Le 19 septembre, l’inénarrable émission « Quotidien » de Yann Barthès a invité sur son plateau « le premier Français enceint reconnu père de l’enfant qu’il a porté ». «La loi est en notre faveur (…) et la communauté [trans] ne se laissera pas enlever ses droits. On ne se laissera pas faire en cas de rétropédalage » a prévenu le militant.
« Le premier Français enceint reconnu père de l’enfant qu’il a porté ». Traduit en langage pré-woke, il s’agit d’une personne née femme, c’est-à-dire avec un double chromosome X, mais ayant suivi un traitement pour acquérir une partie des caractères sexuels secondaires des hommes, c’est-à-dire des personnes ayant un chromosome X et un chromosome Y, et ayant obtenu d’être considéré(e) comme de sexe masculin à l’état civil. Cette personne a été enceint(e), et a maintenant obtenu à l’état civil d’être reconnue comme le père de l’enfant dont elle/il est la mère biologique.
Précisons avant tout que mon propos, ici, n’est en aucun cas de porter un jugement sur cette personne ou sa famille, que l’on ne saurait réduire à ce seul aspect de ce qu’elles sont, mais de tenter d’analyser l’usage militant qui est fait de ce témoignage, et les soubassements idéologiques de cet usage ainsi que les non-dits qui l’accompagnent.
D’abord l’évidence : pour la bien-pensance « progressiste » (insistons sur les guillemets car rien, dans ce soi-disant progressisme, n’est un progrès) le « padamalgam » est interdit, sauf quand il sert la « bonne cause », et qu’un cas particulier émouvant peut servir à faire passer une généralité abusive.
Qu’est-ce qu’un homme?
Autre évidence, une confusion (volontaire ?) entre le droit et la politique, laquelle vise par nature à faire évoluer le droit. Ainsi, dans l’émission, la personne interviewée dit (en substance) « c’est le droit, c’est comme ça, les gens qui ne sont pas d’accord doivent faire avec » mais simultanément fait référence à des luttes militantes passées pour faire changer le droit, et au refus de sa « communauté » d’accepter sur ce point tout éventuel « retour en arrière ». Limite du juridisme militant, qui absolutise l’autorité de la loi…. mais seulement quand ça l’arrange, ce qui prouve au mieux l’incohérence de cette position, au pire son hypocrisie.
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Dernière évidence, une autre confusion (dont on se demande là encore dans quelle mesure elle est volontaire) entre réalité objective et convention sociale. Qu’est-ce qu’un homme, au sens de « mâle de l’espèce humaine » ? Une réalité biologique et scientifique, factuelle, ou un statut à l’état civil, statut d’autant plus incertain que la même personne peut, si la loi change, être ou ne pas être considérée comme « homme » sans pour autant avoir elle-même changé de quelque manière que ce soit ? Et les questions sous-jacentes sont nombreuses : si « homme » ne renvoie à aucune réalité en soi, à quoi bon militer pour être « reconnu comme homme » ? On le comprendrait dans un contexte où les droits seraient différents d’un sexe à l’autre, mais même alors d’autres questions se posent, et on songe à ces « femmes à pénis » exigeant d’avoir accès aux espaces réservés aux « personnes qui menstruent » – ce qui entraîne des problèmes toujours plus nombreux, problèmes de sécurité, problèmes dans l’existence même des compétitions sportives féminines, etc.
Héritage empoisonné et triomphe des caprices
Une certitude en tout cas, cette confusion rend impossible tout véritable dialogue, comment pourrait-on débattre de la volonté d’une personne d’être considérée comme « homme » si l’on ne peut même pas, d’abord, s’accorder sur le sens de ce mot ? Au-delà de la problématique particulière de la transsexualité, il y a l’offensive globale d’un nominalisme bas de gamme, héritage empoisonné de Derrida, Foucault, Bourdieu, Deleuze et des délires de la « déconstruction », négation du réel prétendant que tout ne serait que construction culturelle et convention sociale – alors que, non, la toxicité de l’arsenic, la force de gravité et les différences physiologiques (par exemple dans le développement musculaire à la puberté) entre porteurs de chromosomes XY et porteuses de chromosomes XX ne sont pas des inventions du patriarcat blanc hétéro-normé, mais des observations factuelles du réel.
