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Qui veut taxer les millions ?


Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Sylvain Gouz débattent du projet de réforme fiscale de François Hollande.

Moins de deux mois avant le premier tour, du haut de ses 16 points d’écart avec le « sortant », François Hollande a jugé indispensable de donner corps à son grand projet de réforme fiscale avec une mesure-phare : une tranche d’imposition supplémentaire pour les plus hauts revenus. Très peu des Français sont directement concernés, peu d’argent sera récolté et la vision d’ensemble, la logique interne à cette mesure échappe à un de ses plus proches conseillers économiques. En revanche le candidat rassembleur désigne clairement l’ennemi : les riches. Le socialisme retrouve ses origines primitives : pour aider les petits y a qu’à aller chercher l’argent dans les poches des gros.
Que Jérôme Cahuzac, chargé du projet de budget de Hollande, soit tombe des nues quand Yves Calvi lui annonce la dernière mesure de son candidat – 75% d’impôts pour la tranche située au-delà d’un million par an — prête à sourire mais n’est pas le plus grave. Ce genre de cafouillages arrive toujours dans une campagne, et tombe souvent à point nommé pour réveiller l’électeur un rien assoupi. Non, le vrai problème, c’est que Cahuzac n’a pu cacher son désaccord… On ne saurait le lui reprocher : son candidat qui n’a que le mot cohérence à la bouche a sérieusement manqué de cohérence économique. C’est le fond de l’affaire.

Que les lecteurs de gauche se rassurent, si la cohérence économique et sociale n’est pas vraiment au rendez-vous, sa logique politique est implacable. Le pays est en colère et la meilleure façon de s’adresser aux millions de déçus du sarkozysme est de leur désigner un bouc émissaire. Tant pis si les chiffres n’ont pas de sens précis. Hollande a choisi 75% mais cela aurait pu être 60%, 70% ou, pourquoi pas pendant qu’on y est, 80%. Il faut croire que les multiples impairs de 25 sonnent plus sérieux que les autres chiffres, puisque 24 heures plus tard, le président choisira lui de fixer à 25 % l’espérance de gain salarial des profs amateurs d’heures sup…
Quant au seuil de la nouvelle tranche, le chiffre rond et symbolique du million a une seule fonction : pointer du doigt les méchants millionnaires (sauf Yannick Noah qui aime les gens, et puis aussi Zidane et Jean Dujardin qui ont bien du talent).

C’est bien de parler d’Economie aux Français. Encore faut-il essayer de ne pas avoir comme seul référent théorique le Père Noël. Et comme seule méthodologie les yaka et les fokon. Ainsi, concernant les déclarations péremptoires des uns ou des autres les niches fiscales, nous avons déjà démontré ici que l’annulation d’un dispositif, au lieu de rapporter immédiatement 100% du prétendu manque à gagner à l’Etat, modifie le comportement des acteurs économiques et pourrait même entraîner des coûts supplémentaires. C’est le genre de chose qu’on apprend partout, y compris à l’ENA.
Cela n’empêche pas François Hollande de nous resservir sur l’impôt le même raisonnement pour élève de petite section de maternelle. Il aurait dû mieux écouter la représentante des buralistes du Gard qui, lundi soir dans Paroles de candidats sur TF1, décrivait les effets pervers de l’augmentation du prix du tabac. Parfois, lorsque les intentions sont bonnes et rejoignent le simple bon sens (le prix élevé des cigarettes découragerait les fumeurs, améliorerait à la santé publique tout en renflouant les caisses de la sécu), la réalité se plait à les démentir. Ainsi, au-delà d’un certain seuil — impossible à prévoir — toute augmentation supplémentaire nuit. La contrebande devient rentable, les buralistes sont de plus en plus visés par les braqueurs et le nombre de fumeurs cesse de baisser. Eh bien, avec les impôts c’est pareil ! Personne ne peut supporter une taxation à 75 % voire plus et encore moins d’être systématiquement montré du doigt comme ennemi de la nation.

Pour toutes ces bonnes raisons, les Cahuzac du Parti Socialiste vont probablement ramener leur candidat à la raison et, comme avec son ancien meilleur ennemi, la finance, François Hollande trouvera l’occasion de rassurer les riches. Mais après le scrutin, cette fois…
Bref, ç’aurait pu être un grand chantier et c’est un grand foutoir. Au lieu d’une réflexion novatrice sur la fiscalité, source de recettes pour l’Etat mais aussi outil important de lutte contre les inégalités excessives et levier stratégique pour encourager l’activité économique, nous nous retrouvons avec une phraséologie de lutte des classes digne de Georges Marchais (qui lui aux moins n’essayait pas d’envoyer en douce des messages rassurants aux traders de la City). La stratégie est donc claire: désigner face caméras à la vindicte populaire des salauds de série Z pour caresser les passions les plus tristes de l’électorat. Dix minutes plus tard, dans une autre émission, on ira dénoncer le populisme éhonté de Marine Le Pen l’inconsistance programmatique de François Bayrou, le manichéisme diviseur de Nicolas Sarkozy ou le dogmatisme économique de Jean-Luc Mélenchon, quatre défauts politiques bien réels et bien français que le million de Hollande résume parfaitement à lui seul…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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