L’Obs fait du poète prodige une icône de la gauche la plus cosmopolite, LGBT et progressiste. Une récupération au forceps.
« La passion Rimbaud » titre L’Obs de cette semaine. En couverture, le fameux portrait de sa gueule d’ange lorsqu’il n’était pas sérieux à dix-sept ans. Mais en version warholisée. Etant tombée dans le chaudron Rimbaud à quinze ans, je l’achète, faisant fi de ma réticence envers l’hebdo.
Rimbaud est un autre
Catastrophe. Le premier article du dossier, signé Roan Bui, essaie de faire du Voyant qui fixait les vertiges une figure inclusive. Certes, le poète fut depuis toujours un modèle, des Surréalistes à Patti Smith, la quintessence de la révolte rock’n’roll pour les uns et l’inventeur de la poésie moderne pour les autres.
Mais l’hebdo progressiste plombe les semelles de vent du génie en voulant en faire un porte drapeau de la « pensée » inclusive. Arianne Pasco, cofondatrice de Nice Art, nous explique que les « racisés » du monde entier, de Rio à Gaza, vénèrent l’enfant de Charleville, insinuant ainsi qu’il n’est pas uniquement une figure occidentale.
Même les indiens Navajo lui vouent un culte, un vers du Bateau Ivre, avec mon mauvais esprit habituel me vient immédiatement en tête : « Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ».
Pour Roan Bui, l’auteur de Voyelles aurait été le précurseur de Twitter : « Annonçait-il déjà notre millénaire dopé aux images et aux slogans de 140 signes ? » Car il paraît qu’Instagram s’est aussi emparé de la gouape rimbaldienne. Sa gouape justement, Rimbaud en fut victime, plus connu pour ses yeux bleus (d’ailleurs colorisés par le photographe, déjà à l’époque) que pour son oeuvre. Le très catholique François Mauriac eu ce mot d’une aveuglante justesse : « L’effroyable talent de Rimbaud fut aussi celui de ne pas avoir su vieillir ». Si je doute que Rimbaud fût le précurseur de Twitter, il annonça sans doute cette invention de l’après-guerre qu’est l’adolescence. Vivre vite, mourir jeune, et pourquoi pas no future.
Petit génie devenu bourgeois
Mais futur il y eut. En 2015, a été retrouvé un album photo ayant appartenu à la belle horizontale Liane de Pougy. Que des stars de l’époque mais sans la moindre légende. Une des photos attira l’attention du collectionneur Carlos Leresche : un homme un peu replet, entre deux âges, moustache et costume de bourgeois. Un regard bleu, LE regard. Cela ne fait aucun doute, le collectionneur compare la photo avec le célèbre portrait de Carjat. Cet homme c’est Rimbaud.
Peu importe que cela fût vrai ou non, car cela provoqua un tollé chez les rimbadolâtres, cette caricature de bourgeois du XIXéme ne peut être le génial poète fugueur. Condamné à la jeunesse pour l’Eternité (elle est retrouvée). On ne touche pas au mythe. Mythe qui fut d’ailleurs déconstruit par Etiemble dans son ouvrage Le mythe Rimbaud paru en 1954 chez Gallimard. Il estimait que « l’homme aux semelles de vent fut plombé par les commentaires et les crétineries ».
Et les crétineries, ce n’est pas ce qui manquent dans l’article de L’Obs, la palme revenant à Yassine Belattar qui qualifie Rimbaud de caillera : « Il a cette amour-haine pour la France qui ne l’accepte pas vraiment. Ca me fait un peu penser à ces gamins rebeus qui vont s’installer à Dubaï, plus caillera que Rimbaud tu meurs ». Belle projection, et pourquoi pas ? Nous nous sommes tous projetés en Rimbaud à un moment de notre vie. Mais je préfère l’imaginer crevant la dalle avec Verlaine à Bruxelles que faisant du shopping à Dubaï. Quant au terme caillera… Une caillera écrit-elle des poèmes en latin à quatorze ans ? Une caillera déclare-t-elle vouloir être voyant dans une lettre à son professeur à 17 ans ? : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Une caillera apprend-t-elle plus d’une dizaine de langues ? Mais peut-être ai-je trop de préjugés.
Un génie démoniaque
Non, Rimbaud n’est pas une icône LGBT, rien ne prouve finalement qu’il fut homosexuel malgré son histoire passionnelle avec Verlaine. D’ailleurs, il le confesse dans « L’époux infernal », texte autobiographique d’Une saison en Enfer : « bien que cela ne fût pas bien ragoûtant« . Et il se maria en Abyssinie. Non, Rimbaud ne fut pas celui qui ne travailla jamais, il fut dur à la tâche à Harare. Non, Rimbaud ne fut ni anticlérical- en creux, il ne parle que de Dieu- ni politisé malgré son engagement de jeunesse auprès des Communards. Ni anti-France, car même le monde était trop petit pour lui
Bref, Rimbaud fut un génie, ce génie qui s’abattit sur ce petit-bourgeois paysan des Ardennes, ce génie qui sûrement l’encombrait. Et l’étymologie de génie renvoie à démon. Le démon est double et Rimbaud fut au-delà de cette dualité puisqu’il est multiple.
Selon Fabrice Luchini, personne ne comprend Rimbaud. Beaucoup s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur, à l’image du professeur de lettres négationniste Robert Faurisson qui voyait en Voyelles la description d’un coït (hétérosexuel). Je est un autre et Rimbaud fut tous ces autres : le jeune homme qui exaltait les sens et la nature dans ses poèmes de la période de Douai, le vagabond exalté, le globe-trotter trafiquant d’armes.
Il y en a pour tout le monde. A mes yeux, Rimbaud reste celui qui livra l’ultime définition du kitsch dans l’Alchimie du verbe : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, la littérature populaires, livres démodés, latin d’église ». Et bien sûr celui définit ma jeunesse : « Oisive jeunesse. A tout asservie. par délicatesse, j’ai perdu ma vie ».
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