Le récent décollage de la candidature de Mélenchon est probablement le fait majeur de la campagne présidentielle. Son importance ne tient pas du tout à un quelconque traitement de ce qu’on appelle les « questions de fond », à l’approbation idéologique du Front de Gauche ou à tout ce qui pourrait relever de l’analyse et du raisonnement. En démocratie, contrairement à ce que pensaient les philosophes de Lumières, la raison n’est pas très sollicitée, et les élections ne se gagnent ou ne se perdent que rarement sur le ring du débat d’idées et de la confrontation des compétences. Les campagnes électorales, toute comme leurs sœurs jumelles publicitaires auxquelles elles ressemblent de plus en plus, s’adressent avant tout aux passions et aux émotions. En un mot, elles se jouent dans les tripes.
Si « l’effet Mélenchon » prend de l’importance, c’est bien parce que le candidat du Front de Gauche sollicite les tripes plutôt que les neurones et provoque des émotions fortes. Face à la stratégie de Hollande, qui consiste à ne « surtout pas faire d’erreurs », certains perdent patience et sont séduits par un discours plus tranché. Mélenchon suscite donc une adhésion à gauche. Mais en même temps, il crée un autre sentiment puissant, chez ceux qui n’ont jamais envisagé de voter pour lui : la peur. Ainsi, si le sentiment dominant de la campagne était jusqu’ici le rejet voire l’aversion pour Nicolas « le vulgaire » Sarkozy, l’ascension de Mélenchon réintroduit un nouvel élément très puissant : la vieille peur des Rouges.
En quelques semaines, Jean-Luc Mélenchon a démenti l’affirmation de François Hollande selon laquelle « il n’y a(vait) plus de communistes en France ». Quelle que soit l’étiquette qu’on lui colle, son discours a des relents conscients de sans-culottes. Avec des phrases comme « au-dessus de 300 000 euros par an, je prends tout » ou bien « I am dangerous, je vais vous faire les poches ! », l’effet est assuré. Il faut dire que François Hollande avec « mon ennemi, c’est la finance » et sa volonté de créer un impôt symbolique anti-riches a légitimé la désignation de nouveaux aristocrates. D’ici à voir Mélenchon diriger la chorale chantant « ça ira, ça ira, ça ira ! », il n’y a qu’un pas. Le résultat de son ascension pourrait être paradoxal car, chez les 10-15% d’électeurs qui décident des élections, la peur d’une gauche dure pourrait se révéler plus forte que le rejet du « sortant ».
La campagne de Hollande est conçue pour permettre aux électeurs de droite et du centre d’assouvir leurs pulsions antisarkozystes sans craindre courir un risque majeur. Subrepticement, Hollande leur a fait passer le message suivant : je changerai le style plutôt que le fond. Avec un Front de Gauche devenu la deuxième force politique de la gauche, voire la troisième du pays, le candidat du PS sera logiquement (et légitimement) obligé d’assaisonner le Tofu politique qu’il propose avec beaucoup plus de sauce rouge que prévu… au risque de rendre le plat trop piquant pour certains palais délicats.
Est-ce à dire que Jean-Luc Mélenchon provoquera forcément la défaite de François Hollande au second tour de la présidentielle ? Pas forcément. Bien sûr, personne n’imagine que par sa seule force de conviction, le candidat du PS fera se dégonfler celui du Front de Gauche dans la dernière ligne droite avant le premier tour : Hollande n’a jusqu’à présent démontré que sa capacité à faire monter les intentions de vote pour Mélenchon.
Non, c’est au contraire cette poussée continue de l’homme à la cravate rouge qui risque de faire revenir au bercail les électeurs socialistes de Mélenchon, dans les derniers jours avant le vote, voire au moment de glisser leur bulletin dans l’enveloppe. Le paradoxe de ce retournement n’est qu’apparent : ces électeurs que Mélenchon, comme nous le disions plus haut, n’a pas gagné grâce à la conviction , mais à l’esbroufe, risquent fort d’être, au moment fatidique, les plus sensibles aux sirènes du vote utile. Parce qu’ils préfèrent que Hollande soit devant Sarkozy au soir du premier tour, ce qui n’est plus du tout certain. Et parce que le rêve éveillé mélenchoniste d’une divine surprise à gauche (passer devant le PS au premier tour) a pour cet électorat des allures de cauchemar absolu.
Hier sur BFM, Arnaud Montebourg a testé en grandeur réelle un nouvel argument : Jean-Luc Mélenchon, explique-t-il « est le Georges Marchais des temps modernes », or ajoute-t-il, si Georges Marchais avait accédé au second tour de l’élection présidentielle de 1981 en lieu et place de François Mitterrand, « nous n’aurions pas gagné » contre Valéry Giscard d’Estaing. Pour le bobo radicalisé lambda, l’argument est imparable…
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