Objectif mer: l’océan filmé. Une exposition à voir au Musée national de la Marine
L’immersion est à présent le maître-mot de toute muséographie qui se respecte. Le Musée national de la Marine qui a rouvert ses portes fin novembre dernier dans l’aile Ouest du Palais de Chaillot ne déroge pas à cette injonction, mais pas toujours à bon escient : salle d’accueil immense et désertique, scénographie tape-à-l’œil primant sur la simple monstration des œuvres, toiles somptueuses d’Horace Vernet confinées en sous-sol… Il y aurait beaucoup à dire sur les travers parfois consternants du goût du jour qui affectent la simple délectation du regard sur les œuvres, au profit des effets de régie.
Consolation
Le visiteur marri trouve fort heureusement une consolation tout au bout de la galerie, en pénétrant la stimulante exposition Objectif mer : l’océan filmé, montée par les soins de la Cinémathèque française, laquelle a embarqué sans ses soutes quelques joyaux de ses collections (dont beaucoup restent dans des réserves, faute de place rue de Bercy), associés à un grand nombre de prêts institutionnels ou privés, pour décliner intelligemment la thématique de la mer dans l’œil de la caméra. Posée sur 800 m2, elle amorce le programme d’expositions de l’institution.
Voilà, pour le coup, une immersion qui fait sens. Sous le double commissariat du conservateur Vincent Bouat-Ferlier et de Laurent Mannoni, directeur du patrimoine à la Cinémathèque, la manifestation combine chronologie et approches thématiques. Représentations de la mer antérieures à l’émergence du Septième art, dans la peinture d’abord (La Vague, de Courbet) avec la figuration fort imaginative des abysses, ainsi qu’à travers les lanternes magiques qui dès le XVIIème siècle montrent naufrages, batailles, monstres marins… Panoramas, jouets, dioramas, telle cette boîte d’optique milanaise Mondo Nuovo, millésimée 1790… Chronophotographies fin-de-siècle du physiologiste Etienne-Jules Marrey, vues maritimes du génial photographe Gustave Le Gray… Méliès le magicien, bien sûr, et ses films traversés de visions fantastiques, jusqu’à ceux des frères Lumière…
Commandant Cousteau, James Cameron…
Associés à de nombreux extraits de films, l’exposition déploie un panorama d’affiches plus ou moins anciennes (Le cuirassé Potemkine, du grand Eisenstein), certaines désopilantes (Les Drames du pôle, par exemple, un film Gaumont de la grande époque). Dans une vitrine trône en majesté l’authentique robe en lamé or du célèbre muet de Jacques Feyder, L’Atlantide (1921). L’exposition se penche également sur les techniques de prises de vue – caissons, caméras sous-marines, jusqu’aux torpilles ou hélicoptères miniatures utilisées pour son documentaire Océans par le regretté Jacques Perrin, dont la dernière salle est dédiée à sa mémoire.
Relique sacrée du blockbuster Titanic qui à coup sûr tétanisera les adeptes : la caméra Arriflex 35 II modifiée par Panavision en 1996, pour assurer les prises de vue sous-marines de James Cameron. Du commandant Cousteau (Le Monde du silence) à Pirate des Caraïbes, de 20 000 lieues sous les mers (1954) ou des Vikings de (1956), films de Richard Fleischer, à Master and Commander (Peter Weir, 2003), du Crabe-Tambour (Pierre Schoendoerffer, 1977) aux Dents de la mer (dont la sculpture de la gueule de requin figure un jalon du parcours), Objectif mer tire des bords en vue des rivages les plus variés de la manne cinématographique – de la bataille navale jusqu’aux « damnés de l’océan », salle où est abordée la figure ambivalente du marin, ce héros courageux aux mauvaises mœurs… Sans faire l’impasse, plus vertueusement, sur ces migrants naufragés tels qu’ils sont saisis de façon fugace par l’objectif des news télévisées…
Un beau catalogue en coédition récapitule cette traversée de l’imaginaire maritime au prisme du Septième art : « Voyage patrimonial, par moments onirique, à travers deux siècles de création d’arts visuels qui laissent entrevoir à l’être humain l’immortalité à travers notre méconnaissance face à la démesure de l’océan », ainsi que l’écrit non sans une certaine emphase Vincent Bouat-Ferlier, avant que de citer Baudelaire : « Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ; / Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ; Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! » Voilà donc quelques secrets partiellement levés, par le vecteur azimuté du cinéma. On s’en félicite.
À voir : exposition Objectif mer : l’océan filmé. Musée national de la Marine, Palais de Chaillot, Paris. Tous les jours de 11h à 19h sauf le mardi. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h. Jusqu’au 5 mai 2024.
À lire : Objectif mer, catalogue de l’exposition. Sous la direction de Vincent Bouat-Ferlier et Laurent Mannoni. 315 pages, 275 illustrations. Co édition Musée national de la Marine/ Liénart.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !