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Quand les flottilles s’en sont allées


Quand les flottilles s’en sont allées

Bateaux

Maintenant que les esprits se sont un peu calmés, il est temps de parler des choses sérieuses : le blocus israélo-égyptien sur Gaza instauré il y a environ trois ans. Il faut commencer par rappeler qu’il n’est pas une fin en soi mais le moyen d’atteindre un objectif : ramener Gaza dans le giron de l’Autorité palestinienne soit en changeant le Hamas soit en se débarrassant de lui.

L’amère expérience du sud-Liban

La plus vieille astuce dans le débat sur le conflit israélo-palestinien réside dans le choix du point de départ. Jouons donc cartes sur table : je place le mien en mai/juin 2000, moment de la retraite israélienne du Sud-Liban. Le 16 juin, le secrétaire général de l’ONU déclare qu’Israël a rempli à la lettre les exigences de la résolution 425 (1978), notamment en repliant ses forces derrière la « ligne bleue » et en démantelant l’armée du Sud. Or, malgré cette initiative du gouvernement israélien, le Hezbollah a non seulement continué la lutte armée contre Israël mais il a trouvé sans difficulté un large soutien dans le monde arabo-musulman (et hélas un peu en Occident aussi) pour mener sa politique de guerre, qui va jusqu’à la destruction de l’Etat hébreu. Ceux qui pensaient qu’en répondant aux exigences de la communauté internationale Israël priverait le Hezbollah de légitimité et aurait les mains libres pour agir si la milice chiite l’agressait ont malheureusement eu tort.  

Contrôler les frontières de Gaza

Cette amère expérience, jointe à celle de trois années d’Intifada (2000-2003), était présente dans tous les esprits quand Ariel Sharon a décidé d’évacuer la bande de Gaza. À quoi bon déchirer la société israélienne si on se retrouve en fin de compte avec un deuxième Liban, demandaient ses opposants. Sharon avait d’autres idées, plus larges. Il a compris que la politique de colonisation était dangereuse pour l’avenir d’Israël. Autrement dit, un Premier ministre israélien, un faucon architecte de la colonisation, a compris que les colonies étaient un obstacle majeur à un arrangement durable et non-violent entre Palestiniens et Israéliens. Il est passé aux actes et à la fin de l’été 2005, il n’y avait plus un seul Israélien dans la bande de Gaza. Mais la retraite israélienne n’a pas été complète. Pour des raisons de sécurité – empêcher la libanisation de Gaza – Israël, avec la coopération de l’Autorité palestinienne, de l’Egypte et de certains pays occidentaux, a gardé le contrôle des frontières. Cette condition a été imposée par Israël non pas pour priver les Palestiniens de l’un des attributs de leur souveraineté nationale, mais parce qu’ils ne pouvaient pas à eux seuls, pas plus que le gouvernement libanais, empêcher un trafic d’armes et la transformation de la bande de Gaza en plateforme de tir des roquettes.

Face à cette politique israélienne – critiquable mais, admettons-le, pas très agressive   – il y avait deux possibilités : reconnaître l’important effort accompli avec l’évacuation des colonies ou épingler Israël pour tout ce qui clochait dans cette initiative, surtout le fait qu’elle était unilatérale et incomplète. L’Egypte, les Etats-Unis et l’Union européenne ont ouvertement choisi la première option et l’Autorité palestinienne les a discrètement suivis. Or la situation s’est rapidement dégradée après la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes de 2006. Le Hamas a décidé d’entrer dans le gouvernement palestinien sans assumer les d’accords signés avec Israël depuis Oslo (1993), c’est-à-dire sans reconnaître l’Etat d’Israël ni – ce qui est beaucoup plus grave – renoncer à la lutte armée.

La surenchère violente du Hamas

Les Américains et les Européens ont été bien embarrassés, et la solution trouvée a démontré l’embarras et la complexité de la situation : aucun contact avec le Hamas ni avec le Premier ministre issu de ce mouvement, tout (argent et contacts officieux) devant passer par les ministres et le président Abbas issus du Fatah.

Cette drôle de cohabitation s’est encore compliquée par la violente surenchère du Hamas. Ne pas renoncer à la lutte armée est une chose, la mettre en œuvre en est une autre. Or, sans tarder, le Hamas a multiplié attentats (notamment contre les points de passage pour faire souffrir la population et embarrasser Israël et ses alliés) et tirs de roquettes et a même pénétré en territoire israélien (donc hors de la bande de Gaza) pour enlever le désormais célèbre Gilad Shalit, en juin 2006.

Pour résumer la situation, non seulement le Hamas a intégré le jeu politique palestinien sans renoncer aux « privilèges » d’un mouvement de libération nationale – i.e. la lutte armée – mais il a accentué la pression militaire sur Israël. Cette politique, précisons-le, a été décidée unilatéralement par le Hamas et non par le gouvernement palestinien et son président, entraînant une situation bancale et fragile jusqu’à juin 2007 : les masques sont alors tombés et la scission entre Ramallah et Gaza a été consommée suite à une mini-guerre civile.

