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Quelle politique africaine pour le camp de la France?

Une tribune libre de Jean Messiha


Quelle politique africaine pour le camp de la France?
Militaires français au Mali, juin 2021 © AP/SIPA Numéro de reportage : AP22574978_000005

La France met fin à l’opération Barkhane en Afrique de l’Ouest. Sur ce continent, ne perdons-nous pas notre temps et notre énergie ? Le plan Marshall pour l’Afrique, personne n’y croit vraiment. Il faut en revanche se préparer à contrer les hordes migratoires qu’on nous promet, prévient Jean Messiha.


L’actualité récente marquée par la visite du président de la République française au Rwanda et la décision de mettre fin à l’opération Barkhane, donne l’occasion de s’interroger sur la politique africaine de la France. 

A Kigali, Emmanuel Macron a reconnu ce qu’un président socialiste, François Mitterrand, et son Premier ministre pseudo gaulliste de l’époque, ont fait au début des années 90. Impliquer fortement la France aux côtés d’un régime qui, sous nos yeux, engageait une propagande de haine inter-ethnique d’une virulence inouïe contre le peuple tutsi et qui préparait un génocide. Voilà pour ceux qui nous jettent à la figure ce que l’« extrême droite » avait fait entre 1940 et 1944.

Il y a quelques jours, a été annoncée la fin de l’opération Barkhane qui avait succédé à l’initiative de François Hollande en 2013 de stopper l’avancée des djihadistes sur Bamako et de réduire en miettes les colonnes de fous d’Allah. La France réduit fortement son engagement après huit années d’une guerre des sables et des savanes qui n’a pas donné les résultats escomptés. Après leur défaite, les différents groupes armés islamistes se sont reconstitués et ont même réussi à étendre leur terreur sur trois pays : Mali, Niger et Burkina, de plus en plus fragilisés par un enchevêtrement de luttes tribales, de gouvernance défaillante, de prévarication, de démoralisation des armées locales, de crise hydrique provoquant des tensions entre pasteurs et agriculteurs.

Les coups d’Etat répétés à Bamako et la montée du sentiment anti-Français dans une population qui ne comprend pas comment une grande armée « blanche » suréquipée et sur-armée est incapable de venir à bouts de quelques milliers de rebelles ont convaincu le président français de réduire la voilure. Bonne ou mauvaise décision ? Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas avec 5 000 soldats français que l’on pouvait y arriver. Il eut fallu le double et sans doute davantage de troupes, d’hélicos et de drones pour en finir. L’Europe et les Etats-Unis ont considéré que c’était une « guerre française » et nous ont aidés à minima. Et bien tant pis. On ne peut pas faire la guerre à la place des autres et en particulier des Africains en Afrique.      

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Ce qui constitue un indiscutable échec de notre politique étrangère constitue un point de départ pour réinventer notre stratégie là-bas. Nos présidents successifs jusqu’à Jacques Chirac ont beaucoup aimé l’Afrique. Ce vaste continent qui fut en partie nôtre pendant des décennies a longtemps exercé une fascination largement légitime sur notre élite politique. Comment en effet ne pas se rêver en puissance lorsque l’on est encore capable d’exercer une certaine influence sur plus d’une vingtaine de pays comptant environ 400 millions d’habitants et qui arborèrent si longtemps le drapeau tricolore ? Sans oublier cette francophonie africaine puisque notre langue est encore officielle ou vernaculaire dans ces nations.

Toutefois, le réel a fini par lentement s’imposer. L’Afrique n’a pas du tout tenu les promesses de développement économique que ses immenses ressources naturelles offraient. L’Asie pour sa part prenait son essor avec le Japon dès l’après-guerre, la Corée dans les années 60, Singapour, Hong-Kong, Taiwan à partir des années 70, la monumentale Chine dans les années 80 suivie par l’Inde, sans oublier la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam. A l’exception de la Birmanie, du Pakistan et du Bangladesh, le continent asiatique est une histoire de croissance, de développement et de recul de la pauvreté.

C’est plus contrasté en Amérique Latine mais tant le Mexique, le Brésil, le Chili, la Colombie malgré sa guerre civile et même l’Argentine en proie à des crises économiques et financière à répétition, se sont construits des économies d’importance.

« L’Afrique est un continent à fort potentiel et qui le gardera » pourrait-on dire en paraphrasant le Général de Gaulle qui à l’époque faisait référence au Brésil.

C’est à l’évidence une mosaïque ethnique, linguistique, religieuse et culturelle mais dont les caractéristiques communes, à quelques exceptions près, sont bien établies quoique qu’à des degrés divers selon les pays : sous-développement, instabilité politique, mal-gouvernance, corruption, inflation démographique, émigration, infrastructures défaillantes, conflits inter-ethniques et inter-religieux.   

