Que révèlent les protestations contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD ainsi que les griefs formulés par le Monde contre les médias du groupe Bolloré ? Tout simplement que ceux qui prétendent défendre le pluralisme de la presse n’y croient pas du tout, puisqu’ils refusent toute opinion un tant soit peu conservatrice. Le billet de Philippe Bilger.
La rédaction du JDD a mis fin à sa grève historique de 40 jours. Le journal pourrait paraître dans les kiosques, au plus tôt, le dimanche 13 août (Le Figaro). À l’évidence cette issue – on a l’impression qu’elle ne réjouit pas tout le monde et qu’au nom d’une politique du pire on aurait souhaité la continuation de la crise – n’a pas mis fin aux aigreurs et aux fantasmes des donneurs de leçons médiatiques. Au premier rang desquels le quotidien Le Monde qui croit nous apprendre quelque chose avec cet éditorial : « Une presse d’opinion ne peut s’affranchir de tout principe ».
Je pourrais me contenter de cette interrogation : de quoi se mêle-t-il donc ? J’admets que ce serait un peu court.
Il me semble que l’argumentation serait déjà un peu plus dense en questionnant la légitimité de ce quotidien à se poser en surplomb et à s’offrir comme exemple de ce que devrait être, selon ses vœux, une presse d’opinion digne de ce nom. Sur ce plan, même si je ne peux me passer de sa lecture tout en ayant régulièrement le sentiment, et pas seulement sur les sujets régaliens, qu’une partialité élégante y domine (avec notamment une surabondance de tribunes libres de même acabit), il est clair que cette prétention est injustifiée.
En effet la tonalité générale du Monde n’est pas de nature à susciter l’enthousiasme de ceux qui aspirent à une presse vraiment libre et pluraliste, dégagée du progressisme chic de gauche, de l’indulgence pour l’extrême gauche et du courroux exclusif à l’encontre de ce qui est qualifié d’extrême droite, avec une information trop souvent biaisée par le désir de voir le réel tel qu’on le rêverait.
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Cette obsession aussi de considérer que Geoffroy Lejeune, parce qu’il a été rédacteur en chef de Valeurs actuelles avec des sympathies politiques clairement affichées, serait, par une sorte de mimétisme pervers, forcément le même à la tête du JDD sans tenir compte du passé de ce dernier (pas de quoi se vanter non plus avec son macronisme et ses plaidoiries constantes en faveur de Nicolas Sarkozy empêtré dans le judiciaire !), de son lectorat et de la faculté d’adaptation de celui qui ne serait pas assez sot pour oublier de mesurer les effets de cette grève de 40 jours et le poids des attentes sur sa future pratique de direction. Geoffroy Lejeune, à supposer qu’il ait mérité le regard hystériquement critique sur lui hier, ne sera évidemment pas le même demain.
Mais le pire, dans cet éditorial du Monde, est ailleurs, dans cette sinistrose complaisamment développée et d’autant plus scandaleuse qu’elle est non seulement répétitive mais aberrante et mensongère.
D’abord je ne vois pas en quoi la démarche, qui plongerait « dans l’incertain une institution comme le JDD »… serait « autrement inquiétante ». Comme si cette publication était investie d’une essence sacrée et que Geoffroy Lejeune, avec son équipe de journalistes, allait forcément briser une mythologie. C’est surestimer le JDD d’hier et sous-estimer par avance celui de demain.
Ensuite je ne suis pas davantage convaincu par le poncif politique partisan, au sujet de CNews et d’Europe 1, qui voudrait, que « sous le contrôle du groupe bâti par Vincent Bolloré, la pluralité d’opinions dans la presse française aura encore reculé ». C’est exactement l’inverse. Le pluralisme, auquel tient tellement le Monde – mais le sien singulièrement rétréci à sa vision orientée de la France et du monde – sera au contraire rendu plus effectif puisque viendra s’ajouter à la représentation médiatique classique, globalement progressiste, une perception conservatrice sur les sujets de société comme sur d’autres. Derrière la fronde des médias traditionnels, il est manifeste que s’exprime la volonté d’une « chasse gardée » et le refus d’une intrusion pourtant bénéfique à la presse d’opinion et à la démocratie.
Comment cet éditorial ose-t-il, enfin, feindre l’inquiétude, avec une totale mauvaise foi, en se demandant : « Qu’en attendre en matière de respect des faits, régulièrement malmenés sur plusieurs chaînes de ce même groupe, ou de journalisme d’investigation, puisqu’il y est manifestement considéré comme une hérésie ? » ?
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Tant au regard de mon expérience personnelle que de l’ensemble des émissions auxquelles il est fait implicitement référence, j’affirme que le procès intenté à CNews comme à Europe 1, par une vision de l’information non pas meilleure que la leur mais désireuse d’être unique, n’a pas la moindre once de crédibilité, et pas davantage à force d’être ressassé…
Je ne me fais aucune illusion. Personne n’a le droit de jeter la première pierre à Geoffroy Lejeune mais peu importe. Que le JDD sorte brillamment ou non de ces quarante jours, il aura des adversaires compulsifs.
Mais que ceux-ci ne couvrent pas leur totalitarisme du voile d’un prétendu pluralisme.
Puisqu’ils ne supportent que le leur.
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