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Quand le président rate la marche

Le billet de Dominique Labarrière


Quand le président rate la marche
Hommage à Jacques Delors, Paris, 5 janvier 2024 © Jacques Witt/SIPA

Et si ne pas avoir maintenu Attal à l’Education se révélait une erreur historique dont le président Macron allait se mordre les doigts?


Pour un chef d’État, les opportunités d’entrer pour de bon dans l’Histoire ne sont pas forcément très fréquentes. Aussi, lorsqu’il s’en présente une convient-il de ne pas rater la marche. La marche qui ouvre la voie vers les sommets, vers la vraie grandeur que les peuples sont tout disposés à reconnaître à ceux qui, à tel moment fatidique, ont su saisir la gravité des enjeux et s’affirmer en véritable homme d’État. C’est-à-dire en chef capable d’oublier l’instant pour penser Histoire, capable d’oublier la politique, la politicaillerie, pour penser destin, penser nation et voir loin, bien au-delà en tout cas des échéances électorales et des plans de carrière des uns et des autres.

Cette marche-là, le président de la République vient de la rater magistralement. Obsédé par une chasse au Bardella qui risque fort de se muer en chasse au dahu, et donc de ne rien donner (surtout si, comme cela se colporte, on bombarde en tête de liste le héros au masque de Super-Menteur des joyeusetés Covid), il a promu le bon élève Attal général-en-chef de cette traque avec mission d’y aller sabre au clair et panache au vent.

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Dont acte. Sauf que le promu chef des armées occupait depuis l’été un poste également stratégique et surtout d’une tout autre importance. Il avait en main le ministère de l’Éducation nationale, là où se décide et s’oriente la formation de la jeunesse, là où se joue le niveau d’instruction des générations à venir. Non seulement le niveau d’instruction, mais, conséquemment, le niveau d’intégration, ce qui n’est pas rien. Le lieu de « la mère de toutes les batailles » de l’aveu même des premiers intéressés, président et gouvernement.

S’il y a consensus dans le pays, c’est bien là qu’il se niche : dans la prise de conscience que tout est à refaire dans ce domaine, que ce chantier-là est essentiel, vital, les choses s’étant à ce point dégradées depuis quatre ou cinq décennies qu’on peut craindre de voir sous peu le mammouth sombrer dans un coma dépassé. Il y aurait donc urgence. 

Or, M. Attal avait plutôt bien réussi sa rentrée scolaire. Il disait les choses, nommait les problèmes, annonçait des décisions, cela avec une autorité de ton rassurante. Le milieu semblait l’accepter. Point de menace de grève massive à l’horizon, une rareté qui probablement vaut en soi adoubement. Bref, il pouvait paraître être l’homme de la situation. Les sondages, les enquêtes d’opinion, les baromètres de popularité – toutes évaluations qui ne valent ce qu’elles valent, bien sûr, mais tout de même…- ne traduisaient pas autre chose.

Et c’est bien là que le président aurait pu – aurait dû – voir s’ouvrir devant lui l’opportunité de s’imposer dans l’histoire, sentir qu’il tenait l’occasion d’inscrire dans le marbre de la postérité la trace de ses années jupitériennes.

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Puisque, lors du premier conseil des ministres, qui s’est tenu autour d’une table en réduction – obsession du symbole à deux balles quand tu nous tiens ! – il jugea opportun d’inviter son équipe à se montrer révolutionnaire, que ne s’y est-il invité lui-même ?

Premier Conseil des ministres, le 12 janvier 2024. ©Michel Euler/AP/SIPA

Se montrer révolutionnaire en l’occurrence, c’était affirmer dans les actes, et pas seulement dans le verbe, l’absolue suprématie du chantier Éducation nationale. C’était venir devant le pays et déclarer solennellement que, pour le reste de son quinquennat, il prenait la décision proprement « révolutionnaire » de sanctuariser – oui, sanctuariser ! – le ministère de l’Éducation, cela en commençant par y maintenir à sa tête, pour ce (relatif) long temps, l’homme de débuts si prometteurs. Le rendre intouchable, lui offrir la sérénité et la sécurité indispensables pour conduire une si noble et si difficile tâche. C’était en quelque sorte faire le choix de « laisser le temps au temps », comme il est dit dans Don Quichotte.

Le nouveau cap – ou plutôt le cap après quoi le président court depuis le premier jour – se trouvait ainsi clairement tracé, affirmé. Enfin ! Jules Ferry, Charles Péguy et tant d’autres y auraient applaudi de grand cœur, c’est certain. Le pays aussi, ce n’est pas douteux. Enfin une vision ! Enfin quelque chose de grand ! Enfin quelque chose pour demain, enfin quelque chose pour le pays, la nation ! Quand Colbert faisait planter des forêts de chênes destinés aux charpentes et à la marine, il voyait à cent ans. On n’en demande pas tant. On se serait contenté que l’on regarde un peu plus loin qu’un certain dimanche de juin et le printemps 2027. Raté.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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