Ce sont aussi des peuples qui se battent contre une adversité folle, qui cultivent, travaillent, entreprennent, étudient, créent, innovent comme ils le peuvent.

Ce sont enfin des ressources naturelles (pétrole, minerais, bois) considérables qui, avouons-le, sont aussi disponibles sur d’autre continents.

La politique post-coloniale africaine de la France a d’abord privilégié les pays des ex AFN, AOF, AEF et Madagascar. Mais cette politique s’est diversifiée au fil du temps.

La fin de l’empire portugais a conduit à l’entrée dans le cercle des nations indépendantes de deux pays prometteurs : Angola et Mozambique. Après l’énorme bourde gaullienne que fut le soutien au sécessionnisme du Biafra, la France a regardé avec des yeux de Chimène le géant nigérian. La chute de l’apartheid en Afrique du Sud permettait de draguer un pays porté depuis toujours vers le monde anglo-saxon.  

La diplomatie française sur le continent fut très active. Entre tentative de maintenir une forme de tutelle sur notre ancien empire, lutte contre l’influence soviétique jusqu’à la fin des années 80 et soutien à nos groupes pétroliers (ELF puis Total), l’Elysée, jusqu’au début des années 2000, a fait de l’Afrique un sujet quasi passionnel.

Nicolas Sarkozy fut sans doute le président qui acta avec le plus de franchise le lent mais inexorable avènement d’un véritable afro-scepticisme au sein de l’élite politique mais surtout économico-financière française. Le discours cinglant qu’il prononça le 27 juillet 2007 à l’université de Dakar, fut en quelque sorte un aveu de déception profonde d’un système politique français qui a nourri tant d’espoirs et pendant si longtemps pour l’Afrique. Après l’habituel mea culpa sur la traite et la colonisation, le président français déclarait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire […]. Jamais il ne s’élance vers l’avenir […]. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance. […] Il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Considéré par beaucoup comme racistes, ces propos il ne les aurait pourtant jamais tenus s’agissant des Chinois, Indiens, Indonésiens, etc. En effet, nos grandes entreprises étaient depuis fort longtemps parties à la conquête de l’Asie et s’y développaient à toute allure alors qu’elles se désintéressaient des marchés africains trop petits ou trop pauvres ou trop compliqués et souvent les trois à la fois.

Loup Viallet écrit dans Les Echos *: « La majeure partie des intérêts économiques de la France en Afrique sont avant tout situés au Maghreb, puis en Afrique subsaharienne, mais hors de la zone franc : celle-ci ne représente qu’un peu moins de la moitié de nos échanges au sud du Sahara et 12,5% de l’ensemble des échanges pratiqués par la France en Afrique. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique aucun n’était issu de la zone franc. On y comptait le Maroc en première position (qui concentrait à cette date 18,9% des échanges commerciaux franco-africains), puis l’Algérie (18,4%), la Tunisie (15,2%), le Nigéria (8,5%) et l’Afrique du Sud (5,8%). »

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Toujours selon l’analyse de Loup Viallet, du point de vue des importations en pétrole et en gaz, « les principales sources d’approvisionnement en pétrole de la France en Afrique subsaharienne se situent également hors de la zone franc : au Nigéria (11,7%) et en Angola (7,6%), qui sont respectivement les troisième et cinquième fournisseurs en pétrole brut de la France dans le monde, derrière la Russie (7,9%), le Kazakhstan (13,8%) et l’Arabie Saoudite (18,6%). Pour le gaz naturel, la France ne s’approvisionne pas non plus dans la zone franc, mais en Norvège (qui concentrait 42,2% des importations en gaz naturel entre 2013 et 2015), en Russie (11,4%), aux Pays-Bas (10,7%), en Algérie (9,4%), au Qatar (1,1%) et enfin au Nigéria (0,6%).

Du point de vue de nos exportations, on constate que les parts de marché des entreprises françaises en Afrique se sont fortement réduites ces vingt dernières années, connaissant une division par deux. Cette évolution résulte d’un déclassement de l’importance commerciale de notre pays auprès des économies africaines, alors qu’apparaissaient de nouveaux acteurs, européens et asiatiques, dans un contexte de croissance des secteurs primaires africains. La France demeure le premier fournisseur européen des pays de la zone franc. Mais elle a perdu le statut de premier fournisseur mondial du continent en 2007 au profit de la Chine. Dix ans plus tard, en 2017, l’Allemagne était devenue le premier fournisseur européen d’Afrique, reléguant la France à la deuxième position.« 

Les investissements français en Afrique totalisent environ 60 milliards d’euros mais sur les plus de 1 200 milliards d’investissements que nous avons dans le monde ce continent pèse « peanuts » dans notre économie nationale.

Voilà pour le bilan. Le moins que l’on puisse dire est qu’il est faiblard, en tout cas sur le plan économique.

