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École: Qui a jeté la clef du monde merveilleux de la lecture?

Une tribune du collectif « Les profs avec Zemmour »,


Pour que nos enfants retrouvent l’accès au monde merveilleux de la lecture, il faut rompre avec l’imposture des méthodes dites globales ou mixtes. Les «Profs avec Zemmour» reviennent sur quarante ans de dérives pédagogiques.


Au pays de Molière, les enfants ne sauraient-ils plus lire ? Nous, professeurs des écoles, sommes de plus en plus nombreux à le constater. Combien de CM2 voit-on partir au collège sans réelle maîtrise de la lecture – « plus de 20% », selon les chiffres pudiques du Ministère[1], autour de 25% selon un journal que l’on ne peut certes pas taxer de conservatisme, en 1996[2]… alors aujourd’hui?

Longtemps niée, cette dégradation des capacités à lire des élèves français est désormais pointée du doigt par de nombreuses études internationales, comme PISA ou PIRLS[3]. La France est en chute libre. La lecture est au centre de cette chute : c’est l’œil du cyclone.

Il est temps de prendre conscience de l’inefficacité des méthodes prônées depuis quarante ans si nous voulons former à nouveau des lecteurs. À nouveau – tout est là : le constat du déclassement dans ce domaine est imparable. Que savaient donc faire nos instituteurs d’antan, que nous avons oublié ?

Automatiser la lecture pour s’ouvrir au sens

Les enfants apprenaient à lire grâce à la méthode syllabique (dite aussi « alphabétique »): ils reliaient des lettres pour former des syllabes, puis des syllabes pour former des mots. Les exercices étaient répétitifs et peu variés au début. « ma, me, mi, mo, mu… ». Peu à peu, les élèves lisaient des phrases puis des textes. Et plus ils automatisaient le déchiffrage, plus ils accédaient au sens, tout en se construisant un vocabulaire et un capital culturel.

Il n’y avait qu’à entrer dans une classe de CP pendant le moment sacré de la lecture pour entendre ce petit bourdonnement caractéristique des élèves qui énoncent leurs syllabes. Cette méthode éprouvée était au cœur de l’appropriation, par chacun, de la culture : romans de chevalerie, contes de fées, histoires régionales, almanachs… habitaient les imaginaires, les mémoires collectives. La lecture ouvrait à tous les mondes.

Loin du « dressage » dénoncé alors par les nouveaux pédagogues, cette accommodation est un phénomène actif: l’enfant intériorise un aspect nouveau de la réalité, le code graphème-phonème. Plus il déchiffre vite, mieux il accède au sens ; cet automatisme libère chez lui de la mémoire de travail.

Rappelons que les hommes ont toujours appris à lire ainsi, depuis l’invention de l’écriture ;  en se plaçant au plus près de la « double articulation » du langage, révélée par Ferdinand De Saussure[4]. Les neurosciences elles-mêmes confirment qu’il s’agit là d’une propriété naturelle du cerveau[5].

Vecteur d’égalité, puisque chacun dispose du code universel lui permettant d’entrer dans la sphère du sens, la méthode syllabique pure a pourtant régressé au point de quasiment disparaître dans nos écoles ces dernières décennies. Pourquoi ?

1968: Révolution ou régression ?

1968 marque le point de départ d’une vaste inversion des valeurs qui ronge inexorablement l’École, jugée « ringarde » à l’heure où il est « interdit d’interdire ».

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La profession d’instituteur connaît à ses dépens une sorte de révolution copernicienne. On veut une école plus centrée sur l’enfant, plus ludique. L’enfant devient le point focal du souci pédagogique : désormais, l’étalon du maître descendu de son estrade, c’est l’enfant roi.

La première discipline à payer le prix de cette révolution est la lecture, car elle est, au début, ingrate. Son plaisir ne vient que sur le tard. Elle exige, à l’inverse des écrans qui font alors leur entrée dans les foyers, un investissement entier.

Baisse du temps scolaire – de 30 à 24 heures hebdomadaires -, émergence des “Sciences de l’Éducation”, programmes de plus en plus ambigus quant aux méthodes de lecture à choisir… On touche le fond avec la mode de la méthode globale qui instaure la lecture comme une quête d’indices, le maître ne devant jamais, ou presque, donner les clefs du code syllabique. En 1972, les Instructions Officielles amènent un flou dévastateur autour de la lecture : « Des résultats également bons peuvent être obtenus par des démarches différentes. »[6] L’élève devient un apprenti chercheur… qui ne trouve rien du tout, sauf s’il a accès à des compensations culturelles dans un milieu favorisé.

