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Quand les riches veulent payer


Jean Poiret, Que les gros salaires lèvent le doigt

Je m’en étais toujours douté, mais cette fois-ci ma religion est faite : ceux qui sont parvenus à se hisser jusqu’au sommet des entreprises du CAC 40 ne sont ni des imbéciles, ni des personnes dénuées de toute moralité, bien au contraire. La preuve décisive de leur élection (au sens transcendantal du terme) vient de nous être administrée par le manifeste signé par seize d’entre eux, et non des moindres, demandant humblement à l’Etat de les taxer plus.

Certes, cette idée de génie a atteint leur cerveau d’exception grâce à un vent favorable venus des Etats-Unis, où le détenteur de la deuxième fortune mondiale, Warren Buffet, réclame une ponction plus sévère de ses revenus par le fisc.
Mais la haute finance n’a rien a voir avec la littérature : dans ce milieu, le plagiat est admis, sinon recommandé, pour la bonne raison que la vertu n’est protégée par aucun brevet, et n’est cotée sur aucune place financière de la planète.

De plus, nos grands patrons ont su admirablement adapter à leur vieux pays perclus d’Histoire une initiative consistant, pour l’essentiel, à faire de nécessité vertu. A l’image de leurs ancêtres de l’Assemblée constituante de 1789, les privilégiés de notre siècle se rassemblent une avant garde iconoclaste dans un lieu symboliquement marqué, les colonnes du Nouvel Observateur. D’accord, ce n’est pas Versailles, mais c’est là où, en 1971, un manifeste célèbre, celui dit des « 343 salopes » donna l’impulsion décisive à la réforme de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse.

La sincérité de certains des signataires de ce texte ne saurait être mise en doute : Maurice Lévy, Jean Peyrelevade, Louis Schweitzer, Frank Riboud ont toujours porté haut l’étendard de l’éthique patronale, par tradition familiale juive ou protestante, ou par leurs liens passés avec une gauche allergique à « l’argent qui corrompt tout ».

Mais ce n’est pas leur faire injure que de constater qu’en l’occurrence, ils l’ont vraiment joué très fine.
En cette fin d’été, le Tout-Paris politico-médiatique bruissait de rumeurs indiquant que les super-riches ne pouvaient plus échapper à l’équarrissage fiscal, seul moyen de faire admettre par les moins riches le tour de vis inéluctable. L’inflexibilité de madame Merkel, insensible aux câlins de Nicolas Sarkozy, interdisant le tour de passe-passe consistant à adosser la dette souveraine des pays de l’eurozone à la solvabilité d’airain de l’Allemagne, ne laissait aucune issue à la France. Les vautours[1. Quelle est la différence entre un vautour et une agence de notation ? Le vautour, parfois peut avoir un regard humain.] des agences de notation commençaient à planer en cercle au dessus de Paris. On tremble pour le « AAA », qualifié par Alain Minc de « trésor national ». Pour résumer, les carottes étaient cuites, même pour la bande du Fouquet’s. La CGPME (syndicat des petits patrons) risquait de faire front commun avec la CGT le 1er Mai 2012 si les cadors du CAC 40 continuaient à pratiquer « l’optimisation fiscale », un euphémisme pour la pratique d’un sport consistant à niquer Bercy dans les grandes largeurs.

Dans ces circonstances, il était préférable de prendre les devants : ce qu’on ne peut empêcher, on a tout intérêt à le favoriser.

La plus-value de jouissance engrangée en cette occasion par les grands patrons vaut bien quelques sacrifices en cash : couper, ne serait-ce qu’un bref moment, le sifflet de ceux qui ne cessent de brailler qu’il faut « faire payer les riches » est un plaisir rare et délicieux.

Quant aux petits bras de la classe moyenne, qui jonglent entre les minables plans d’épargne en actions, le livret A et l’assurance-vie à 3,90%, leur sort est confié à un type genre notaire de la Sarthe, actuellement logé à l’Hôtel de Matignon. Eux n’ont pas les moyens de porter leur vertu en étendard.



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