Sur France Culture le 12 juillet, l’écrivain Aurélien Bellanger se penchait sur « les tourments conservateurs des intellectuels français ». L’occasion de ranger Pascal Bruckner, Eric Zemmour et Alain Finkielkraut dans le même sac de ceux qui pensent mal depuis le 11 septembre 2001.
L’indifférence peut être aujourd’hui une forme d’héroïsme face aux crimes et aux prévarications mondialisées. Je n’y parviens pas. Pas plus qu’à suivre Aurélien Bellanger, dans le 33ème épisode de sa quarantaine sur France Culture le 12 août.
Barrès superstar
Sa charge véhémente contre Pascal Bruckner qualifié de « clown triste » tient à la jouissance du spectateur trop bien assis face aux jeux dangereux du cirque. Et sans crainte de franchir la boue de son Rubicon, notre César d’élargir son propos : Bruckner qui, tout comme Finkielkraut et Zemmour, se montrèrent pour lui de « si mauvais intellectuels » car « ils n’ont pas su voir que la seule conséquence grave, politiquement, du Bataclan et du 11 septembre, ce fut le passage imprévu d’un décadentisme désuet, le barrésisme, en philosophie officielle de la France ». Voilà qui, faute des intéressés possiblement ahuris par cette brillante analyse, devrait faire sourire Emmanuel Macron : le « culte du moi », cher à Barrès, ne lui est pas étranger.
Et le réel dans tout ça ?
Mais notre critique du décadentisme ignore sans doute ce qui fut pourtant amplement décrit dans Les territoires perdus de la République (2002) tout comme la montée dans le Val d’Oise d’un séparatisme islamiste bien représenté par l’élu Abdelaziz Hamida, anciennement fiché S et inspiré par les fondamentalistes du Tabligh.
Et de qu’elle profondeur abyssale se prévaut Bellanger pour se poser en juge implacable de ces intellectuels rétrogrades : rien moins que Walter Benjamin dont il exhume en le distordant un article sur les écrivains français. Mais il ne cite pas la source : Benjamin écrivait en 1934 à Horkheimer, réfugié aux Etats Unis : « Si les romanciers français d’aujourd’hui ne parviennent pas à peindre la France contemporaine, c’est qu’ils se sont finalement disposés à tout accepter d’elle ». Demandez donc aux trois « mauvais intellectuels », « fantômes esseulés de la gauche », qui se sont mis à « virer passionnément à droite », s’ils ont tout accepté sans la moindre critique des errements politiques, à commencer par les accords de Munich, des gouvernements français successifs et de leurs teintures idéologiques, jusqu’au politiquement correct d’aujourd’hui destructeur de la langue, de ses concepts et de l’Histoire !
Dandy cool
De leur part, il ne s’agit pas d’un virement à droite mais de publications de mise en alerte depuis, notamment, La défaite de la pensée (Finkielkraut, 1987), Le sanglot de l’homme blanc (Bruckner, 1993) ; sans compter dans un tout autre esprit les nombreux coups de feu néo6nietzschéens de Zemmour.
Comparer comme le fait notre dandy la destruction des Twin Towers le 11 septembre 2001 et ses milliers de morts à « notre affaire Dreyfus », « alors que la menace djihadiste, idiote et inutile, subit une attaque virale dont elle ne se relèvera sans doute pas », franchit allègrement le mur du çon d’une émission radiophonique. « Idiote et inutile », voilà les seuls adjectifs, la seule analyse que notre héros de la pensée trouve pour qualifier la menace islamiste…
Affaire Dreyfus ? : le massacre de Charlie hebdo, du Bataclan, de l’Hyper Cacher et tous ceux et celles qui furent assassinés par les « djihadistes » au nom de l’islam ? Tout cela pour nous faire prisonniers de perpétuels commentaires sur le plateau de C dans l’air !
Mais il est remarquable que le nom Dreyfus soit la seule allusion aux Juifs dans ce déploiement de dénis. Dreyfus mis au service d’une bagatelle… pour un petit massacre.
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