Le panache d’une candidature Zemmour a de quoi séduire. C’est un grand débatteur, un fin connaisseur de l’histoire et, fait rare dans le paysage, un homme de conviction. Pourtant, il est peu probable que ses qualités intellectuelles suffisent à le qualifier pour le second tour. On apprend ce matin que son émission télévisée à grand succès est annulée. La chaîne indique dans un communiqué que «le CSA contraint CNews et Éric Zemmour à ne pas pouvoir continuer l’émission qu’ils faisaient ensemble»…
Éric Zemmour hésite. Ses proches et ses soutiens disent qu’il ira. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre le mois de novembre, moment auquel, paraît-il, il annoncerait sa candidature, pour livrer quelques réflexions sur cette personnalité exceptionnelle dont l’aura médiatique est impressionnante, qu’on l’apprécie ou qu’on la déteste. Le Figaro et CNews peuvent en témoigner.
Au demeurant, si on a discuté ses chances de bien figurer dans la compétition et, encore plus, de l’emporter, personne n’a poussé les hauts cris quand sa candidature a été évoquée. Ce qui confirme l’appréciation que son statut et sa qualité de journaliste étaient, à l’évidence et depuis longtemps, trop étroits pour lui et qu’il gravitait dans une sphère largement politique, qu’il commente les actions des autres ou formule déjà des propositions.
Un rouleau compresseur
Sa culture historique et littéraire est indéniable. Elle est toujours orientée et vise à apposer sur la complexité du réel qu’il analyse des références qui la simplifient et la font tourner en sa faveur. Il ne se défend d’ailleurs pas de cette schématisationqui correspond, d’une part,à son envie pédagogique de dissiper les brumes pour aboutir à l’essentiel et, d’autrepart, de relever le défi de l’exercice médiatique qui est, selon lui, de chasser la nuance et donc d’encourir, malheureusement, de ce fait, trop de poursuites.
Autant, s’il ne me semble jamais médiocre sur CNews, dans la fausse table ronde où il expose, commente et dénonce, il n’est pas toujours à son avantage dans ce genre hybride où il monologue tout en cherchant à donner l’impression d’un dialogue, l’apparence d’une discussion. Il est indépassable dans le débat, dans l’affrontement du face-à-face.
C’est d’ailleurs à cause de cette qualité supérieure que ses pires ennemis sont écartelés entre la détestation et une forme d’admiration. On sent leur envie toujours déçue de pouvoir, tout uniment, rejeter en bloc l’homme, sa parole et son talent. Leur frustration est amère qui leur interdit cette confortable globalisation. Ils sont obligés de reconnaître que cet ennemi n’est pas le premier imbécile venu !
Pour qui se passionne pour la technique de la confrontation et sa manière de pratiquement toujours l’emporter, Éric Zemmour use moins de « trucs » qu’il ne s’appuie sur des dispositions intellectuelles et de caractère qui font à tout coup la différence.D’abord il ne refuse aucun débat ce qui, dans notre monde feignant d’être ouvert mais en réalité l’étant si peu, est trop rare pour ne pas être salué. Je pourrais multiplier les exemples où vilipendé un jour il a pourtant accepté le lendemain, sans la moindre condition, de dialoguer avec son adversaire, ce qui lui donne d’ailleurs d’emblée un avantage grâce au saisissement positif qu’une telle tolérance suscite chez l’autre.
Pourquoi, sur le plan technique, Éric Zemmour est-il si efficace, au point d’apparaître tel un rouleau compresseur qui écrase mais avec un sourire constant ?
D’abord la clé principale de son succès est qu’il ne recule jamais. Quand son contradicteur croit l’avoir atteint par une première intervention vigoureuse, voire violente, il reçoit une réplique qui non seulement ne s’excuse pas, ne cède pas mais au contraire attaque comme si le propos initial n’avait pas eu la moindre importance. Zemmour campe sur ses positions et n’en démord jamais. Il ne perd pas le moindre pouce de terrain et la conséquence en est qu’il avance sans cesse et qu’en définitive l’adversaire n’est pas loin de demander grâce parce qu’il est privé d’oxygène intellectuel.
