Avec son Petit traité de la bêtise contemporaine, Marilia Amorim poursuit la critique linguistique du postmodernisme esquissée dans ses ouvrages précédents. Cette disciple de Bakhtine mêle l’humour à la rigueur universitaire pour nous convier à une balade à travers la ville où l’on dit « je » à notre place à chaque coin de rue. Dans les notices pharmaceutiques, dans le métro, au supermarché ou sur Internet, elle découvre et médite l’angoissante omniprésence de la « forme énonciative fusionnelle » qui réduit systématiquement en bouillie la distance entre le locuteur et le destinataire du discours.[access capability= »lire_inedits »] Cette lèpre linguistique, dont nombre de nos contemporains semblent s’accommoder sans démangeaisons, relève à ses yeux d’une pseudo-démocratisation et d’une infantilisation.
Marilia Amorim voit dans cet effondrement de la triangulation symbolique, dans cet affaissement du je-tu-il qui est le propre de la parole humaine, une tendance « totalitaire non autoritaire » et une violence postmoderne qui touche en nous au plus intime. Dans l’autobus du langage, publicitaires et « communicants » de l’espace réputé jadis public viennent en somme s’asseoir l’un après l’autre à notre place comme si elle était vide, nous écrasant tout en sifflotant avec la dernière impudence. Et nous devrions ne pas émettre la moindre protestation contre cette pyramide humaine qui broie nos cuisses et nos genoux ?
Marilia Amorim explore ensuite, rebroussant méthodiquement les poils de la bête postmoderne, le lien fondamental entre parole et mémoire, parole et culture. La vocation de la parole n’est pas la transmission de prétendues « informations » – la personne humaine n’est ni une abeille ni une chaîne d’information en continu – mais celle du substrat culturel véhiculé par la langue elle-même à travers la différence des générations. Raconter des histoires, réelles ou imaginaires, constitue la spécificité absolue qui distingue le langage humain de toutes les formes de communication animale, aussi méritoires soient-elles.
Marilia Amorim définit avec justesse la postmodernité comme une conspiration contre la parole et la liberté humaines, qui procède en son fond d’une haine hurlante et inconsciente du corps et de la voix humaine.[/access]
Marilia Amorim, Petit traité de la bêtise contemporaine, suivi de Comment (re)devenir intelligent, ed. Erès, collection Humus Philo.
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