On entre un jour en Bessonie et on ne quitte plus cette terre balayée par l’ironie tordante d’un surdoué de la littérature. J’y suis entré au début des années 90 à la sortie de son roman Julius et Isaac. L’écrivain, avec sa tête des mauvais jours, répondait à Bernard Pivot déconfit devant ce bloc (de l’Est). Impénétrable et sensible comme le sont tous les Gémeaux, Besson faisait le service minimum. Ce jour-là, il avait décidé de ne pas jouer le simulacre médiatique. Le Mur de Berlin avait beau être tombé, lui n’abdiquerait pas, il maintenait cette distance naturelle qui intimide et protège. Depuis, cet habitué des plateaux télé promène son indifférence et son à-propos avec bonheur. Ses lecteurs sont aussi nombreux que ses détracteurs. Besson a beaucoup écrit et, par conséquent, beaucoup blessé. Des milliers de chroniques, de billets d’humeur dans lesquels sa férocité et ses coups de cœur ont guidé nos choix de lecture, de cinéma et de restaurants !
Besson est une force tranquille de la littérature. Sa production force l’admiration. A moins de trente ans, il se payait le luxe d’être réédité, agaçant prodigieusement les barons du milieu littéraire. Bien qu’inégale, son œuvre romanesque recèle toujours des pépites, des fulgurances qui le placent parmi les écrivains majeurs de ces quarante dernières années. Ils se comptent sur les doigts d’une main. L’Académie française devrait songer à le recruter, ça rehausserait son standing. En deux lignes, Besson n’a pas son pareil pour déconstruire ou admirer. Quand d’autres s’embourbent dans une pensée besogneuse, son art du court, du léger et du percutant fait des merveilles. Cet été, dans un billet hebdomadaire du Point, il s’interrogeait : « Comment Jean-Luc Godard a-t-il pu passer toute une vie sans jamais dire, écrire ou filmer une chose banale ? ». On pourrait lui renvoyer la question. Besson n’est jamais banal comme il n’est jamais avare d’une méchanceté jouissive. Les tauliers du système portent encore les traces de ses coups de plume. Mais avec l’âge – il a fêté ses 56 ans – se dégage, de ses récits intimistes, 28, Boulevard Aristide-Briand par exemple, une sensibilité nostalgique. Cette profondeur de champs éclaire l’écrivain sous une lumière plus douce sans pour autant lui faire perdre de sa puissance.
Les jours intimes, son dernier recueil de textes paru chez Bartillat en est une belle illustration. Les amoureux de Besson retrouveront un décor qui leur est familier : le XIIIème arrondissement, le golfe de Botnie, Montreuil, le Gâtinais, Bangkok et Nice. Un circuit classique, maintes fois emprunté par ses fans mais toujours aussi délectable, surtout ses vacances en Bosnie et la description « terrifiante » du voisinage de sa belle-famille. On aime Besson pour ses obsessions, le tennis, les échecs, la Serbie, le régiment de spahis et les bibliothèques, paradis des enfants solitaires. On aime aussi Besson pour ses aphorismes : « Montant compensatoire : le cher de ma chair », « Satan, le saint patron des écrivains » ou « Suis allé si souvent au cinéma que j’ai l’impression d’avoir vu ma vie ». Il aurait fait fortune dans la publicité. Dans Les jours intimes, Besson fait le clown bien sûr mais quand il évoque, Gisela, son épouse, Oscar et Paul, ses deux fils, son émotion a quelque chose de fragile. Elle réchauffe comme le soleil de minuit. Fidèle à sa dualité, Besson brouille son image. Entre imaginaire et réalité, il conserve toujours une part de mystère. Dans une déclaration d’amour, il peut se faire tour à tour potache (« Tu es une héroïne de l’Antiquité entrée par mégarde et indifférence dans un épisode d’AB Productions : Hélène de Troie et les garçons ») et stendhalien (« Ma chérie, tout chez toi m’enchante et me charme, de tes mains d’aristocrate barcelonaise à tes poignets de joueuse de flûte »).
Les jours intimes, Patrick Besson (Bartillat)
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