Chronique sur la langue française, son charme, ses difficultés, et… ses nouveaux locuteurs
La langue française est une belle langue complexe, subtile et riche, pleine de pièges qui la rendent encore plus délicieuse aux yeux de celui qui sait les déjouer. Ou qui croit savoir les déjouer car, rien à faire, à un moment ou à un autre, même le plus attentif et scrupuleux défenseur de la langue française trébuche. Dans une de ses chroniques, Alexandre Vialatte avouait avoir péché par orgueil et par « ignorance péremptoire » : il était convaincu qu’il fallait dire « vous contredites ». Un beau jour, en proie au doute, il consulte un dictionnaire, se frotte les yeux et bat sa coulpe : il faut dire « vous contredisez ». Dernièrement, dans un papier pour Causeur, j’ai écrit fautivement « quoiqu’elle en dise ». Un ami m’en ayant fait gentiment la remarque, j’ai recopié cent fois la règle qui stipule que « quoique » ne s’écrit en un seul mot que dans les cas où il peut être remplacé par « bien que ». On voit par là que l’homme, quoique remontant à la plus haute Antiquité, en apprend tous les jours ; et que, quoi qu’il pense de lui-même, il ne peut se passer ni d’un dictionnaire ni d’un solide Bescherelle, ces superbes outils lexicographiques et grammairiens qui devraient trôner sur le bureau de tous ceux qui se destinent à partager un peu de leur prose.
La réforme de l’orthographe ne convient pas à tout le monde
Tandis que je me remettais à grand-peine de ma faute, je tombai, dans un hebdomadaire réputé pour son sérieux, sur un article qui allait conforter l’adage selon lequel quand on se regarde on se désole et quand on se compare on se console. À la fin de ce court article consacré à Assa Traoré et ses multiples condamnations pour diffamation, le journaliste écrit : « Si, à l’issu des deux mois, Assa Traoré n’a pas appliqué la décision de justice “il pourra être statué sur une nouvelle astreinte”, a priori plus élevée. Assa Traoré devra dors et déjà reverser 100 euros aux gendarmes, pour n’avoir pas appliquer cette décision lundi, et 200 cents euros si elle n’applique toujours pas la décision aujourd’hui. Contacté par nos soins, l’avocat d’Assa Traoré, Maitre Yassine Bouzrou, n’a pas souhaité répondre à notre sollicitation. »
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Certains plaideront que l’accent circonflexe sur la voyelle de certains mots n’est plus une obligation depuis la réforme de l’orthographe de 1990. D’autres, dont je suis, considéreront que cette absence blesse l’œil et le cœur. Retirer son accent circonflexe au mot château, c’est abattre ses hauts murs et ses tourelles et commencer de visiter des ruines. Une âme privée de son accent errera dans Dieu seul sait quel cercle de l’Enfer. Une “flute” jouera toujours faux. Les promoteurs de cette réforme nous privent à la fois de l’histoire et de la joliesse de cet accent et des mots qu’il coiffe. Ils n’imaginaient d’ailleurs sûrement pas les funestes conséquences de leurs recommandations pour « simplifier » l’orthographe : avec l’accent circonflexe, ce sont les accents graves et aigus, et l’orthographe des mots les plus simples, et la syntaxe la plus élémentaire, qui disparaissent des copies de nos lycéens, ces grands cimetières de notre langue.
Notre novlangue techno-globishisée
Passons rapidement sur cette « issu » qui m’a laissé sans voix. Quant à « dors et déjà », cette horreur montre que celui qui l’a écrite n’a vraisemblablement jamais lu la locution adverbiale « d’ores et déjà » ; il l’écrit par conséquent phonétiquement, c’est-à-dire comme il l’entend et non comme elle doit s’écrire. Ce n’est pas entièrement de sa faute : en cinquante ans, des « scientifiques de l’éducation » ont drastiquement diminué le nombre d’heures de cours de français dans l’école primaire puis au collège ; la dictée flash et la twictée ont remplacé la dictée traditionnelle ; la lecture d’œuvres littéraires a été réduite à sa plus simple expression. Le mauvais exemple vient de haut. L’écriture inclusive promue jusque dans certaines de nos universités et la novlangue techno-globishisée de nos élites participent également à cette entreprise de démolition linguistique. Ces dernières, sorties parfois de nos plus grandes écoles, déclarent aujourd’hui en toute impunité être en capacité de gouverner ou se sentir en responsabilité de mener telle action. Puis elles cherchent à savoir de quelle manière les habitants d’ici ou d’ailleurs, et en particulier Alain Ternational, ont été impactés par les dernières mesures du gouvernement.
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À ce propos, quelqu’un, parmi les lecteurs de Causeur, peut-il me dire qui est cet Alain Ternational ? Où se trouve Alain Ternational ? Dans quelle officine secrète travaille obscurément Alain Ternational ? Car je n’entends plus parler que de lui. On l’interroge, on le questionne, on réclame son avis qu’il ne donne jamais. Dernièrement, un journaliste lui demandait : « Que pense-t-on de cette déclaration Alain Ternational ? » Panne de micro ou satellite défaillant, nous n’entendîmes pas la réponse d’Alain Ternational. Deux jours plus tard, un autre journaliste, après un bref exposé sur les relations diplomatiques entre la France et la Turquie, l’apostrophait : « Quelles sont les réactions Alain Ternational ? » Alain Ternational, sans doute interloqué par la brusquerie du journaliste, ne répondit pas, et ce dernier continua de lire son papier comme si de rien n’était. Le 15 avril dernier, face à Caroline Roux dans l’émission Les 4 vérités de France 2, Anne Hidalgo, vantant le travail réalisé par la mairie de Paris, déclarait : « Ce que nous avons su montrer ces dernières années, ça nous est reconnu, par les parisiens et Alain Ternational, c’est que nous avons su conjuguer en même temps ce patrimoine et la modernité. » Voilà qui est bien étrange. Plus étrange encore, les auteurs du dernier rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris préconisent de « démarcher des artistes non blancs de haut niveau », « y compris Alain Ternational. » Le mystère s’épaissit. Alain Ternational est-il noir ? Alain Ternational vit-il à l’étranger ? Est-il un artiste, un diplomate, un architecte urbaniste ou une éminence grise ? Qui est Alain Ternational ?
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