Pourquoi est-on depuis la mi-juillet sans aucune nouvelle d’Ingrid Betancourt ?
A priori, c’est tout bêtement parce qu’elle prend un repos bien mérité aux Seychelles – et puisqu’il n’y a rien à dire, les médias ne disent rien. Première nouvelle. Cette version raisonnable et romancée des faits devrait satisfaire les rédacteurs en chef et les amateurs de conte de fées.
Le problème, c’est qu’il se passe un tas de choses, depuis qu’ici et là-bas, on a éteint les lampions de la libération.
Il y a tout d’abord les misères conjugales de Juan Carlos Lecompte, dernier époux officiel en titre de l’ex-otage des FARC. Des déboires abondamment commentés dans la presse hispanophone, qui a largement repris l’interview sans équivoque donnée par Juan Carlos à El Tiempo de Bogota, où il constate, amer, que « l’amour que me portait Ingrid s’est sans doute évanoui dans la jungle… » Une détresse évoquée uniquement en France par Le Monde dans son édition du 1er août avec, rassurez-vous, toute la pudeur qui sied à ce douloureux événement : « Resté seul à Bogota, le mari d’Ingrid Betancourt l’attend encore. La captivité est une indicible tragédie, pour les otages comme pour leurs familles. » On imagine que les autres médias français ont souhaité faire preuve d’encore plus de ce tact qu’on leur connaît.
On s’étonnera néanmoins que d’autres développements de l’affaire, moins strictement intimes, soient restés sans écho ici. Car si dans les rédactions parisiennes, on lit assez peu la presse colombienne, on reçoit néanmoins CNN. Et on peut imaginer que compte tenu de l’exposition relativement importante d’Ingrid Betancourt juste après sa libération, il sera trouvé quelques journalistes pour regarder son interview par Larry King et en rendre compte au public français.
Comme tel ne fut pas le cas, nous allons vous raconter l’épisode que vous avez manqué : Ingrid s’est aussi brouillée avec sa meilleure amie, Clara Rojas, qui fut sa directrice de campagne et sa compagne d’infortune en captivité. Voici pourquoi.
Clara a eu une liaison avec un de leurs ravisseurs, dont est né un petit garçon, baptisé Emmanuel. Or selon certaines rumeurs dont on ignore l’origine, Emmanuel a failli ne jamais voir le jour, ou presque : aussitôt après l’accouchement, sa maman aurait essayé de le noyer dans une rivière. Le nouveau-né n’aurait survécu que grâce à l’intervention miraculeuse d’Ingrid qui avait empêché in extremis l’infanticide.
Pressée par Larry King de démentir cette probable calomnie, Ingrid s’en est bien gardée se contentant d’un commentaire aussi sibyllin qu’assassin : « Il faut laisser dans la jungle bien des choses arrivées dans la jungle. » C’est beau, l’amitié.
Du coup, Clara, dont on ne garantira pas non plus l’absolu sang-froid, a entrepris de contre attaquer. De façon soft, pour commencer : Ingrid ne pouvait rien savoir de « sa vie privée » puisque « j’étais dans la zone non-fumeur du camp, et Ingrid se trouvait du côté des fumeurs. Dès les premiers moments de ma grossesse nous ne nous voyions plus beaucoup. A peine nous disions-nous bonjour lorsque nous nous croisions… » Mais il se murmure que la dite Clara, non contente, donc, d’accuser son ancienne patronne d’avoir violé la Loi Evin, envisagerait un livre de révélations.
On s’en doute, cette polémique fait les gros titres en Amérique Latine. Ce qui fort heureusement ne risque pas d’arriver ici. Et n’allez surtout pas croire que c’est parce qu’il serait interdit par un prétendu Parti des médias de remettre en doute la sainteté d’Ingrid Betancourt. Mais il se trouve que notre presse a bâti son honneur autour d’une loi d’airain : en France, on n’évoque pas la vie privée des personnes publiques. C’est tout à son honneur.
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