Pour tout bagage, Morgane Martin a 17 ans et la beauté du diable. Lorsque Hughes l’aperçoit, il croit voir un spectre : « Cette pluie, cet orage formidable sont l’onction de la Nature à sa délivrance, sa seconde naissance. L’union de la Terre et du Ciel pour célébrer sa nouvelle vie à l’aune d’une promesse brillant de mille feux dans son esprit enfiévré. Il l’aime. » En pleine cambrousse, l’ancien rugbyman reconverti dans le notariat débarque au pays des querelles de voisinage pour régler une affaire d’héritage.
Marié mais cocu, Hughes « le Nantais » tombe sous le charme de Morgane. Mais son irruption dans le marigot local réveille des haines héréditaires dont bien peu se sortiront indemnes. Voilà pour l’intrigue.
Après le sombre mais haché Beyrouth-sur-Loire, Pierric Guittaut polit sa cuirasse de romancier avec La Fille de la pluie. L’auteur joue avec les poncifs du polar rural (chasse, scènes d’amour champêtres, joutes dans les bistrots) mais il n’en renouvelle pas moins les codes par son paganisme noir. À l’image de l’ancien sanctuaire de la « Combe aux loups », théâtre d’étreintes interdites où poussent les cadavres, les lieux bousculent le songe cartésien d’une Nature domestiquée. Ici, Prométhée plie devant Gaïa. Quand les éléments se déchaînent, les corps fusionnent : la sensualité primitive des personnages féminins donne la mesure d’une Nature souvent hostile. Ainsi, il n’est pas innocent que la première et l’ultime apparition de l’héroïne se fassent sous le signe de l’orage, ni qu’elle-même ponctue le roman de références ésotériques, Morgane étant le double romanesque de la déesse celte Morrigane.
Pour son premier opus publié à la Série Noire, Pierric Guittaut a particulièrement soigné le style de ses descriptions, tour à tour lyrique et chirurgical, les mettant au service d’une intrigue menée sans temps mort.
Si l’on croit parfois lire un scénario de Chabrol transposé dans l’univers rural de Jean Becker, corneilles et louves nourricières nous ramènent vite à la terrible beauté d’une Nature vengeresse : « Sur les hauteurs rocheuses, par-delà le domaine des Rimberts, un animal au pelage détrempé est venu se réfugier à l’abri des masses de rocs jetés là par des mouvements géologiques que l’homme n’a pas connus […] Moins d’un mètre sous l’animal repose le corps d’un homme dont personne ne retrouvera jamais les restes et dont le granit multimillénaire constituera la pierre tombale anonyme ».
Méfiez-vous des rousses…
La Fille de la pluie, Pierric Guittaut, Gallimard/Série noire, 2013.
*Photo : tankgirlrs.
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