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Le Niger éradique toute trace française à Niamey


Le Niger éradique toute trace française à Niamey
Niamey, juillet 2024 Omar Hama/AP/SIPA

Le dernier putsch au Niger a provoqué une dégradation rapide des relations avec la France, l’ancienne puissance coloniale. Sous l’influence de figures panafricanistes (comme le militant raciste Kemi Seba, arrêté en France cette semaine), le gouvernement a entrepris de réécrire son histoire en effaçant les traces françaises dans la capitale, Niamey.


Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, le Niger et ses 26 millions d’habitants sont dirigés par une junte militaire. Les relations avec la France, ancienne puissance coloniale, se sont rapidement détériorées après que les militaires ont refusé de restituer le pouvoir au président Mohamed Bazoum, malgré les pressions de Paris. Des manifestations anti-françaises ont alors éclaté à Niamey, la capitale, forçant la France à organiser l’évacuation de ses ressortissants, à fermer son ambassade et à retirer ses troupes présentes dans le cadre de l’opération Barkhane, mission initialement lancée pour aider les pays d’Afrique de l’Ouest à lutter contre le terrorisme islamiste au Sahel.

Un régime parano

Désormais perçue comme une menace, sans cesse accusée d’exploiter les ressources du Niger à son propre avantage, la France est devenue la cible régulière du régime du Général Abdourahamane Tiani. Pointant du doigt de mystérieuses actions subversives de Paris, il évoque la présence d’agents de la DGSE française opérant depuis le Bénin et le Nigeria. Parallèlement, les putschistes se sont rapprochés des juntes au pouvoir au Mali et au Burkina Faso, deux régimes qui partagent également leur hostilité envers la France. Profitant de la situation, des mercenaires russes de la société Wagner et des instructeurs militaires envoyés par Moscou se sont installés, remplaçant les forces françaises, avec des contrats lucratifs à la clef.

Kemi Seba en 2006 © SIMON ISABELLE / SIPA Numéro de reportage : 00531190_000010

Poussée par sa paranoïa, la junte militaire nigérienne s’est associée à Kemi Seba, figure majeure du suprémacisme noir. Condamné à plusieurs reprises en France pour incitation à la haine raciale, cet homme, dont le nom civil est Stellio Gilles Robert Capo Chichi, a récemment été déchu de sa nationalité française. Il est accusé de déloyauté envers la France, pays qu’il critique sans relâche pour son supposé néocolonialisme. Proche de la Russie, il a fait plusieurs voyages à Moscou sur invitation de personnalités nationalistes liées au Kremlin. Désormais conseiller d’État du général Abdourahamane Tiani, Kemi Seba est très influent sur les réseaux sociaux, où ses publications sont suivies par des centaines de milliers de personnes, ce qui agace profondément la France en raison de l’influence qu’il exerce sur la diaspora africaine.

L’ancien Strasbourgeois est devenu un fervent défenseur du panafricanisme. Il a été arrêté menottes aux poignets le 14 octobre dernier par la police française, après être entré en France avec un passeport diplomatique. Il est accusé de « complicités avec une puissance étrangère » visant à inciter des actes hostiles contre l’Hexagone. Placé en garde à vue pendant 48 heures, son avocat, l’impayable Juan Branco, a critiqué cette arrestation, y voyant une tentative de Paris de « criminaliser un opposant politique et intellectuel. » Cette affaire renforce les convictions de Kemi Seba qui s’est épanché sur son compte X (anciennement Twitter) et ceux de ses partisans, qui se présentent comme une génération combattant pour « la décolonisation ultime du continent », tout en justifiant les discours de la junte nigérienne…

Une avenue débaptisée en fanfare

Un dernier exemple de la rupture entre le Niger et la France est la décision du gouvernement putschiste de rebaptiser plusieurs lieux emblématiques de la capitale ayant des noms français. Lors d’une cérémonie accompagnée de fanfares militaires, le ministre de la Jeunesse, de la Culture, des Arts et des Sports, le Colonel Major Abdourahamane Amadou, a retiré le portrait de l’explorateur Parfait-Louis Monteuil pour le remplacer par celui du capitaine Thomas Sankara, symbole du panafricanisme, dirigeant africain qui s’était opposé à la France avant son assassinat en 1987. L’avenue Charles de Gaulle a été rebaptisée Djibo-Bakary, en hommage à un héros de l’indépendance nigérienne que la junte a réhabilité. Le centre culturel franco-nigérien est désormais nommé Moustapha-Alassane, en honneur à un pionnier du cinéma africain, et la place de la Francophonie a été renommée place de l’Alliance-des-Etats-du-Sahel (AES), symbolisant l’alliance des juntes ouest-africaines unies contre l’influence française.

Dans son discours, le Colonel Major Abdourahamane Amadou a expliqué que cette décision visait à effacer des noms qui n’avaient aucune résonance dans l’imaginaire collectif des Nigériens. Parallèlement, le gouverneur de Niamey, le Général de brigade Abdou Assoumane Harouna, a quant à lui rappelé que la traite négrière et la colonisation avaient infligé à l’Afrique le racisme et la domination civilisationnelle des colonisateurs « éclairés ». Cette rupture avec l’ancien colonisateur s’inscrit également dans une volonté avérée de renforcer l’identité nigérienne. Elle s’est encore récemment illustrée par l’adoption d’un nouvel hymne national en juin 2023. « Pour l’honneur de la patrie » remplace celui composé en 1961 par le Français Maurice Albert Thiriet et fait écho aux luttes anticoloniales avec un fort accent panafricaniste parmi ses strophes.

La crise actuelle au Niger constitue un tournant majeur sur le plan géopolitique, marquant une rupture radicale avec la France. Ce basculement semble annoncer la fin progressive de la fameuse « Françafrique », cette officine nébuleuse d’État tant critiquée depuis le début de la Ve République et que le président Emmanuel Macron s’était engagé à supprimer. Cependant, pour les Africains, cette transition s’accompagne déjà d’un coût fort élevé : la menace islamiste au Sahel n’a jamais été aussi forte.




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Journaliste , conférencier et historien.

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