Actuellement, les autorités ne cessent d’inventer de nouvelles façons d’évaluer les produits selon leur impact sur l’environnement. Mais à quelles fins exactement? Et jusqu’où peut-on aller en suivant la logique qui y est associée?
Qu’est-ce qu’une ACV ? C’est une Analyse du cycle de vie. Tous les mots sont importants, surtout « cycle » qui implique la naissance et la mort. Pour un produit, on dit « du berceau à la tombe ». La formule est riche de possibilités qui semblent avoir échappé aux énarques qui gèrent notre pays, particulièrement au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais n’allons pas trop vite…
Des analyses qui valent leur pesant de papier
Imaginez un produit. Un sac de caisse par exemple. Une analyse de cycle de vie est un procédé qui compare les différents produits destinés au même usage. Il établit un bilan de la quantité des flux entrants (eau, énergie, matières premières) et sortants (eau, air, déchets), à chaque étape de son cycle de vie. Cela permet d’identifier les impacts environnementaux à toutes les étapes, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la sortie de l’usine (production des matières premières, transport, fabrication du produit, distribution, utilisation, réutilisation et fin de vie) en fonction de son impact sur les écosystèmes, les ressources et la santé.
L’Analyse de Cycle de Vie des sacs pour fruits et légumes, qui date de 2019, fait 221 pages.
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Les résultats des ACV sont souvent bluffants : ayant pris tous les critères en considération, ceux du sac de caisse en plastique (« cabas en polyéthylène », de son nom de baptême, interdit en France depuis 2016, sous la pression des associations) montrent quepour un nombre d’utilisations supérieur ou égal à 4, il consomme trois fois moins d’eau et émet 80 à 90% moins de gaz à effet de serre et de gaz acide que son concurrent en papier.[1]
La manie des « éco-scores »
« Un pays qui produit 365 sortes de fromages ne peut pas perdre la guerre », avait déclaré Charles de Gaulle en 1940. Aujourd’hui, il pourrait dire qu’un pays qui produit 365 nouvelles réglementations par an ne peut pas gagner de guerre économique ou écologique.
Justement, un nouvel outil à complexifier la vie a été annoncé pour le 1er janvier 2024, date à laquelle chaque véhicule fonctionnant sur batterie vendu dans notre pays sera doté d’un « score environnemental » calculé sur les émissions carbone générées par sa fabrication. Cela rappelle étrangement le Diagnostic de performance énergétique (DPE), institué un jour, jugé inapplicable le lendemain par les acteurs sur le terrain, obligatoire pour toute vente ou location par l’État depuis le 1er janvier 2023 et qui probablement supprimé (ou reporté sine die) au moment où la prochaine étape (le 1er janvier 2024) entrera en application.
L’éco-score est un ersatz d’ACV sans alcool : le berceau du véhicule est esquissé, en surévaluant le carbone de la production, et la fin de vie est soigneusement oubliée. Il s’agit de lutter contre la concurrence chinoise, surtout pas de démontrer scientifiquement que la voiture électrique est une catastrophe environnementale !
En jeu, la réforme du bonus écologique, une aide de plusieurs milliers d’euros accordée pour l’achat ou la location longue durée d’un véhicule peu polluant. « Cette réforme va nous permettre de réserver le soutien public aux véhicules électriques qui ont la meilleure empreinte carbone et qui sont donc produits dans les pays et usines les plus décarbonés », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.
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Il serait étonnant que le nouvel éco-machin prenne en compte l’électricité allemande, ultra-recarbonée depuis la fermeture des centrales nucléaires. Encore plus surprenant serait le fait que l’incapacité française de fournir assez de chauffage électrique en hiver à ses citoyens soit parmi les critères étudiés…
Quel serait le score d’un homme ?
Curieusement, si on réalisait l’analyse de cycle de vie dans le cas de l’être humain, on se rendrait compte que la PMA et l’insémination artificielle au service des futurs « pères enceints » et d’autres couples non-traditionnels a un impact infiniment plus lourd sur l’économie et l’environnement que la bonne vieille bête à deux dos.
En lisant le détail de la nouvelle exception française relative à « l’éco-score » des voitures électriques, on se prend à rêver d’une autre usine à gaz qui rapporterait à l’État de quoi rembourser sa dette : un impôt sur les successions indexé sur l’« ACV » du défunt.
[1] ACV réalisée en 2003 par Ecobilan, expert en ACV au service de l’industrie et du secteur public dans le domaine du développement durable. www.ecobilan.com.
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