Il dit tout ce qu’il pense
Ensuite, Zemmour pense absolument tout ce qu’il dit. Cette sincérité est d’autant plus dévastatrice au détriment de qui prétend le vaincre qu’elle n’hésite pas à affirmer haut et fort un extrémisme de la conviction, qui en général ne s’offre pas avec une telle nudité impressionnante. Récusant toute nuance, affichant une appétence sans limites pour la globalisation et le systématisme, Zemmour renverse, comme un guerrier cultivé, les misérables précautions, les prudents accommodements dont face à lui on a l’habitude d’user.
Enfin, en effet, ce briseur d’arguties et de faux-fuyants est cultivé. La littérature, l’histoire, la politique, la sociologie nourrissent une argumentation qui fait richesse de tout mais, sur ce plan également, d’une manière spécifique à cettemachine intellectuelle que l’on pourrait, sans abus de langage, qualifier de marxiste. Ce qui est frappant en effet – et constitue à la fois une forceet une éventuelle faiblesse dont le contradicteur pourrait profiter – réside dans l’implacable déroulement d’une pensée et d’une analyse, qui cherche à persuader l’autre que c’est moins une subjectivité libre et discutable qui s’exprime qu’une sorte de logique quasiment scientifique et donc irréfutable qui s’oppose. Zemmour a besoin de laisser croire que, par exemple, l’Histoire ne connaît jamais d’accidents, de surprises et d’aléas, et que le fil est rectiligne qui unit ce sur quoi il se fonde à la formulation de son point de vue.
Il est une personnalité engagée mais au seul service de ses intuitions, de ses fulgurances, de ses obsessions et de ses idées. Il constitue un univers clos à la fois complexe et simple, voire brutal dans la méthode qui lui a permis de remporter de nombreuses victoires. Étrangement fixiste puisque Zemmour s’arrête sur le seul moment capital qui a servi de support à sa pensée : il ne tient jamais compte du temps qui a passé. Ainsi, pour la Justice, il a enkysté son appréciation dans l’année 1968 avec la harangue d’Oswald Baudot et il lui serait intellectuellement trop douloureux d’accepter une évolution pourtant incontestable.
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Si on perçoit bien ce quifait le caractère unique du dialogue selon Éric Zemmour, pourrait cependant demeurer un mystère : pourquoi le commun des téléspectateurs, qu’il soit capable ou non de partager sa culture et ses références, est-il si naturellement accordé avec les positions, les dénonciations et la tonalité générale de ce débatteur hors pair ? Certes un consensus peut exister, pour certains, à partir d’une authentique complicité intellectuelle et politique, mais pour la majorité de ceux qui ne le manqueraient pour rien au monde, le ressort est ailleurs. Elle éprouve une forme de reconnaissance à l’égard de quelqu’un qui sait rendre lisibles, transparents, univoques, la France, sa nostalgie, ses tragédies, son déclin, la dépossession qu’elle subit, le sentiment d’être étranger dans son propre pays. Personne n’a besoin d’un traducteur quand il regarde et écoute Zemmour, maître dans la capacité à rendre simple le compliqué et évident l’incertain. Il est celui qui, dans le chaos et le désordre du monde, dans l’effrayante angoisse de notre pays, jette chaque soir, paradoxalement, des pincées d’espérance en dépit du pessimisme de ses propos parce que, avec vigueur et sans douter, il les montre tels qu’ils sont. Et qu’il laisse entendre qu’avec lui et son volontarisme, aucun mal ne serait irréversible. Même sans opter demain pour la politique active, Zemmour ne cesse d’en faire, grâce à son verbe, puisqu’il persuade d’un futur où le nécessaire serait rendu possible.
Cet art si personnel, si original du débat n’est pas facilement transposable, au demeurant, dans le discours politique proprement dit qui, s’il offre l’avantage de la parole inventive et solitaire, privera Zemmour de ce dont il a besoin pour exceller : le verbe de l’autre, sur lequel il s’appuie pour décupler son talent et la force brillante de son oralité. On l’a bien constaté quand, lors de la manifestation pour l’union des droites, il a prononcé une allocution qui, de l’avis unanime, ne l’a pas fait apparaître à son meilleur (même si on tient compte de son état de santé ce jour-là).
