Un nouveau livre de Jenny Uglow, traduit de l’anglais, retrace la carrière du plus célèbre illustrateur britannique vivant, complice de Roald Dahl et artiste majeur de la littérature jeunesse mondiale.
Nous avions Sempé, les Anglais ont Quentin Blake. Il fêtera ses quatre-vingt-dix ans en décembre. Chez nous, le dessin a mis un certain temps à exister par lui-même. Le texte prime sur l’image. Le Littré écrase les feutres de couleur. Ici, on ne badine pas avec les mots. L’auteur accepte d’être illustré par défaut, sur la pression de son éditeur, il a toujours peur que l’on vienne contester son magistère intellectuel, son antériorité. Il ne partage pas si facilement la gloire et ses droits. Lui devant, le créateur, l’ordonnateur de l’Histoire, l’architecte de la trame, et, pourquoi pas, derrière, au second plan, le décorateur qui ajoute une légère touche de fantaisie, quelques coloriages afin d’attirer des lecteurs supplémentaires et séduire les anachorètes du paysage.
Gare au dessinateur qui aurait des envies d’égalité ! Qu’il garde bien ses distances et se satisfasse déjà d’apposer son nom sur la couverture en caractères minuscules. L’illustrateur est dans la position du collaborateur de Sarkozy. Condamné au silence et à l’oubli. Au fil des ans, la balance tend à se rééquilibrer. Nous savons pertinemment que les grands duos (écrivain/dessinateur) font les grandes œuvres. Si Goscinny et Sempé ne s’étaient pas rencontrés, le Petit Nicolas aurait sombré dans l’anonymat des bibliothèques comme tant d’autres héros de notre enfance. Au Royaume-Uni, on respecte les illustrateurs au point de les anoblir et de les barder de décorations. Ils sont comme ses anciens combattants lestés de médailles, au pied d’un monument aux morts. Ils inspirent la confiance et la sympathie, l’amour de la Nation pour services rendus. Le protocole et la mémoire sont les derniers remparts d’une société qui n’a pas encore totalement versé dans la farce et le ressentiment. Quentin Blake, né en 1932, est une institution bien vivante.
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Cet anticonformiste devenu un classique a été, entre autres, nommé commandeur de l’ordre de l’Empire britannique en 2005 et il a reçu le titre de Royal Designer for Industry de la Royal Society of Arts. Appelez-le «Sir» depuis qu’Elisabeth II l’a anobli en 2013. Il est donc honoré, vénéré, récompensé, on lui a octroyé toutes les plus hautes distinctions, toutes les chaires s’inclinent devant son génie du trait suspendu, saccadé, haché, violent dans son exécution, griffant la page avec rage et étrangement doux à l’œil comme s’il recelait une humanité délicate et claudicante. Pour tout savoir de l’œuvre de cet artiste majeur à cheval entre le XXème et XXIème siècles, Gallimard publie Le livre de Quentin Blake de Jenny Uglow, traduit par Marie Ollier.
Vous y retrouverez toutes les étapes de sa carrière, de ses premiers dessins pour le magazine Punch dont il fut le plus jeune collaborateur de tous les temps; il n’avait alors que seize ans à ses duos célèbres jusqu’à ses illustrations recouvrant les murs des hôpitaux et des espaces publics. Ce Daumier originaire du Kent a eu son premier choc visuel en découvrant Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du Paradis. Il a puisé dans ce film une sorte de funambulisme et d’onirisme, une manière d’enjamber la réalité sans l’ignorer. Quentin a détaché la littérature de jeunesse dans ce qu’elle pouvait avoir de plus bêtifiant et lénifiant, il l’a extraite de sa puérilité enfantine sans l’amputer pour autant de son côté merveilleux. Le miracle tient à ce mariage détonnant entre un dessin mordant, volontiers provocateur, porté par une forme de hargne, – cet élan libérateur semble se moquer des conventions, – et la réception dans notre tête qui laisse une trace de nostalgie. « L’homme aime varier les techniques : crayon, encre, lavis à l’aquarelle, voire impressions digitales monumentales. Il apprécie la griffure hasardeuse de l’antique roseau ou de la plume d’oie, allant jusqu’à utiliser celle d’un vautour, offerte par une Française », nous renseigne l’auteure de ce beau livre. Quentin illustre avec la force du condamné, il est meurtri, passablement énervé, remonté, mais de ce trait fuyant l’on ne retiendra qu’une tendresse écorchée, une errance douce, en somme, le réconfort par les larmes. C’est Bonjour tristesse en images ! Loin de la ligne claire, sa virtuosité gratte la feuille blanche, qu’il croque un de Gaulle (de profil) en Une du Spectator ou conte la quête picaresque de Don Quichotte pour les éditions Folio Society. Avec lui, nous revenons en enfance qui est la chose la plus sérieuse qui soit. Il était donc fait pour s’entendre avec Roald Dahl (1916-1990). Dès 1978, ces deux-là ont travaillé ensemble et ont figé notre imaginaire. Quentin est l’homme qui a mis un visage sur Le Bon Gros Géant, Mathilda, Charlie, les Deux Gredins ou Georges Bouillon. Et pour ça, nous lui sommes éternellement reconnaissants.
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