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Quand Mouloud Achour tente de coincer le youtubeur Tibo InShape

Bouge de là!


Quand Mouloud Achour tente de coincer le youtubeur Tibo InShape
Le journaliste Mouloud Achour et l'influenceur Thibaud Delapart, dit Tibo InShape. Image : YouTube

Sous-culture. L’animateur préféré de la jeunesse woke aimerait que le Toulousain préféré des internautes s’adonne à la musculation sans faire de polémiques. Dans son émission, il a multiplié les sous-entendus concernant les convictions politiques du youtubeur…


« Clique » est l’une des émissions les plus populaires de Canal +. Alors que ses audiences TV sont plutôt faibles – elle ne réunissait que 42 000 spectateurs en moyenne sur sa dernière saison, selon Médiamétrie – sa bonne notoriété s’explique par sa présence sur internet. Avec plus d’1,6 million d’abonnés sur YouTube, plus de 900 000 followers sur Twitter et près de 650 000 sur Instagram, le talk-show que Mouloud Achour anime depuis dix ans est devenu assez emblématique pour les jeunes. L’émission est notamment celle que préfèrent les rappeurs. Son animateur connaît parfaitement cette culture urbaine et en possède tous les codes. Aux antipodes des animateurs blancs de plus de 50 ans, lesquels ne comprennent qu’un mot sur deux lorsqu’ils écoutent un rappeur et posent toujours les mêmes questions insipides… L’animateur quarantenaire, Franco-algérien et originaire de Seine-Saint-Denis, suscite naturellement la sympathie de ces artistes et des jeunes qui les suivent car ils se reconnaissent en lui. Cependant, « Clique » n’est pas qu’une émission culturelle, qui convie chanteurs, acteurs et humoristes. Elle a également une dimension politique, visible au choix des invités : Julia Cagé, Thomas Piketty, Christiane Taubira, Alain Damasio, Edgar Morin, Alain Badiou, Virginie Despentes, Geoffroy de Laganesrie, Édouard Louis ou Assa Traoré. Un beau cénacle qui a pour thèmes préférés : les violences policières, le racisme systémique, le féminisme (donc le patriarcat) et la dangerosité légendaire de la droite et de l’extrême droite. Le nom de certaines vidéos, sur YouTube, laisse peu de place au doute quant à l’idéologie véhiculée par l’émission. Des titres comme « Les impasses de la masculinité toxique avec Picky Blinders » ou « Moussa d’Alertes Infos, l’étudiant qui fait trembler l’extrême droite », pourraient faire pâlir d’envie AJ+. Il en va de même pour l’animateur, qui en plus d’épouser les thèses de ses invités, s’autorise quelques sorties politiques. Par exemple lorsqu’il invite, en septembre 2019, l’historien Gérard Noiriel[1]. Ce dernier était venu présenter son ouvrage Le Venin dans la plume, dans lequel il comparait Éric Zemmour à Édouard Drumont, démontrant que l’islamophobie du premier serait similaire à la haine antisémite du second. Mouloud Achour avait alors questionné son invité au sujet du grand remplacement : « Pourquoi prend-on cette théorie au sérieux dans les médias alors qu’on devrait en rire tellement c’est farfelu ? ». Question neutre !

Capture YouTube

Intersectionnalité

« Clique » pourrait se résumer en un mot : intersectionnalité. Le désir de convergence des luttes saute aux yeux lorsque l’on regarde l’émission. Telle une équipe de foot bigarrée, chacun est à son poste. Chaque intervenant semble avoir son thème de prédilection, et joue merveilleusement sa partition. Les violences policières, le racisme et l’islamophobie aux rappeurs ; l’homophobie à Hoshi, Pomme ou Muriel Robin ; le féminisme à Florence Foresti, Marina Foïs et Yseult, bien aidées par les chroniqueuses qui se sont succédé dans l’émission : Camille Dauxert, Émilie Papatheodorou, Pauline Claviere et Charlotte Vautier. Un peu de fluidité des genres ne nuisant pas, on convie parfois Bilal Hassani, et on n’oublie pas une touche d’écologie, bien sûr, avec Jean Jouzel ou Camille Étienne. Les invités politiques de la gauche radicale, cités plus haut, viennent quant à eux présenter l’édifice conceptuel dans lequel s’incorporent toutes ces petites revendications.

