Au secours, la race revient ! Né dans les campus américains des années 1970, le discours décolonial, qui sépare l’antiracisme de son héritage universaliste, nourrit l’imaginaire de la gauche radicale. Ses propagandistes attribuent tous les maux de la terre aux « Blancs », prétendus héritiers de l’impérialisme occidental.
On pensait, avec l’anthropologue Ashley Montagu, qu’il était acquis que « le mot “race” [était] lui-même un terme raciste ». D’aucuns prophétisaient alors le triomphe du modèle pacificateur de la démocratie libérale sur tous les grands récits qui ont structuré le XXe siècle. Mais, n’en déplaise aux théoriciens de la fin de l’Histoire, comme Marx et Hegel avant lui, Fukuyama s’est fourvoyé ; les statues que l’on abat, les romans que l’on censure et les œuvres que l’on décroche sont autant de preuves ex post de cette erreur. Il ne s’agit pas de rétablir l’alternative défendue par Huntington pour autant : ce qui se produit aujourd’hui, ce n’est pas l’avènement d’un multipolarisme géographique et civilisationnel, mais une fragmentation du corps social autour de nouvelles utopies politiques, à savoir ces identités transnationales que sont la sexualité, le genre, la race et même le spécisme.
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Influence de la pensée postcoloniale
En France, le retour de la race dans le débat public s’est structuré sur la base du discours dit « décolonial[tooltips content= »Afin de mettre en exergue l’idéologie politique qui sous-tend ce mouvement, nous plaidons pour l’emploi de l’adjectif « décolonialiste », mieux à même de rendre compte de la réalité du phénomène »]1[/tooltips] ». Ce dernier dérive d’une évolution ternaire de type perfusion–infusion–diffusion : perfusion depuis les campus américains des années 1970 où naissent et se développent les x-studies – ces disciplines visant à penser les « subalternités » en souffrance dans le cadre des rapports sociaux de domination ; infusion dans les années 1990 et 2000 dans un contexte de remise en cause de l’unité nationale (affaire des foulards de Creil, lois mémorielles, seconde intifada, émeutes des banlieues…) ; enfin, diffusion, avec la mutation de l’antiracisme et la remise en cause de sa forme morale et universaliste par des groupes communautaristes militants (PIR, CRAN, CCIF…).
La démarche décolonialiste se propose de défaire les héritages multiples issus de la colonisation occidentale, qui perdureraient non seulement au sein de nos institutions (« racisme d’État », « discrimination systémique », principe de laïcité), mais aussi dans l’esprit du « Blanc », ce dominant en puissance bénéficiant de l’insigne « privilège » de vivre normalement au sein de la nation française. Le décolonialisme est un militantisme radical qui prolonge et met en acte le travail de déconstruction philosophique entrepris il y a quarante ans au sein des départements de littérature de l’université américaine par les théoriciens du postcolonialisme, au premier rang desquels Edward Saïd et son épigone Gayatri Spivak. L’un et l’autre ont entrepris d’analyser la période coloniale ainsi que ses effets sur les pays jadis en situation de dépendance politique ayant entamé leur transition vers une souveraineté politique retrouvée. Cet exercice critique raisonné a notamment conduit à l’émergence de thèses toujours vivaces, au premier rang desquelles celle de la persistance des systèmes de représentation coloniaux à travers l’Histoire (Saïd) et l’impossibilité subséquente pour les populations dominées de « parler pour elles-mêmes » de manière « authentique » (Spivak). Largement influencés par la logique révolutionnaire marxiste d’affranchissement prolétarien, les promoteurs du postcolonialisme ont contribué au glissement du schème de la domination bourgeoise produite par le capitalisme vers celui d’un impérialisme de l’Occident entretenu et diffusé par la démocratie. Dans les années 1950, Fanon évoquait déjà la nécessité d’adopter une posture de défiance à l’endroit de l’universalisme, en raison de son rôle supputé dans la structuration hiérarchique des relations sociales entre colonisateurs et colonisés.
La démarche décolonialiste se propose de défaire les héritages multiples issus de la colonisation occidentale, qui perdureraient non seulement au sein de nos institutions mais aussi dans l’esprit du « Blanc », ce dominant en puissance bénéficiant de l’insigne « privilège » de vivre normalement au sein de la nation française
Les mutations de l’indigénisme
L’indigénisme désigne primairement l’ensemble des dispositifs mis en place pour permettre aux populations autochtones dépossédées de leurs territoires – et souvent aussi de leurs cultures – de redéfinir les conditions de leur autonomie politique. Il est rapidement devenu un terreau de revendications identitaires autant que de conquête de nouveaux droits, parfois dérogatoires à la norme commune établie. L’une de ses figures intellectuelles les plus éminentes, le sociologue Ramon Grosfoguel, a également théorisé la colonialité en tant que processus transhistorique, n’hésitant pas à voir dans la domination une caractéristique (et non une déviance) des sociétés occidentales. La « blanchité » toxique conspuée par le décolonialisme contemporain s’inscrit en droite ligne de la vision de Grosfoguel : vision sélective ignorant à dessein la réalité de l’esprit belliciste de conquête qui a animé tant de peuples de tous les continents au cours de l’Histoire, tout en prônant une conflictualité intransigeante à l’encontre de l’Occident, jugé responsable au premier chef des turpitudes les plus terribles de nos temps.
L’indigénisme dont on se réclame aujourd’hui en France est une adaptation locale de la version originale. Faisant écho au Code de l’indigénat, qui définissait le statut juridique des populations autochtones de l’Algérie d’abord, puis de la plupart des possessions territoriales françaises, l’appellation « indigène » se veut témoigner du fait que les descendants des immigrés issus de ces colonies vivraient en somme ici comme leurs aïeux ailleurs, c’est-à-dire sous le joug d’un régime discriminatoire qui perdurerait.
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Les nouvelles inquisitions
Tout oppose leurs visions de la place des femmes dans la société. Pourtant, les mouvements néoféministes et indigénistes partagent une aversion similaire de l’unité républicaine, qu’ils tiennent pour un leurre. Ils ont en outre recours aux mêmes méthodes fondées sur la récrimination victimaire permanente, la production foisonnante de pseudo-concepts sociologiques ad hoc, et sur l’usage galvaudé de statistiques publiques pour étayer des faits particuliers. Ils honnissent la liberté de pensée et de débattre sereinement de sujets complexes et lui préfèrent souvent le simplisme de l’expression émotionnelle et subjective. Souvenons-nous que dans La Ferme des animaux, on proclamait déjà : « Tous les maux de notre vie sont dus à l’Homme, notre tyran. Débarrassons-nous de l’Homme, et nôtre sera le produit de notre travail. » Ces mots terribles résonnent chaque jour un peu plus fort dans nos sociétés, au point d’étouffer le chant d’espoir de ceux, innombrables, qui n’aspirent qu’au silence et à la concorde humaniste qu’on leur refuse désormais.
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