Aborder son possible destin politique par ce biais exclut toute considération offensante qui le jugerait inapte à briguer la présidence de la République ou, davantage même, indigne de cette charge.
Il n’est pas ridicule à prétendre à cet honneur.
Pour ma part, alors que je pressens chez lui une forte envie de franchir le pas, je continue à craindre que la réalisation de cette ambition l’entraîne vers une déception certaine qui l’exclura du second tour sans même le créditer d’un score acceptable au premier. Même si son analyse politique, à la suite des résultats des élections régionales et départementales, le conduit à considérer, à cause de la défaite du RN, due sans doute à la volonté d’attiédir, de normaliser le programme, qu’un large espace s’ouvre pour lui. Il serait ainsi attendu par une majorité d’électeurs qui seraient d’abord la multitude de ses lecteurs enthousiastes, de ses admirateurs du Figaro et de CNews.
Un programme en tête
Même animé par les meilleures intentions du monde à son égard, je mesure les extrêmes difficultés, les terribles embarras de la joute présidentielle à venir, la somme des polémiques et du venin qui l’accableront et dont l’habitude qu’il a depuis longtemps d’être insulté et agressé ne diminuera pas les blessures.
J’ai bien compris en lisant les longs entretiens qu’il a donnés, notamment à Valeurs actuelles, que la tentation politique est profonde chez lui et qu’il a dans la tête le programme dont il a un jour donné le détail, notamment pour l’immigration, l’insécurité et la Justice, sur un mode extrême, brutal, avec pour conséquence inévitable un pays à feu et à sang, sauf si miraculeusement le peuple français consulté ne venait pas légitimer cette révolution que Zemmour appelle de ses vœux.
Craignant le pire, je m’interroge. Le politique persuadé d’avoir raison pour la France et les Français prenant la relève du débatteur et de l’essayiste exceptionnels, cette configuration ne risque-t-elle pas de ruiner la réputation du premier et la lucidité du second ? Ne perdra-t-il pas, d’un coup, sur ce double plan, un capital jamais entamé jusqu’à aujourd’hui, l’immensité de ses soutiens et de ses admirateurs compensant largement la mauvaise foi de ses ennemis, les pulsions de censure et d’interdiction chez quelques autres et les jalousies rances de certains confrèresdétestant une compétence et un talent dont ils ont été privés ?
Cette rationalité négative que j’esquissea été battue en brèche par une argumentation positive que Zemmour a tirée de Jacques Bainville, l’historien qu’il admire le plus. Celui-ci, sur le tard, s’est interrogédans un ouvrage sur le fait qu’il avait sans doute trop théorisé et qu’il lui aurait fallu agir pour incarner sa vision nationale et internationale. Zemmour ne se ment pas en se déclarant touché par cette hésitation finale de son maître.
Mais l’essentiel est-il vraiment là ?
Il convient d’écarter une approche banalement critique et réductrice de Zemmour, qui en ferait seulement un vaniteux personnage narcissique, surestimant ses moyens et confondant l’admiration qu’on lui porte avec la personnalité admirable qu’il serait, mais qu’il n’est pas. Ce serait se tromper totalement. Zemmour a l’esprit et la dent dure sur autrui quand il le faut, mais son rapport avec lui-même est dénué de complaisance et de ce bonheur béat qui est le propre des intelligences limitées.
L’essentiel est là.
Je me demande, en effet, si, cherchant à prévoir à sa place l’avenir de Zemmour, on n’occulte pas une part psychologique et humaine décisive. Celle faisantde cet enfant, de cet adolescent et de ce jeune homme aimant profondément ses parents, la culture française, le mode de vie français et la France, un homme aspirant à couronner son destin, la conscience qu’il a de lui-même, la certitude de son devoir et son rêve de grandeur et d’allure par une suprême entreprise : se présenter au suffrage de ses concitoyens en espérant les convaincre.
Éric Zemmour, appréhendé entre ombres et lumières, admiré ou honni, n’est décidément pas un être, un journaliste, un intellectuel et un écrivain ordinaire.
Mais un politique nécessaire ?