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« Dans un mois, dans un an… »

Six pièces dont "Bérénice" en podcast


« Dans un mois, dans un an… »
Elsa Lepoivre, "Phèdre" de Racine à la Comédie Française © DELALANDE RAYMOND/SIPA Numéro de reportage: 00653724_000001

Six tragédies de Racine en podcast sur France Culture. Histoire d’oublier les mots éphémères du bruissement médiatique et de retrouver un chant profond.



Il n’est peut-être pas inutile, pour des raisons de santé mentale et de sauvegarde de notre oreille interne de saluer la belle initiative de France-Culture qui nous donne, grâce à son partenariat avec la Comédie Française, les six plus grandes tragédies de Racine en libre écoute. 

C’est un vrai bonheur, une impression d’air pur, d’altitude heureuse à l’époque de la parlure paniquée et incessante sur les chaines infos où se démultiplie la logorrhée des éditocrates qui n’ont même plus honte d’exposer leur parfait alignement sur les thèses gouvernementales, au point de devenir des doublons de Sibeth N’Diaye. Ils reproduisent servilement les mensonges et les approximations d’un néo-langage qui est la langue même de la servitude, déclarant aujourd’hui erreur impardonnable ce qui était hier encore la ligne officielle ; comme les employés orwelliens du ministère de la Vérité dans 1984. Comme il y a une justice, cela s’entend dans leur syntaxe aléatoire et leur ton qui n’est jamais juste. C’est qu’ils disent un texte qui n’est pas le leur, contrairement aux comédiens raciniens qui ont métabolisé, à l’instar de la belle Léonie Simaga dans Andromaque, l’alexandrin racinien à un point tel qu’il leur est d’un incroyable et mélodieux naturel. On se souvient alors de ce que Barthes disait à ce propos dans son Sur Racine : « L’art classique est musical ; mais la musique y est parfaitement définie : l’alexandrin. (…) C’est parce que l’alexandrin est défini techniquement comme une fonction musicale qu’il n’y a pas à le définir musicalement. »

On retrouvera donc ici les enregistrements d ‘Andromaque (1667), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Iphigénie (1674), Phèdre (1677). Dix années pendant lesquelles Racine va réinventer la tragédie en évacuant de plus en plus tout ce qui peut s’apparenter à l’action pour se concentrer sur la psychologie et les caractères. Il limite de plus en plus les coups de théâtre, précisément, qui était encore si présents chez Corneille, homme du siècle de Louis XIII quand Racine est celui du siècle de Louis XIV. À Corneille, la Fronde, les cavalcades, l’heureux désordre baroque et mousquetaire. À Racine, la sortie de l’histoire puisque le Roi Soleil a gagné, l’équilibre classique parfait comme les jardins de Versailles,  mais aussi d’autant plus fort qu’il est discret, un lyrisme élégiaque qui nous conduit en douceur vers l’Opéra. Chacun des arguments de ces pièces tient en effet en peu de mots. Folie d’une mère ici, amour impossible là, jalousie morbide ailleurs et complots politiques. On n’est plus en présence de cette recherche de l’héroïsme et de la surhumanité comme chez Corneille, on accepte en pleurant de rage ou de tristesse notre tragique humanité.

Ce vieux parallèle entre nos deux génies ne date pas d’hier mais il demeure d’actualité. Nous sommes bien sûr, dans ce siècle confiné, des personnages de Racine qui sont eux aussi de grands reclus comme Bajazet et Roxane dans le sérail du sultan. Et puis comment résister au plaisir de retrouver avec Bérénice, histoire d’amour déchirante où la passion se brise sur la raison d’État,  quelques-uns des plus beaux vers de la langue française :

« Je demeurai longtemps errant dans Césarée,
Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée.
Je vous redemandais à vos tristes États ;
Je cherchais en pleurant les traces de vos pas. »

Le premier vers aura fasciné des générations de lecteurs comme l’Aurélien d’Aragon, à peine démobilisé en 1918 : « Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore : Je demeurai longtemps errant dans Césarée… » Et d’imaginer Césarée comme nous pouvons aujourd’hui imaginer nos propres villes : « Ça devait être une ville aux voies larges, très vide et silencieuse. Une ville frappée d’un malheur. Quelque chose comme une défaite. Désertée. Une ville pour les hommes de trente ans qui n’ont plus de cœur à rien. Une ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à l’aube. Aurélien voyait des chiens s’enfuir derrière les colonnes, surpris à dépecer une charogne. Des épées abandonnées, des armures. Les restes d’un combat sans honneur. »

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