Le proviseur du lycée Victor-Hugo, à Marseille, est dans la tourmente. Pour avoir voulu interdire les abayas dont se parent nombre de ses élèves filles, le voici crucifié par une conjuration de lycéens, de pions poussés par la CGT, et autres belles consciences bien intentionnées. Notre chroniqueur, qui habite à deux pas, s’est rendu sur place.
La loi de 2004 avait cru bien faire en interdisant, dans les collèges et lycées, tout signe d’appartenance religieuse. C’était sans compter sur l’ambiguïté (ou l’hypocrisie, faites votre choix) de certains musulmans, qui jurent que tel vêtement — l’abaya, par exemple — est coutumier, et non religieux. C’est le même type d’ambiguïté (en est-ce bien une ?) qui, en accolant aux mosquées une bibliothèque, prétend faire de l’ensemble un lieu culturel et non cultuel. Tout est dans la nuance…
Effet boomerang
Du coup, les chefs d’établissement marseillais (et ailleurs sans doute aussi) se retrouvent face à l’entrisme de fondamentalistes qui arrivent vêtus « comme là-bas » et affirment haut et fort que c’est leur droit. Barbara Lefebvre a écrit un livre entier sur cette génération qui, arguant des « droits » que leur a octroyés la loi Jospin en 1989, se dispensent de tout devoir. Moyennant quoi, dès octobre 1989 justement, commençait à Creil la première opération « voile islamique », que le ministre de l’époque n’a pas voulu enrayer à la source. C’est que Lionel Jospin est ce ministre — plus tard Premier ministre — qui avait cru intelligent de lancer : « Et qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse que la France s’islamise ? »
Trente ans plus tard, ces sophismes pour fins de banquet socialistes nous reviennent en pleine figure.
Le lycée Victor-Hugo est situé dans un arrondissement difficile, aux portes de la Belle-de-Mai, l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe, et cumule tous les « handicaps que génère des établissements » socialement et ethniquement unifiés. Comme dans d’autres lycées de Marseille, des élèves y ont donc testé les limites de la tolérance.
Le proviseur, Fabien Mairal, n’est pas connu, localement, pour son extrême habileté de communicant. Comme le raconte La Provence, qui relaie ces informations dans un grand esprit d’apaisement, cela va sans dire, il est arrivé, depuis janvier, à se mettre à dos les élèves, les Assistants d’Éducation (on disait « pions » autrefois) recrutés localement, et une partie des professeurs, qui majoritairement choisissent la paix sociale plutôt que la laïcité dure. Il a donc tenu, depuis le début de l’année scolaire, des propos « inadmissibles », selon ces mêmes AED qui l’ont enregistré — c’est la manie aujourd’hui dans les établissements, on filme tout ce qui se passe, merci aux concepteurs de smartphones. Ils ont ainsi constitué un beau dossier qu’ils ont transmis à Mediapart, un média dont l’objectivité et la neutralité idéologique ne sont plus à démontrer. Qu’on en juge.
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« Je suis tenu de faire respecter le texte, s’est-il expliqué. Je me dois de vous préparer au mieux à votre insertion professionnelle et sociale… Je ne veux pas que vous restiez à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine ou les samoussas. »
Horreur ! Horreur ! Horreur ! Comment ? Un responsable de l’Éducation Nationale prétend protéger ces jeunes filles contre elles-mêmes — et contre tous ceux qui les instrumentalisent.
Et encore, Fabien Mairal n’a pas insisté sur la misogynie extrême d’une religion qui ne garantit pas aux filles la même part d’héritage qu’à leurs frères, qui les marie de force, les oblige à se considérer, derrière leurs voiles, comme des provocatrices risquant d’entraîner les hommes, ces pures brebis, vers la damnation éternelle… « Dix gamins » — une allusion probable à la fameuse phrase prêtée à Boumediene, qui, en avril 1974, déclarait à la tribune de l’ONU : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. »
Une musulmane, à en croire les fondamentalistes, n’est donc qu’un utérus voilé. Belle promotion. Que des féministes, au nom de l’intersectionnalité des luttes, comme elles disent, défendent cette discrimination vestimentaire en dit long sur l’aveuglement idéologique des chiennes de garde.
