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Rachida Dati, sainte Benazir ou le syndrome de Marie


Rachida Dati, sainte Benazir ou le syndrome de Marie

Entre symboles, on se tient les coudes. Entre femmes aussi. Rachida Dati n’a donc pas résisté au besoin impérieux d’apporter sa contribution au monument érigé à la mémoire de Benazir Bhutto à coups de lieux communs et de grands sentiments. Gil Mihaely a parfaitement montré ce qu’il convenait de penser du titre de symbole de la démocratie décerné les yeux fermés par la presse à la politicienne assassinée. Mais l’article signé par le ministre de la Justice et publié dans Le Monde mérite une mention particulière. Au festival du poncif féministe, il obtiendrait la palme d’or haut la main.

Oublions le français plutôt baroque. Si quelqu’un peut m’expliquer ce que signifie « enlever la vie de Benazir Bhutto, c’est vouloir annihiler les jalons sociaux, politiques et humains qui doivent pourtant lui survivre » ou encore m’apprendre ce qu’est une injustice qui « crée un écho universel reniant simultanément la voie de la Justice et le sens de l’Histoire », je lui en serai fort reconnaissante. Mais il serait dommage que le conseiller qui a pondu cette merveille soit viré – le cabinet du ministre finirait par faire désordre voire désert.

Passons sur l’emphase qui ferait passer la prose de BHL pour un chef d’œuvre de sobriété : « La barbarie de cet acte terroriste » serait, parait-il, « l’incarnation suprême de l’Injustice », majusculisée pour l’occasion. Contentons-nous de nous demander quel qualificatif Rachida Dati sortira de son armoire à grands mots le jour où il lui faudra évoquer un massacre de masse. Mais peut-être considère-t-elle Benazir Bhutto comme la porte-parole de toutes les victimes passées et à venir.

Compte tenu de la gravité des faits, on s’interdira de sourire quand Madame Dati souhaite que l’assassinat d’un « symbole de la démocratie en terre d’islam » ne freine pas la marche vers l’égalité. En effet, pour que cette marche ne fût point freinée, encore aurait-il fallu qu’elle eût lieu. Faire du Pakistan, le premier producteur de Talibans, un pays pionnier de l’égalité entre les sexes, il fallait oser. Quant au « progressisme » dont Bhutto, à en croire notre garde des Sceaux, était aussi le symbole, voilà une plaisante fable, s’agissant d’une dame qui croyait à la légitimité dynastique au point d’avoir désigné comme dauphin son fiston, son époux étant appelé à jouer le rôle du régent (ce qui devrait lui permettre de veiller d’un œil sourcilleux sur les finances du parti, euh pardon, de la famille).

Si notre géopoliticienne en herbe – et en jupons – consentait à examiner froidement la réalité, elle parviendrait aisément à la conclusion qu’une femme chef d’Etat ou de gouvernement est très souvent l’exception qui confirme la règle : que l’on sache, le règne de Victoria ne se déroula pas dans une Angleterre particulièrement propice à l’épanouissement des femmes. En matière de droit des femmes, une péronnelle n’annonce pas le printemps.

Mais Rachida Dati préfère oublier que dans l’expression « femme de pouvoir » il y a pouvoir. « Du progrès, écrit-elle encore, surgissent des femmes engagées, revendiquant la modernité, la rupture avec la culture de la guerre, de la puissance et de la domination. » Winnie Mandela, Agathe Habyarimana, Simone Gbagbo, qui jouèrent un rôle politique de premier plan, avaient assurément rompu avec la culture de la puissance. Et Golda Meir ne savait pas ce qu’était la guerre. Madame Dati, dont on connait la douceur (dans le travail, s’entend) n’est-elle pas la preuve que les femmes sont des hommes politiques comme les autres ?

Mais aux marécages du réel, Rachida Dati préfère les sommets du mythe. Et le mythe qu’elle a en tête, c’est celui de la mère éternelle : Marie, rien de moins. Peu lui importe que ni Benazir Bhutto, ni Indira Gandhi, ni Golda Meir, ni Maggie Thatcher, ni Olympe de Gouges qu’elle cite avec ravissement n’aient été taillées pour le rôle. Elle ne se demande pas si « les femmes » dont elle se fait la porte-parole ont envie d’enfiler le costume de Piéta dont elle prétend les affubler – pour ma part, si on me donne le choix, j’aime autant les habits de la Liberté dépoitraillée de Delacroix ou, à la rigueur, ceux de Madame Sans-Gêne. Madame le ministre revient aux fondamentaux : « Il existe, nous apprend-elle, une relation symbolique entre l’idée de la femme, de la mère, et celle de la Nation. » On n’en saura pas plus sur cette relation symbolique et peut-être faut-il s’en réjouir. Mais ce n’est pas tout. « Il existe également, poursuit-elle, un ressort vital les conduisant (les femmes) à refuser la mort de leurs enfants. » Comme chacun sait depuis le pétage de plomb du roi David après la mort de son fils Absalon, pourtant rebelle au point d’avoir provoqué une guerre civile, les pères, eux, l’admettent sans problème.

Fariboles dépourvues de la moindre importance, dira-t-on. Oui et non. Je ne sais pas de quoi Benazir Bhutto était le symbole, mais sa béatification prouve, si besoin était, que le féminisme est dans un cul-de-sac, englué dans une bien-pensance qui pense plutôt mal, et pour tout dire pas du tout. « Parce qu’elle touche une femme, écrit la ministre, l’injustice qui a frappé Benazir Bhutto est encore plus criante et universelle. » En clair, il est plus grave d’attaquer une femme qu’un homme. Nous y voilà. Terminus tout le monde descend. Tous les hommes sont égaux, mais certaines sont plus égales que d’autres. Vous, je ne sais pas, mais moi, ce n’est pas là que je voulais en venir.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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