Des géo-politologues éthérés nous expliquent que l’Afrique c’est très important pour nous car cela représente des votes à nos côtés aux Nations Unies ! Aux quoi ? A ce « machin » qui ne sert pas tout à fait à rien, mais à si peu ?

Peut-on pour autant en tirer comme conclusion que nous perdons notre temps et notre énergie ?

L’Afrique est trop vaste et notre aide au développement trop faible pour que nous puissions avoir une politique continentale. Une puissance moyenne comme la nôtre doit faire des choix. Nous devons cesser de nous complaire dans un romantisme historique et plutôt analyser les chiffres.

Il n’y a que quelques pays qui sont intéressants pour la France du point de vue économique et stratégique sur ce continent.

Les pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Lybie) et l’Egypte indiscutablement.

En Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire puissance francophone de l’Afrique de l’Ouest, le Ghana important voisin du précédent, le Nigéria, géant fragile mais incontournable, le Sénégal avec son élite reconnue 

En Afrique centrale : le Gabon ainsi que la Guinée-Equatoriale, riches petit pays pétroliers, le Cameroun et sa population très entrepreneuriale, les deux Congo (Kinshasa et Brazzaville) et l’Angola en raison de leur immense potentiel économique.  

En Afrique australe, l’Afrique du Sud bien entendu.

En Afrique orientale dite des grands lacs, l’incroyable Ethiopie et ses 112 millions d’habitants, Djbouti pour sa position à l’entrée de la Mer Rouge et le trio Kenya- Tanzanie-Ouganda qui totalise 150 millions d’habitants. Enfin Madagascar très pauvre mais au potentiel exceptionnel et occupant une place stratégique dans l’Océan Indien.  

Soit une vingtaine de pays sur les 54 que compte le continent. Et les autres ? Aucun intérêt.

Une approche basée sur les intérêts économiques de la France à court moyen et long terme est cynique. Mais elle correspond à nos besoins.

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On m’opposera que je néglige le lien entre sous-développement et migration vers l’Europe, lien qui devrait nous conduire à redoubler d’efforts à l’égard du Sahel avec la ceinture de la pauvreté en pleine dérive islamique que constituent le Mali, le Niger, le Burkina, la Mauritanie, le Tchad, la Guinée et les Soudans.

« Nous devons aider l’Afrique sinon les Africains vont migrer vers nos rives », nous dit-on. Il faut comprendre qu’à part un plan d’aide colossal, pour autant qu’il puisse être déployé de façon efficace et juste dans un continent miné par l’incurie et la corruption, rien n’arrêtera la volonté de partir. Le fossé de conditions de vie entre le Nord et le Sud est tel que seul un comblement significatif pourrait dissuader ces tentatives. Sommes-nous prêts, nous Français, Allemands, Italiens, Espagnols, Britanniques à dédier collectivement des dizaines de milliards de plus chaque année à l’aide pour l’Afrique? La réponse est non. Fermez le ban. Le plan Marshall pour l’Afrique c’est du pipeau. Cela fait des années maintenant que le nom de ce brillant général américain est utilisé à toutes les sauces.

Les migrations illégales vers l’Europe doivent être combattues à coup de refoulement, de frappes des forces spéciales contre les réseaux mafieux dans les pays d’origine de transit quand un Etat failli ne peut ou ne veut les combattre, d’internement dans des « hotspots » dont on ne sort que pour être expulsé, ou beaucoup plus rarement, admis chez nous au titre de l’asile.

Il reste le grand fantasme de la défense de la francophonie. A l’exception du Québec, de la Wallonie-Bruxelles et de la Suisse Romande, la cartographie du Français – langue officielle – est celle de la pauvreté voire de la misère. Le Français n’est en rien une arme économique. Nos relations commerciales avec le reste du monde sont essentiellement basées sur l’Anglais.

Certes le Maghreb arabo-francophone (Algérie, Maroc, Tunisie) représente la moitié de nos exportations vers le continent qui ne pèsent d’ailleurs que 5% de notre total mondial. Cela ne laisse pas grand-chose pour le reste. Retirez la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, un peu plus significatifs, et l’Afrique francophone ne pèse rien pour notre économie. 2022 sera l’année des grands choix et des grandes réorientations pour la France. Il en est de même pour notre politique africaine. Le camp national doit insuffler une vision nouvelle, une diplomatie nouvelle en particulier s’agissant de ce continent qu’il serait absurde de négliger mais pour lequel nous devons être réaliste. Les liens que nous avons avec certaines ex-colonies ne correspondent plus à la géographie économique. Rationalisons et concentrons nos efforts là où cela contribue à nous renforcer.

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* Cette tribune a été modifiée le 28 juin à la demande du géopolitologue M. Loup Viallet, dont les chiffres et analyses avaient été abusivement repris sans que son article publié dans Les Echos ne soit mentionné.


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Economiste et haut fonctionnaire. Président de l’Institut Apollon.

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