Le Millénaire, think tank qui se réclame de la tradition gaulliste, vient de publier un rapport intitulé « Boris Johnson : reprendre le contrôle pour conquérir le monde. » À quelles fins? Son président, William Thay, nous explique les raisons de cet intérêt pour le Premier ministre britannique qui, selon lui, pourrait inspirer la classe politique française. Entretien 1/2.
Causeur. Pourquoi avez-vous choisi Boris Johnson comme sujet de votre étude, plutôt que tout autre leader d’envergure internationale – Barack Obama, Donald Trump, Angela Merkel… ?
William Thay. Boris Johnson et Donald Trump incarnent un changement d’ère permis par l’élection du second à la présidence des États-Unis et par le Brexit en 2016. Les deux ont mené ce qu’on appelle la « Seconde révolution conservatrice », après la première menée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 80. Cette première révolution conservatrice a eu des conséquences importantes sur le monde, avec notamment l’ouverture d’un cycle néolibéral qui vient supplanter le cycle keynésien mis à mal par les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.
Les maux français que nous rencontrons actuellement, ce qu’appelle Marcel Gauchet « le Malheur Français », s’expliquent par les mauvaises conditions dans lesquelles la France est entrée dans la mondialisation. Pour ne pas revivre 40 années supplémentaires de déclin, il est nécessaire de comprendre la nouvelle ère portée par Boris Johnson et Donald Trump, pour transformer la France pour qu’elle soit prête à affronter les nouveaux défis.
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Ainsi, il nous a semblé plus pertinent de travailler sur Boris Johnson et Donald Trump parce que leur arrivée au pouvoir provoque une mutation globale, plutôt que sur des personnalités comme Barack Obama, lequel n’a finalement eu que très peu de conséquences sur l’équilibre mondial.
Cette mutation politique et économique est également marquée par une mutation électorale. Alors que c’était plutôt les partis de gauche qui portaient les revendications populaires, ce sont désormais les personnalités de droite qui le font. Dans un sondage Ifop sur le regard des Français sur Boris Johnson, on observe que ce sont ceux qui ne possèdent pas de diplômes (59% des Français), les artisans (55%) et les catégories populaires comme les employés (68%) et les ouvriers (56%) qui plébiscitent le plus le Premier ministre Britannique.
Étant donné les controverses qui ont entouré le Brexit et tout le débat très confus au sujet du « populisme », dans quelle mesure les États-membres de l’UE peuvent-ils être réceptifs à l’exemple de Boris Johnson ?
Les États membres de l’Union européenne se sont montrés plutôt solidaires face au Brexit lorsqu’il s’agissait préserver leurs intérêts. Cette épreuve a démontré que, dans l’adversité, les chefs d’État et de gouvernement étaient capables de dépasser leurs divisions lorsqu’ils faisaient face à un ennemi commun qui les menaçait. Les difficultés rencontrées par Theresa May puis Boris Johnson pour mener à bien le Brexit, qui aurait sans doute été impossible sans la personnalité et le talent de Boris Johnson, ont découragé les autres États membres à s’engager sur la même voie. Ce sentiment est renforcé par la dépendance à l’euro d’une grande partie des pays de l’UE. Il faut ajouter que le Brexit est une spécificité britannique dans la mesure où le Royaume Uni a une autre conception de la souveraineté que les pays continentaux. En effet, le régime politique britannique n’a que très peu varié depuis la Glorieuse Révolution de 1688, à la différence des pays comme la France ou l’Allemagne qui ont connu beaucoup de changements constitutionnels en deux siècles.
Ensuite, il faut distinguer au sein des États membres les partis de droite qui peuvent se montrer davantage enclins à suivre l’exemple de Boris Johnson. Il ne s’agit pas pour eux de recopier tout le programme du Premier ministre britannique mais plutôt de s’inspirer de son mode d’action et de sa philosophie de pensée. De plus, les partis de droite dans l’ensemble des pays occidentaux sont en train de subir une mutation de leur électorat. Nous avons vu cela récemment à Madrid avec la large victoire du Parti populaire.
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Les partis de droite qui n’arrivent pas à appréhender le phénomène Johnson vont avoir du mal d’une part à reconquérir le pouvoir et, d’autre part, à proposer une politique qui soit en cohérence avec les attentes électorales et les défis de cette nouvelle ère. Il n’est pas étonnant que les mutations électorales que nous observons se déroulent dans des pays qui ont dominé le monde à un moment (États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, France). Une grande partie des habitants de ces pays souhaitent retrouver leur grandeur parce qu’ils assimilent le déclin de leur nation à leur destin personnel. Boris Johnson a parfaitement répondu à la préoccupation des classes moyennes et populaires déclassées par la mondialisation en faisant sienne les thèses défendues par David Goodhart dans Les deux clans et Christophe Guilluy dans La France périphérique. Il a compris qu’il fallait répondre au besoin de protection de ces populations livrées sans merci à la mondialisation, tout en garantissant leur liberté. Les fractures de la société britannique sont similaires à celles de l’ensemble des pays occidentaux ayant délocalisé leur appareil productif pour assurer le pouvoir d’achat de leur classe moyenne. Cet équilibre ayant été fracassé par la crise financière de 2008, il est nécessaire de formuler un nouveau projet collectif. Les États membres de l’UE et notamment les partis de droite ont le choix entre s’adapter ou mourir.
Quels sont les enseignements généralisables de l’action de Boris Johnson et en quoi sont-ils généralisables ?
Pour Boris Johnson, le pouvoir politique transcende toute autre forme de pouvoir : il faut « reprendre le contrôle. » La gestion sociale-démocrate, qui consiste à favoriser l’émergence d’un consensus, n’est plus adaptée à l’époque actuelle. Chaque pays est verrouillé par des intérêts contradictoires de groupes qui bloquent l’action publique. La France n’arrive pas à se transformer du fait de la tyrannie des minorités : sur le plan économique, les réformes sont bloquées par l’action des corporations ; sur le plan régalien, la gestion des problèmes migratoire et islamiste est entravée par les professionnels de l’indignation sélective. Il est nécessaire de penser hors des cadres pour faire face à ces blocages. Par exemple, sur la question du Brexit, Boris Johnson faisait face à un Parlement divisé et à l’Union européenne qui refusait de renégocier les termes de l’accord. Il n’a pas hésité à dissoudre la Chambres des Communes pour disposer d’une nouvelle majorité et à brandir l’arme du « no deal » pour remettre les institutions européennes autour de la table. Il apparait actuellement impensable de voir des personnalités de l’establishment politique français envisager de telles solutions pour défendre les intérêts des Français au détriment de leur propre cote de popularité.
En outre, Boris Johnson est guidé par une deuxième philosophie, « Global Britain », pour préparer son pays à un nouveau projet collectif. La France ne possède plus de projet collectif depuis le départ du général De Gaulle et nous ne survivons principalement que grâce à ses modernisations (nucléaire, TGV, etc.). Le Premier ministre britannique cherche à transformer son pays dans un monde plus compétitif, en démontrant que la démocratie et le libre marché sont les modèles les plus adaptés à un contexte mondial instable et compétitif. Ainsi, la principale priorité du gouvernement doit être de « protéger et promouvoir les intérêts du peuple britannique à travers ses actions sur le territoire national et à l’étranger ». La revue de politique stratégique publiée par le gouvernement britannique au mois de mars, « The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy », spécifie les trois intérêts qui sont les plus importants : la souveraineté, la sécurité et la prospérité. Cette philosophie est transposable à nos intérêts puisqu’elle part de principes fondamentaux qui correspondent à nos attentes.