La négociation n’a pas été possible car le Hamas a continué de refuser les conditions posées par un quatuor composé des Etats-Unis, de l’Angleterre, de la Russie et de la France (dirigée Chirac et Villepin). Israël, en concertation avec l’Egypte, l’Autorité palestinienne et certains pays européens, a essayé de mettre en place une politique appuyée sur trois piliers : diplomatique (une coopération étroite avec l’Egypte, concertation avec les EU, les Européens et l’AP), économique et militaire (sous une forme allant de l’assassinat ciblé à l’opération « Plomb durci »).

Mahmoud Abbas contre le blocus et contre sa levée inconditionnelle

L’Autorité palestinienne en était partie prenante, en particulier sur la pression économique. Ainsi il y a quelques jours à peine, après l’affaire de la flottille, un membre d’une délégation palestinienne en déplacement en Turquie, probablement le président Abbas s’exprimant « off », a exprimé la déception de l’AP face à la politique turque à l’égard du Hamas. Selon cette « source officielle », la levée inconditionnelle du blocus de la bande de Gaza ne serait pas une bonne idée. Cette politique, disait-il, renforcerait le Hamas et nuirait à l’AP. Ramallah demande « bien entendu » la levée du blocus, mais à la condition que le Hamas revienne sur son coup d’Etat et accepte la médiation égyptienne pour parvenir à une réconciliation entre les deux factions palestiniennes. Sauf que la Turquie essaie justement de prendre la place de l’Egypte…

Le quatrième pilier de cette stratégie aurait dû être la politique vis-à-vis de l’Autorité palestinienne. Or, sur ce front-là, l’insuccès est patent et risque de faire écrouler tout le reste. Les raisons de cet échec sont nombreuses mais le plus important est la déception de l’électorat israélien : par deux fois Israël s’est retiré (du Liban en 2000 et de Gaza en 2005), et chaque fois il a reçu en retour des roquettes et une menace iranienne dans le dos. D’où l’avènement du gouvernement Netanyahou/Lieberman. Chaque Français indigné doit d’abord se poser une question : comment aurait-il agi s’il avait dû voter en Israël l’an dernier ?

La violence du Hamas mieux acceptée que celle d’Israël

Les autres piliers de la stratégie se sont eux aussi affaiblis considérablement. Bombardement aérien, assassinats, opération de grande envergure, opérations du Mossad : tous ces moyens et d’autres encore étaient sévèrement condamnés tandis qu’en même temps la violence du Hamas trouvait des soutiens en Occident. Les 20.000 islamistes massacrés par Assad en 1982 n’ont pas suscité autant de protestation que les neuf militants tués par Israël. Même les méthodes turques, un peu plus douces que les méthodes syriennes (« seulement » 40 000 Kurdes tués depuis 1984) sont inenvisageables pour Israël.

Dans ces conditions, face à un Hamas qui ne cède pas d’un millimètre, n’accepte pas les conditions a minima du quatuor, continue de tirer des roquettes, des obus de mortier, de perpétrer des attentant et d’envoyer des snipers perturber la vie de l’autre côté de la frontière, la seule arme disponible est la pression économique.

Reste donc la seule question qui vaille : l’efficacité du blocus et plus généralement de cette politique vis-à-vis du Hamas. Si le but est de rendre le Hamas impopulaire à Gaza, qui peut prétendre connaître l’état d’esprit des Gazaouites  vivant sous le joug d’une dictature ? Il est tout aussi impossible d’affirmer que la dureté de leur vie crée un désamour entre le peuple et le gouvernement que de prétendre que la détestation d’un ennemi commun a créé une union nationale. On sait en revanche qu’après l’opération Plomb durci, les tirs de roquettes, s’ils n’ont pas cessé, sont devenus beaucoup plus rare. Y a-t-il un lien de cause à effet entre la violence de l’opération israélienne et la modération de la violence palestinienne depuis ? Combien de temps cela peut durer ? Voilà d’excellentes questions plus importantes encore que la technique d’abordage de la marine israélienne.      
 
Insensible à la souffrance de ses administrés et pratiquant la lutte armée pour l’éradication d’Israël (à laquelle l’OLP a renoncé), le Hamas peut compter sur le soutien systématique des trois quarts des pays membres de l’ONU et d’un nombre croissant d’Occidentaux. Dans ces conditions sa meilleure stratégie est la patience : il lui suffit d’attendre que les opinions publiques arabes et européennes obligent leurs gouvernements à faire pression sur Israël. L’injustice, voyez-vous, n’est pas toujours là où l’on croit…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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