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Rachel Cusk nous convie dans son jardin

«La Dépendance» (Gallimard, 2022)


Rachel Cusk nous convie dans son jardin
La romancière Rachel Cusk © Marta Perez/EFE/SIPA

Son nouveau roman traduit en français, La Dépendance, couronné par le prix Femina étranger 2022, s’inspire des séjours de l’écrivain D. H. Lawrence chez une mécène au Nouveau-Mexique.


Depuis 1993, la Britannique Rachel Cusk publie des livres qui rencontrent un grand succès. Elle a reçu de très nombreuses récompenses, dont le prix Somerset-Maugham en 1997, et elle fait aujourd’hui figure d’auteur culte dans le milieu littéraire.

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Dans La Dépendance Rachel Cusk met en scène le personnage féminin de M, la cinquantaine, qui vit avec son mari Tony dans une campagne à l’écart de tout, une zone de marais au bord de l’océan. Leur propriété est assez grande, et dispose d’une « dépendance » qui leur sert à recevoir des artistes en manque de tranquillité pour travailler.

Quand M découvre, en se promenant dans Paris, le peintre L exposé dans une galerie, elle décide, tant le choc que représente pour elle ses œuvres est grand, de l’inviter dans la dépendance. Rachel Cusk décrit admirablement ce coup de foudre artistique, aux si grandes répercussions pour M. Elle est surtout fascinée par un autoportrait « saisissant », qui lui apparaît comme une révélation d’elle-même : « Autrement dit, se confie-t-elle avec la plus grande sincérité possible, j’ai vu que j’étais seule, et j’ai aussi vu les fardeaux et les bienfaits associés à cette condition, ce qui ne m’avait jamais été véritablement révélé avant ce jour. »

Relations conflictuelles et fascination

Après un échange de lettres qui dure un certain laps de temps, le peintre L finit par arriver, non par bateau, comme il l’avait annoncé, mais par avion. Il est accompagné d’une jeune femme fantasque, Brett, qui n’était pas annoncée. Vont alors se nouer entre M et L des relations difficiles. Comme le dit M : « Mes rapports avec L : lui se dérobant à ma volonté et à ma vision des événements… ». Il y aura donc surtout des dissensions, mais la fascination de M demeurera pourtant très vive. C’est l’artiste en lui-même qui l’intéresse, et ce qu’il va exécuter sur la toile, maintenant qu’il est en ce lieu. Le marais, explique-t-elle, « ressemblait souvent à un tableau qu’il aurait pu peindre ».

Gallimard, 2022

L se réfugie le plus souvent dans la dépendance. Néanmoins, M nous fait état de ses rencontres de hasard avec L, lors de promenades, par exemple au petit matin dans le jardin ou, en s’enfonçant plus loin dans la nature, autour des marais. L, une ou deux fois mis en confiance, lui avoue des choses essentielles sur lui-même, son enfance agitée, ses difficultés, ses hantises. « Il m’a confié sa lassitude vis-à-vis de la société et son besoin constant de lui échapper, le problème que cela posait car il ne pouvait par conséquent se fixer nulle part. » Ce séjour de L sera pour M une occasion de se remettre en question.

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Elle est à un âge justement où un bouleversement de la psyché a lieu chez les femmes. Elle voudrait que L fasse son portrait, mais il lui annonce : « je n’arrive pas vraiment à vous voir ». Elle lui rétorque : « je suis celle qui essaie de se libérer du regard que vous posez sur moi ». Pour L aussi, cette villégiature marque une étape importante, puisqu’il sera malade, victime d’un AVC. Convalescent, il se met alors à peindre différemment, retrouvant une nouvelle inspiration. Lorsque l’heure des bilans sonnera, et que L devra quitter la dépendance et les marais, M pourra noter que son but initial à elle a été atteint : « que L trouve, dit-elle peut-être cyniquement, un moyen de capturer l’ineffabilité du paysage marécageux et révèle de ce fait une partie de mon âme, et la représente ». À vrai dire, La Dépendance est un très beau monologue, un parfait souvenir d’égotisme, rempli de remarques sur la psychologie, l’art, la filiation (M a une fille, Justine, qui vit avec eux), etc. C’est le portrait en pied d’une femme intelligente, un portrait littéraire celui-là, comme si, en dernier recours, longtemps après la visite du peintre, M avait voulu continuer elle-même le travail, et se confronter à ses propres capacités d’écriture, plutôt qu’à la peinture de L, pour cerner la vérité de son âme.

Rachel Cusk, La Dépendance. Traduit de l’anglais par Blandine Longre. Éd. Gallimard.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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