Si la logique de l’intersectionnalité est bien connue, ses limites le sont aussi. Ces dernières auraient pu apparaître à plusieurs reprises dans « Clique », mais l’animateur et ses chroniqueurs ont toujours été vigilants pour que le réel ne se manifeste pas trop. Prenons deux exemples.

  • En septembre 2018, l’émission diffuse le témoignage d’Arnaud, 27 ans, qui dit avoir été victime d’une agression homophobe à Belleville. À la mi-septembre 2018, alors qu’il enlace son compagnon en sortant d’un théâtre, il se fait « alpaguer par un groupe de trois jeunes ». « Ils nous demandent de quitter la rue, de quitter le quartier, car pour eux, on est chez eux et il n’y a pas de PD dans leur quartier » raconte-t-il. Alors que le couple refuse de céder aux pressions de leurs agresseurs, le passage à tabac débute, et les victimes reçoivent des « coups de pieds dans le dos et des coups de casque de scooter dans la tête ». Après ce témoignage, Mouloud Achour questionne sa chroniqueuse, Émilie Papatheodorou, pour savoir comment on a bien pu en arriver là. « De plus en plus de politiques s’affichent ouvertement homophobes » avance la journaliste, allant jusqu’à citer le « candidat brésilien d’extrême-droite Jair Bolsonaro » (!), ajoutant qu’en France « les propos de la Manif pour tous ont quand même beaucoup infusé le discours des politiques »… Quel rapport entre le Brésil et une agression homophobe à Belleville ? Aucun, évidemment. Mais les opposants au mariage homosexuel permettent de faire opportunément diversion concernant le profil des agresseurs, qui, dans la majorité des cas, n’ont pas plus de lien avec Bolsonaro qu’avec la Manif pour tous. Pour sauver le soldat intersectionnalité il faut falsifier le réel, et désigner, par commodité et bêtise idéologique, l’extrême droite. Mais la blague ne s’arrête pas là. Joël Deumier, de SOS Homophobie, dont le témoignage était aussi diffusé ce jour-là, évoquait le « retour en Europe de la haine homophobe », accompagné d’une photo de Christine Boutin. Bah voyons !
  • En novembre 2019, le rappeur Niro[2] est invité pour présenter son dernier album. De son vrai nom Nourredine Bahri, le rappeur d’origine marocaine est encensé par Mouloud Achour, qui assure que nous sommes en présence « d’un artiste extrêmement pluridisciplinaire, auteur, compositeur, producteur, [qui] s’est mis récemment à la peinture, est également dans la mode, fait également de la philanthropie, (…) quelqu’un d’exceptionnel ». Quel talent ! Après cette présentation élogieuse, la chroniqueuse Camille Dauxert prend le relais dans la flatterie en insistant sur l’engagement associatif du rappeur. On aurait pourtant préféré que la journaliste, qui a « enquêté sur Niro » (dixit Mouloud Achour), interroge le rappeur sur ses textes. Dans la chanson « Bawemonami », qui date de 2015, le rappeur chante : « J’fais du rap hétéro, tous ces zemel veulent se pousser la merde, ils veulent tous se la mettre ». Pour ceux qui l’ignorent, « zemel » est un mot issu de l’arabe marocain qui signifie « homosexuel ». Il eût été intéressant que la chroniqueuse demande au rappeur de préciser ce qu’il entend par « rap hétéro ». Car s’il existe du « rap hétéro », quel est son opposé ? Probablement du rap de « PD », pour reprendre le vocabulaire de nos agresseurs cités plus haut. Émilie Papatheodorou, qui pense que l’extrême droite est responsable de la hausse de l’homophobie, présente sur le plateau, tout sourire devant le rappeur, n’a sans doute pas écouté les textes de Niro non plus, trop occupée à éplucher les derniers tweets de Christine Boutin… Dans une autre chanson, « VivaStreet », datant de 2014, le rappeur susurre les paroles suivantes : « Y a dix piges cette pute faisait la belle devant nous, maintenant elle suce tellement mon équipe qu’elle en a des croûtes sur les genoux »… Étonnamment, les chroniqueuses progressistes, jamais avares de moraline néo-féministe à deux balles, n’ont posé aucune question sur ces textes.
Le numéro 115 de Causeur

