L’Observatoire de l’immigration et de la démographie décrypte pour Causeur la place de l’immigration dans l’augmentation de la population britannique observée entre 2011 et 2021.
Le recensement décennal réalisé par l’ONS (Office for National Statistics) en Angleterre et au Pays de Galles a récemment révélé une augmentation de 33% du nombre de personnes nées à l’étranger au cours des dix dernières années : celui-ci est passé de 7,5 à 10 millions entre 2011 et 2021 (sur 59,6 millions d’habitants dans ces deux nations du Royaume-Uni), représentant désormais 16,8% de la population.
Pour bien comprendre ce recensement, il faut prendre en compte la double dynamique d’augmentation de la population : celle dite « naturelle » et celle due à l’impact direct de l’immigration nette. Si la première (nombre de naissances moins nombre de décès) représente 42,5% de la croissance observée, la seconde compte quant à elle pour 57,5%. Il importe cependant de comprendre que l’immigration se glisse aussi dans l’accroissement « naturel », les naissances sur le sol britannique d’enfants de parents nés à l’étranger ne cessant d’augmenter.
Au total, Migration Watch (think tank britannique créé en 2001 et engagé en faveur d’une réduction significative de l’immigration) estime que « plus des quatre cinquièmes de la croissance démographique totale depuis 2001 ont été dus directement ou indirectement à l’immigration, atteignant 90 % en 2017-19 et probablement encore plus depuis lors ».
Environ 1 personne sur 6 est née en dehors du Royaume-Uni.
Le Top 10 des pays de naissance non britanniques en 2011 et 2021 en Angleterre et au Pays de Galles
Avec 920 000 personnes, l’Inde conserve la première place des pays de naissance les plus courants pour les immigrés, toujours suivie de la Pologne et du Pakistan.
Qualifiée par Jon Wroth-Smith (directeur adjoint du recensement) de « grand moteur de ce changement », la Roumanie se hisse quant à elle en quatrième position. Elle effectue un bond absolument inédit, passant de 80 000 personnes en 2011 à 539 000 en 2021, soit une augmentation de 459 000 personnes (576%). La levée des restrictions de travail pour les citoyens roumains explique le rebondissement de cette migration européenne dans la seconde moitié de la dernière décennie. En effet, à partir du 1er janvier 2014, Roumains et Bulgares ont pu travailler librement dans l’ensemble de l’Union européenne, suscitant à l’époque une levée de boucliers du parti conservateur britannique qui brandissait la menace d’une « invasion » du pays.
Analysant les premiers chiffres officiels du trimestre suivant cette autorisation, le journal La Croix s’était empressé d’affirmer en 2014 que « “L’invasion” du Royaume-Uni n’a pas eu lieu », et que « rien de dramatique ne s’est produit », qualifiant alors les inquiétudes des conservateurs de « prophétie non vérifiée ». Diagnostic un peu rapide de toute évidence…
Londres en top 1
Londres reste la région d’Angleterre et du Pays de Galles dotée à la fois de la plus grande proportion de personnes nées en dehors du Royaume-Uni (plus de 4 résidents habituels sur 10) et de personnes avec des passeports non-britanniques (1 sur 5).
Pression migratoire et surcharge sociale
Places scolaires, routes, sécurité sociale ou habitations… aucun domaine n’est épargné par les conséquences de cet afflux. Dans le domaine de la santé, par exemple, près de 700 000 nouvelles inscriptions par des immigrés auprès de médecins généralistes ont été enregistrées en 2019 et 2020. Pour ce qui est du logement, ces volumes entrants nécessiteraient la construction d’une maison « toutes les cinq minutes, nuit et jour » en Angleterre pour répondre à la demande croissante, selon les projections de l’ONS.
Crise démocratique dans l’opinion publique
Comme en France et de nombreux pays d’Europe, l’opposition à une immigration de masse fait pourtant consensus dans la population. 6 sondés sur 10 soutiennent la réduction de l’immigration (Deltapoll) et près de 8 sur 10 estiment que le gouvernement échoue dans la gestion de ce phénomène (YouGov).
Ces résultats illustrent la forte inquiétude des Britanniques. A titre comparatif pour la France, 71% des sondés sont favorables à une réduction de l’immigration et 77% constatent l’échec du gouvernement dans sa gestion de ce sujet. Cette opinion est donc communément partagée des deux côtés de la Manche.
Une telle crise de confiance se traduit aussi dans le champ des préférences électorales. Le premier sondage évoqué de Deltapoll révèle justement l’importance de la question migratoire et de sa gestion pour les partisans conservateurs. Si 73% d’entre eux sont favorables à une réduction des flux, on atteint 86% chez ceux qui ont voté conservateur en 2019 mais ne soutiennent plus le parti… suggérant ainsi que l’échec d’un contrôle des flux migratoires était l’une des raisons de leur abandon des Tories.
Car si les trois dernières majorités conservatrices ont été élues sur des promesses répétées de réduction notable de l’immigration (David Cameron s’étant engagé dès 2010 à ramener les flux nets à « quelques dizaines de milliers de personnes »), celles-ci n’ont jamais été tenues, suscitant des déceptions parmi les électeurs chez qui cette motivation était centrale – notamment ceux conquis aux travaillistes dans les territoires ouvriers du Nord.
Le Brexit, une déception sur l’immigration ?
L’exécutif avait fait du contrôle des flux migratoires une priorité affichée du Brexit. Or, loin d’en finir avec l’immigration de masse, le Royaume-Uni a connu un solde migratoire net de plus d’un demi-million de personnes (504 000) sur son territoire entre juin 2021 et juin 2022 – sans compter les entrées clandestines. Un nouveau record d’immigration nette, supérieur de 170,000 personnes au précédent record enregistré en 2015/2016, a ainsi été établi…
Le Brexit n’aura-t-il finalement été qu’un leurre concernant la maîtrise des flux migratoires, tant attendue par la population britannique ? S’il a incontestablement offert aux autorités de Londres de forts leviers d’action en la matière (libérés notamment des contraintes issues des traités et de la jurisprudence de l’Union européenne), force est de constater que seule une volonté politique décidée permettrait de les activer efficacement et de répondre à la demande démocratique de contrôle, largement affirmée par la société anglaise.
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