partie de son histoire contemporaine. Méhémet Ali, le fondateur de l’Égypte contemporaine, a fait des compromis importants avec les Britanniques ; lesquels ont établi un protectorat plus tard, en 1882, et ont gardé le contrôle sur une grande partie du pays, jusqu’à ce que Gamal Abdul Nasser et les jeunes officiers prennent le pouvoir en 1952, et nationalisent le canal de Suez en 1956. Un tel changement politique aurait dû modifier le cadre culturel de l’Égypte. Cependant, en dépit de cette révolution, les musées et la politique des antiquités de l’Égypte n’en ont pas été vraiment modifiés. Certes, les choses ont changé depuis que Méhémet Ali a offert à la France les deux obélisques du temps de Louxor, mais le pouvoir des Occidentaux sur le patrimoine culturel de la nation demeure, que ce soit dans les musées ou sur les sites historiques.
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Au début, les Égyptiens n’ont pas participé à la conservation ou à la collecte des antiquités. La création du musée égyptien a commencé comme un conglomérat d’anciennes collections personnelles de riches bureaucrates, mais a finalement été placée sous la supervision officielle d’un directeur étranger tel qu’Auguste Mariette (1858-1881). Ce dernier fut chargé de la collecte, du stockage, de la conservation et des découvertes.
Jusqu’en 1953, le Service des antiquités égyptiennes était contrôlé par des directeurs français. Toutes les découvertes dans la Vallée des Rois, et ce jusqu’en 2007, ont été faites par des archéologues étrangers, et ce n’est que depuis 1983 que tous les objets excavés sont devenus la propriété du gouvernement égyptien, comme les nouvelles découvertes du Dr Zawi Hawass – archéologue et ministre des antiquités haut en couleur- à Saqqarah, cette vaste nécropole au sud du Caire.
Ahmad Issa à la tête d’un vaste ministère s’occupant du Tourisme et des Antiquités
Lorsque Nasser est arrivé au pouvoir, l’occasion de remodeler l’Égypte et son image s’est enfin présentée. Les institutions culturelles telles que les musées comptent parmi les fondements les plus solides du développement et de la promotion d’une identité nationale dont les fondements précèdent largement l’Islam.
Avec un changement aussi radical d’une société ouvertement dominée par les étrangers à une société nationale, le musée aurait naturellement dû suivre le mouvement. Le musée changeant d’orientation, ce ne furent plus les touristes étrangers mais le peuple égyptien et surtout sa jeunesse, qui furent désormais la cible par excellence des musées et des sites. Mais cette transformation a mis quelques décennies à s’accomplir et n’a été complètement achevée qu’à la veille du mandat de Hawass, sous la présidence de Moubarak, une quarantaine d’années plus tard.
A l’heure actuelle, de nombreuses antiquités égyptiennes ont déjà été dispersées, notamment à Paris, Londres et Berlin. Le musée du Caire a dû faire face aux problèmes de rapatriement des œuvres des XIXe et XXe siècles, mais, avec l’arrivée de Zahi Hawass sur le devant de la scène le style a complètement changé. Si l’archéologie et la mémoire jouaient un rôle croissant dans les relations extérieures de l’Egypte, à la politique étrangère est venue ensuite s’ajouter la dimension économique de la question.
L’économie égyptienne a toujours été tributaire des apports de l’étranger, et le Caire reste toujours très dépendant des revenus du canal de Suez, des transferts de leurs ressortissants travaillant dans d’autres pays (notamment arabes), de ses propres exportations de pétrole et de gaz et des montants massifs d’aide étrangère (les Etats-Unis et les monarchies pétrolières). A cette liste il faut ajouter le tourisme dont la contribution au PIB s’est élevée à 8% (dans une bonne année les « péages » du Canal de Suez rapportent 3%), tout cela, cependant, avant les révolutions de 2011. Et n’oublions pas que le secteur touristique comprend 12% des emplois dans le pays ! Les touristes, étrangers pour la plupart, redeviennent le public privilégié des musées. L’Egyptologie et plus généralement l’imaginaire lié aux pharaons sont plus que jamais une ressource stratégique pour le pays. Ce nouvel atout s’est matérialisé par la création d’un ministère des antiquités ; voulu par le président Hosni Moubarak et confié à Zahi Hawass, et, quelques années plus tard, fin 2019, par la fusion de ce ministère avec celui du tourisme. Enfin, dernier signal intéressant : le premier à exercer les fonctions du ministère fusionné était l’égyptologue Khaled El-Anany ; il a été remplacé en 2022 par le banquier Ahmad Issa.
Mais tous ces enjeux n’enlèvent rien à l’intérêt intrinsèque des objets exposés à la Villette. Ce sont les histoires des gardiens temporaires des trésors qui vont nous survivre, comme elles survivront d’ailleurs à nos civilisations pour s’inscrire dans d’autres Histoires.
À partir du 7 avril 2023 et jusqu’à septembre, Grande halle de la Villette, à Paris. Informations pratiques: https://www.expo-ramses.com
Ramsès II: L'exposition événement de la grande halle de la Villette
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