Quand c’est Michel Sardou y a du monde pour discutailler les paroles, mais pour les rappeurs y’a plus personne. On préfère se concentrer sur la « masculinité toxique » de Peaky Blinders, et si Achour serait bien capable d’inviter Édouard Louis et un rappeur sur le même plateau, il ne serait jamais assez idiot pour demander au rappeur ce qu’il pense des revendications LGBT en général ou de l’homosexualité en particulier. Probablement parce qu’il connaît la réponse. L’intersectionnalité, c’est un peu comme la Nupes, une alliance dans laquelle personne n’est d’accord avec personne, mais où on se dit que sur un malentendu, ça peut passer.

La France tu l’aimes ou tu la quittes

C’est donc dans cette émission qu’a été invité Tibo InShape le 13 octobre dernier. Avec 11 millions d’abonnés sur YouTube – un record – et plus de 5 millions sur Instagram, Thibaud Delapart, de son vrai nom, est, à 31 ans, l’un des influenceurs français les plus connus. Bien qu’il soit à l’origine un « influenceur fitness », le trentenaire a, depuis quelques temps, de moins en moins peur d’afficher sa sensibilité politique. Il le confiait, en août, lors d’un entretien accordé au média Le Crayon[3] : « Plus récemment, j’ai moins de mal à prendre parti ». Et lorsqu’on lui demandait s’il était un « youtubeur politisé », il répondait, avec un petit sourire, « non, et un peu ». Grâce à son succès sur les réseaux sociaux, le Toulousain a sa propre salle de sport, dans laquelle le drapeau tricolore est bien visible. Il n’en fallait pas plus pour que bien des imbéciles rappliquent dans les commentaires pour le traiter de « facho ». Il avait alors répondu à ces idiots en vidéo : « Il n’y a pas de honte à être fier d’être Français », ajoutant qu’il « faut être fier de notre langue, de notre histoire même si elle n’est pas parfaite, il faut être fier de sa culture, de ses paysages, de ses traditions », avant d’exhorter ses abonnés à faire « honneur à tous ces hommes qui se sont battus pour la France » et de conclure : « Pour tous ceux qui n’aiment pas la France, personne ne vous retient ». La France tu l’aimes ou tu la quittes ? L’animateur du Crayon rappelait alors à son invité qu’il n’avait pas pris la parole lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Et le youtubeur faisait alors une révélation : « Je me suis fait agresser quand j’avais 17 ans et les policiers sont intervenus et ont menotté les agresseurs. Grâce à ça ils ont été jugés, condamnés et ont fait un an de prison ». Ce qui explique les nombreuses vidéos du youtubeur avec la police, la gendarmerie et l’armée depuis. « Je voulais être militaire quand j’étais petit ». À propos des émeutes, Tibo InShape précisait laconiquement : « Je n’ai pas donné mon avis, mais je pense que les gens au fond d’eux le connaissent ».

Originaire de Toulouse, domicilié aujourd’hui à Albi, le vidéaste se rend régulièrement dans la capitale pour raisons professionnelles. Par chance, il filme presque tout, y compris son échange avec un chauffeur de taxi lorsqu’il découvre les charmes de Barbès[4]. Dans cette séquence, notre Candide demande à l’homme au volant si Barbès est « un quartier qui craint ». Ce dernier répond alors ce que tout le monde sait : « C’est blindé de clandestins. Tu peux te faire arracher ton sac en deux secondes ou te prendre un coup de couteau par un « gogol ». Devant la Société Générale, j’ai vu un mec se faire tuer devant moi ». « La police a du boulot ici… », constate alors Tibo. Le chauffeur abonde dans son sens : « ce n’est pas du boulot, c’est du ménage qu’ils doivent faire ». Rires un peu gênés. Après la France tu l’aimes ou tu la quittes, il nous fait le coup du karcher. La région parisienne, le taxi connaît par cœur, il y passe toutes ses journées. « Là, t’as la gare du Nord et faut pas y traîner, tu prends ton train et tu te casses, y a que des chacals. Ils sont sans foi ni loi, ils n’ont rien à perdre. Les mecs ont pris une barque pour venir en France, ils n’en ont rien foutre d’aller en prison. Le 18e et le 19e, ce n’est même pas la peine d’y traîner ». De son côté, sur le plateau de « Clique » en janvier 2020, alors qu’il interrogeait le rappeur Maes originaire de Sevran, Mouloud Achour observait qu’ « il n’y [avait] pas de territoires perdus de la République, [que] ça n’existe pas ». Vraiment ?