À partir des années 2000, devant l’échec grandissant de l’apprentissage de la lecture, l’Éducation Nationale tente de s’en sortir par une pirouette : puisqu’ils ne savent plus lire à la fin du CP, on étend l’apprentissage de la lecture à tout le cycle 2 ! C’est Najat Vallaud-Belkacem qui porte l’estocade finale : « L’apprentissage de la lecture est décliné en une somme de compétences à acquérir sur trois ans. »[7]

Et aujourd’hui ?

Bon an mal an, nous assistons à un retour discret de la méthode syllabique dans la majorité des manuels, qui proposent de fait, une « approche mixte » : l’élève travaille sur le code et en même temps est amené à lire des mots outils ou des mots-images. La méthode mixte domine car elle donne l’illusion que l’enfant est actif ; en réalité, il est contraint de conjecturer et d’associer presqu’au hasard des objets mentaux hétéroclites, sans posséder de règle sûre.

Seule la méthode syllabique pure, plus efficace et paradoxalement plus égalitaire, permet aux élèves de comprendre cette démarche intellectuelle qui les place tous devant un code unique, valable dans toutes les situations.

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Refuser cela, c’est ne réserver l’apprentissage de la lecture qu’à une élite, comme le souligne Bernard Lahire[8] et renoncer à l’efficacité. Jérôme Deauviau explique ainsi qu’il existe 19 points d’écart sur 100 entre le manuel le moins efficace de la méthode mixte et le plus efficace de la méthode syllabique[9].

Mais les enseignants sont encore pour beaucoup prisonniers de leurs propres représentations et de l’offre éducative, rare en manuels syllabiques purs[10] : ainsi, Jérôme Deauviau montre que 77% des P.E. ont choisi des manuels des méthodes mixtes[11].

Concluons

Nous, maîtres expérimentés, pensons qu’il est temps que l’Institution s’affranchisse d’une pédagogie idéologisée, soi-disant « progressiste », pour adopter un pragmatisme salutaire. Le défi à relever pour la lecture, se trouve donc à la fois dans la formation initiale des Professeurs des Écoles et dans leur formation continue : celles-ci ne doivent plus inciter à perpétuer les mêmes erreurs.

Enfin, d’une manière plus générale, osons dire que la méthode syllabique participe pour beaucoup d’une construction solide de la posture de l’élève. Les efforts et la rigueur qu’elle exige rend les élèves responsables, autonomes, persévérants ; coûteuse en énergie pendant quelques mois, quelle n’est pourtant pas la fierté de l’enfant qui parvient à lire seul ses premiers mots – quand, pour paraphraser Kant, « il semble pour lui qu’une lumière vienne de se lever ».


[1] https://www.education.gouv.fr/transmettre-les-savoirs-fondamentaux-2849

[2] https://www.liberation.fr/vous/1996/05/03/un-quart-des-eleves-de-6e-ne-savent-ni-lire-ni-compter_172590/

[3] Résultats PISA 2018, www.oecd.org/PISA2018

Etudes PIRLS 2016, évaluation internationale des élèves de CM1 en lecture et lecture compréhension, education.gouv.fr

L’OCDE pointe notamment “un écart de 4 ans en France, entre le niveau des 10% des élèves des familles les plus aisées et les 10% les plus pauvres » ! Plus ciblées sur le primaire, les études PIRLS montrent que la France se situe aujourd’hui à la 29ème place sur 40 ; et que depuis 2001, les performances baissent régulièrement, surtout en lecture de textes informatifs.

[4] DE SAUSSURE F, « Ecrits de linguistique générale», Paris, Gallimard, 2002.

[5] S. DEHAENE« Les neurones de la lecture », Editions Odile Jacob, 2007 : “Tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d’aires cérébrales, qui met en liaison l’analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique.”

[6]  I.O. Circulaire n°72-474 du 4 décembre 1972.

[7] BO du 5 septembre 2013. Circulaire n°2014-081 du 18-06-2014.

[8] “Les discours qui condamnent l’austérité des règles, la sécheresse des techniques, l’aridité des principes et des consignes clairement énoncés et enseignés ont des présupposés et des conséquences élitistes. » LAHIRE B., « Savoirs et techniques intellectuelles à l’école primaire » in DEAUVIAU J. et TERRAIL J.P. « Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs. », La Dispute, 2007.

[9] DEAUVIAU J, rapport de recherche, « Lecture au CP : un effet manuel considérable », Université de Versailles, site GRDS, novembre 2013.

[10] Manuel « Léo et Léa », Sommer M. et Cuche T, Belin, 2009. Manuel « Je lis, j’écris », collectif, éditions Les Lettres Bleues, 2019.

[11] J. DEVIEAU, Ibid.



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