Derrière, le but est le triomphe des caprices de la subjectivité et des sautes d’humeur de l’air du temps, le relativisme sans limite, et in fine l’obligation faite à tous de tolérer l’intolérable sous prétexte que, tout n’étant que convention, rien ne serait en soi intolérable, mais seulement décrété tel par d’injustes relations de domination – traquées jusqu’à l’absurde dans la civilisation occidentale, tolérées avec complaisance ailleurs, car pour que triomphe l’arbitraire il faut bien détruire en priorité cette civilisation basée précisément et au moins depuis Homère sur le refus de l’arbitraire et la quête du vrai, du beau, du bien, du juste. Et c’est ainsi que la même association qui nous dit que des hommes peuvent être enceints va, aussi, banaliser l’excision…
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Ce n’est pas tout, aux confusions s’ajoutent les mensonges, ou du moins les omissions très orientées. Ainsi, Ali Aguado déclare « on ne demande à personne de transitionner », c’est-à-dire de changer de sexe/genre. Si seulement c’était vrai ! Hélas, les témoignages (que l’on a peu de chances de voir dans « Quotidien ») abondent de personnes regrettant de s’être laissées convaincre de « transitionner », notamment lorsque ce « traitement » a été suivi pendant l’adolescence, pour ne pas dire au sortir de l’enfance.
L’effrayante théorie du genre
Car pour le « progressisme », à l’âge où l’on n’a pas la maturité nécessaire pour décider lucidement d’avoir des relations sexuelles, on est réputé avoir en revanche la maturité nécessaire pour décider de changer de sexe/genre, c’est-à-dire de subir des actes chirurgicaux et/ou médicamenteux aux conséquences souvent irréversibles, allant jusqu’à la castration physique et/ou chimique, à l’ablation des seins, des parties génitales, à la prise d’hormones, etc.
Et il ne s’agit pas là de témoignages abusivement généralisés, malheureusement, puisque les promoteurs du militantisme « trans » eux-mêmes se vantent d’enseigner à des enfants de cinq ou six ans qu’ils peuvent « choisir leur genre » – alors qu’ils sont à peine en train d’apprendre à habiter leur corps – et présentent le changement de sexe/genre comme la seule solution pour éviter le suicide de très jeunes adolescent(e)s en souffrance. Je renvoie le lecteur, pour approfondir ce point, au récent article de Céline Pina et à ses références, ainsi qu’à celui de Jeremy Stubbs qui dévoile un autre aspect du sujet dont ne vous parlera pas « Quotidien ».
Il faut, cependant, rendre justice à un propos final d’Ali Aguado, qui dit craindre une « ouverture de la fenêtre d’Overton » incitant à des violences contre les personnes trans.
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De même que l’on peut parfaitement faire preuve de tolérance et d’humanité envers les personnes trans sans pour autant céder aux revendications du militantisme trans, on peut très bien refuser les revendications de ce militantisme et s’opposer à la police de la pensée qu’il s’emploie à instaurer sans cesser de traiter les personnes trans avec l’humanité à laquelle elles ont bien évidemment droit – et qui, cela devrait aller sans dire, exclut radicalement toute violence, notamment physique (étant entendu, aussi, que la contradiction n’est pas une violence, n’en déplaise aux professionnels de la susceptibilité).
Ainsi, il est bien évident qu’Ali Aguado, son conjoint et leur enfant au droit au respect, que le suivi médical de sa grossesse était également un droit sans que le moindre jugement de valeur vienne perturber la qualité de ce suivi – n’oublions pas Hippocrate – et que la reconnaissance de la filiation qui l’unit à son enfant est, aussi, un droit.
Abolition du réel
Mais aucun de ces droits n’impose d’accepter l’abolition du réel, et la réduction des notions d’« homme » et de « femme » à de simples constructions culturelles et juridiques, au mépris de toute science. Constater – car il s’agit simplement d’un constat – qu’Ali Aguado est la mère de son enfant et non son père ne la/le prive d’aucun de ses droits, et ne remet aucunement en cause sa légitimité en tant que parent, ni la légitimité de son foyer, ni sa possibilité de vivre son sexe et son genre à sa manière, pourvu que ce soit dans le respect d’autrui.
On notera enfin deux choses. La première, c’est que les agressions de personnes trans ne sont généralement pas le fait de ceux qui leur opposent une contradiction argumentée, mais bien plutôt d’autres « minorités vagissantes » que vous ne risquez pas de voir dénoncées dans « Quotidien ». La seconde, c’est que si rejet des personnes trans il peut y avoir dans le reste de la société, ce sont bien les excès de l’activisme trans qui l’alimentent, et la manière dont il cherche sans cesse à instrumentaliser le respect dû aux personnes pour en faire une obligation de soumission à leurs revendications.
À nous de ne pas tomber dans ce piège et, là comme ailleurs, de refuser que les individus soient réduits à une caractéristique unique, fut-elle brandie comme un étendard militant, tout en nous opposant sans faiblir aux entreprises destructrices et dangereuses du lobby trans et, plus largement, des adeptes de l’arbitraire qui rêvent d’abolir le réel pour mieux prendre le pouvoir.
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