Fallait pas l’inviter

Elevé dans le catholicisme, aimant le drapeau tricolore, longtemps désireux de devenir militaire et a priori laudateur sur la police, il y a donc autant de chances de voir Tibo InShape voter Mélenchon que de l’entendre crier « Allah Akbar » place de la République. Mais alors, que faisait-il chez « Clique » ? Une émission qui est aux antipodes de ce qu’il est et de ce qu’il représente. Surtout, pourquoi a-t-il été invité, alors qu’il ne colle pas trop au ton de l’émission ? Eh bien, c’est précisément pour cela qu’il a été invité ! Mouloud Achour n’ignore pas la sensibilité politique de Tibo et, au cours de l’interview, a multiplié les allusions sur cette dernière, espérant coincer son invité et même, pourquoi pas, obtenir un mea culpa de sa part. L’animateur lui demande ainsi « s’il y a des choses que tu pardonnes mais que tu n’oublies pas ? ». Tibo évoque alors de nouveau l’agression qu’il a subie à 17 ans, rappelle qu’il était avec deux amis, non loin de Toulouse, quand deux voitures sont arrivées derrière eux, que plusieurs « jeunes » en sont sortis, dont un armé d’une batte de baseball. « Le fait d’avoir cette peur en toi, est-ce que ça peut créer des névroses ou des ressentiments ou stigmatiser des gens ? » Ah, on y vient enfin ! Ce qui semble préoccuper Mouloud Achour, ce n’est pas tant que des gens soient sauvagement agressés en France, mais que les agresseurs puissent être stigmatisés. « Je me baladais avec un poing américain dans la poche », confie ensuite Tibo, en se remémorant cette époque difficile où il avait peur pour sa sécurité après la condamnation de ses agresseurs. « Surtout qu’on a été recherchés par les petits frères » ! Envoyer les « petits frères » du quartier pour casser la gueule à un type, pas de doute, la Manif pour Tous a encore frappé !

À la fin de l’interview, Achour demande : « Pour qui est-ce que tu ne voteras jamais ? ». Réponse : « Il ne faut jamais dire jamais, on verra bien ». Perdu : il fallait répondre Le Pen, Zemmour, ou Marion Maréchal ! « Ça te dirait de faire de la politique ? » ose enfin l’animateur, qui cherche à pousser son invité à la faute. « Faut jamais dire non, on verra » répond alors Tibo, qui bien qu’il garde le sourire, aimerait visiblement qu’on passe à autre chose. « Je suis sûr que tu vas en faire », rétorque l’animateur. Mouloud Achour ne veut pas lâcher sa proie car il sait bien que si Tibo venait à s’engager politiquement ils ne seraient pas dans le même camp. Pas côte à côte, mais face à face pour reprendre une célèbre formule ? La fin de l’interview est à l’avenant, on ne peut plus tendue entre les deux hommes… « Je suis sûr qu’un jour tu feras de la politique » veut croire Achour. «Qu’est-ce qui te fais dire ça ? » répond l’invité sur un ton beaucoup plus doux que celui qui l’interroge. Réponse sèche : « Je le sens. » Fin de l’interrogatoire.


[1] Gérard Noiriel : Comment répondre à Éric Zemmour ? – Clique – CANAL+ – YouTube

[2] Niro : un artiste stupéfiant – Clique – CANAL+ – YouTube

[3] https://www.youtube.com/watch?v=vZd0vdrvCVc

[4] https://www.youtube.com/shorts/Ob9P0ASvU18




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étudiant en journalisme

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