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Quoi de neuf, Woody Allen ?


Lors d’un récent séjour à Paris, j’ai vu le dernier film de Woody Allen, Midnight in Paris. Une subtile récréation, une parenthèse enchantée. Comme le disait Cioran, cette ville est en effet devenue un « garage apocalyptique ». Outre l’agressivité des Parisiens, partout l’encombrement, la tension, le bruit. Probablement sous l’influence du film, je bus un peu, me baladai dans les rues, rêveur, jusqu’à ce qu’un taxi, une Citroën DS noire (tirée d’un film de Melville) m’emmène dans les années 1960.

Je me pinçai violemment, incrédule. Des noceurs m’introduisirent à une fête, une « party » célébrant la fin du tournage de  Quoi de neuf, Pussycat ? , le film de Clive Donner, sur un scénario de Woody Allen. Dans la salle, Ursula Andress discutait avec Capucine (qui se défenestrera trente-cinq ans plus tard de son appartement lausannois). J’échangeai quelques mots avec Peter O’Toole. Quel charisme ! À côté de lui, Brad Pitt ressemble à un pneu crevé ! Lorsqu’au bout de la salle j’aperçus, un verre d’eau à la main, le jeune Woody Allen (âgé de 29 ans), l’euphorie et l’angoisse firent place à la panique… Je pris mon courage à deux mains, m’approchai et lui demandai s’il avait déjà rencontré son modèle, son idéal. Il me raconta sa rencontre avec Groucho Marx. Lorsque, évoquant son immortel génie comique, Allen lui avait demandé ce qu’il aimerait que son public dise de lui dans cent ans, Groucho avait répondu : « Il se porte bien pour son âge…»[access capability= »lire_inedits »]

Woody Allen ne savait pas encore qu’il rencontrerait Ingmar Bergman, lors d’une soirée mémorable où tous deux resteraient quasi mutiques, chacun essayant de faire révéler à l’autre ses secrets. Il y serait question de la rencontre avec son idéal… Allen se saisit de l’idée qu’il mettra en scène, quarante-cinq ans plus tard, dans Midnight in Paris. Déjà, dans Casino royale, il incarnait le neveu de James Bond, intimidé par l’oncle 007, son modèle, qui le laisse aphasique et dont il ne peut soutenir le regard que grâce à une poignée d’anxiolytiques. L’idée sera reprise bien plus tard dans Accords et désaccords où le guitariste Emmet Ray (joué par Sean Penn) voue un culte à Django Reinhardt qui le rend phobique et complexé : Emmet n’ose même pas prononcer le nom de son maître, use de détours, parle du « Gitan de Paris » et, pris de panique, s’évade par les toits lorsqu’on l’informe que Django est dans la salle pour assister à son concert.

Dans Stardust Memories, Allen explore le lien d’ambivalence qui unit la groupie à son idole. Quelques heures après avoir exprimé son admiration pour Sandy (joué par Allen), un fan essaie de l’assassiner. La rose de la dévotion admirative a ses épines… Stardust Memories sortit quelques jours avant l’assassinat de John Lennon par un fan.

L’intérêt de l’art et de la masturbation : créer un monde idéal

Woody Allen m’expliqua encore que les huit mois de tournage à Paris de Quoi de neuf, Pussycat ? n’avaient pas interrompu son analyse, qu’il téléphonait à heure fixe quatre fois par semaine à son psy de New York. Je m’intéressai aux conditions du tournage. Il se lamenta et dit qu’on appréciait son sens de l’humour mais que le réalisateur n’avait de cesse de trahir son propos et de défigurer son travail. Il jura désormais de ne s’impliquer que dans des projets cinématographiques dont il aurait le contrôle total. Il ajouta que c’était même le seul intérêt de l’art : créer un monde idéal, maîtrisé. Le seul intérêt de l’art et de la masturbation… compléta-t-il. Les répliques fusaient, un vrai feu d’artifice. Petit, fluet, les cheveux courts avec une raie sur le côté, Allen portait déjà ses légendaires grosses lunettes. Il parla de sa santé fragile, commenta sa corpulence en précisant que, bébé, il avait tété des seins en silicone… Woody Allen, c’est le triomphe de l’esprit sur la matière, la revanche de l’imaginaire sur le réel. La soirée touchait à sa fin, je quittai la fête étourdi, serrai la main au magicien et m’apprêtai à rejoindre l’asphyxiante réalité.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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