Le rectorat tient bon
« On est accusé d’être des diffamateurs », explique l’un de ces AED, Emmanuel Roux, suspendu par le rectorat — qui en l’occurrence n’a pas faibli face à la guérilla lancée par les fondamentalistes de l’abaya… « Mais avec les enregistrements la vérité est sortie… »
Quelle vérité ? Que la Belle-de-Mai, comme certains territoires anglais désormais, devrait être régie par la loi islamique ? Qu’il y a une loi à Paris, mais pas la même à Marseille ? Qu’il est indécent de suspendre des adultes (un professeur-documentaliste est également suspendu par le rectorat pour avoir tenu, lors d’un rassemblement le 8 mars dernier, une banderole sur laquelle était inscrit ce slogan délicat, « Lycée Victor-Hugo, balance ton proviseur, sexiste / raciste ») qui appuient de leur autorité des revendications communautaristes ? Ledit proviseur n’a jamais été sexiste, puisqu’il défend le droit des filles à un enseignement laïque qui tente de les émanciper de la tutelle religieuse. Il n’a jamais été raciste, puisqu’il s’oppose justement à des comportements en eux-mêmes discriminants. Une abaya n’est pas un accessoire de mode. Ce n’est pas une mini-jupe : c’est une déclaration de guerre : « Nous sommes chez nous ».
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Que le ministre (ni le précédent) ne se soit prononcé clairement par décret sur le fait que toute tenue suspecte de prosélytisme religieux est interdite choque le laïque que je suis — mais je n’attends rien, sur le plan de la laïcité, d’un homme qui vient de remplacer les têtes dirigeantes du Conseil des sages de la laïcité et d’installer à sa tête un universitaire, Alain Policar, connu pour avoir dénoncé, dans une tribune de 2019, ceux « qui font de la laïcité une arme contre la religion ». Sans compter que le nouveau Conseil ne pourra plus s’auto-saisir, mais n’agira que sur saisine du ministre, qui n’est pas exactement un descendant en ligne droite du petit père Combes…
Les syndicats recrutent large
Pensez : l’an dernier, la direction de Victor-Hugo surveillait le retrait des voiles islamiques à l’entrée du lycée — parce qu’en fait, ces jeunes filles arrivent voilées et tentent de faire quelques mètres pour marquer un peu plus leur territoire. Une attitude qui, selon l’enseignante-documentaliste suspendue (avec traitement quand même), vise à « cliver les profs » et à « chercher le dérapage ».
Et s’il s’agissait juste de faire respecter la loi ? Où est le dérapage ? N’est-il pas dans la volonté obstinée de faire entrer le culte dans un lieu de culture ? On en revient à la fusion opérée dans les mosquées — et à la volonté de constituer toutes les institutions républicaines en postes avancées de la conquête. Que des syndicats (SUD et la CGT, pour ne pas les nommer) accusent à leur tour le proviseur de « tenir des propos humiliants » pour ces jeunes filles manipulées, et d’« insulter » la laïcité n’est pas bien honorable : c’est juste une façon de recruter large, n’est-ce pas…
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Il faudrait inciter ces gauchistes vertueux à réviser les classiques du marxisme, à la rubrique « aliénation ». Les jeunes filles voilées croient qu’il est de leur devoir d’être soumises. Et l’Éducation vise à faire sauter, justement, toutes les contraintes, toutes les servitudes volontaires qui oblitèrent le jugement. Respecter une aliénation, accuser de racisme ceux qui s’insurgent contre le fanatisme, c’est accabler encore celles que l’on prétend défendre.
L’islamo-gauchisme se porte bien à Marseille — et ailleurs. Sous prétexte de conflits administratifs, c’est toute une idéologie que l’on fait avancer, pion après pion, mètre après mètre. Après les petits pas, les grandes enjambées. Et je ne compte pas sur ce ministre pour mettre fin aux ambiguïtés dont se nourrissent l’hydre et ses relais.
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