Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler, au-delà des auteurs, de collections disparues qui ont déclenché chez lui l’envie de lire grâce à leur couverture, leur maquette, leur papier, ou tout simplement le soin apporté à leur fabrication. De 1000 Soleils à L’instant romanesque, le livre savait se mettre sur son « 31 »
Lire, c’est d’abord voir et ensuite toucher. N’en déplaise aux écrivains qui s’imaginent irrésistibles à l’écrit, ils seraient étonnés d’apprendre, qu’avant de se délecter de leur prose, le lecteur a consenti à acheter leur roman ou leur essai pour des raisons extra-littéraires. On est, avant tout, attiré par une couverture, une illustration, une conception graphique particulière, un grammage, une texture, une qualité de peau en somme, rarement pour le résumé de la quatrième. Après, bien plus tard, des années même après cet élan primaire, on lira l’ouvrage tant désiré ou pas. Un livre doit avoir une bonne gueule, une bonne main, des couleurs qui correspondent à notre propre arc-en-ciel pour nous alpaguer dans la jungle touffue des librairies. Le contenu est presque anecdotique. Il n’est pas déshonorant d’acquérir des livres uniquement pour leur aspect visuel ou leur singularité esthétique. Les bibliophiles apprécient autant l’objet que le phrasé. Le collectionneur est un papivore, un animal qui boulotte du papier, sous toutes ses formes. Certaines collections ont marqué l’imaginaire des enfants, si j’ai été longtemps sensible à la fantasia des Folio Junior, je leur dois mes premiers émois, c’est à l’âge adulte que je me suis mis à recueillir compulsivement toute la dynastie des « 1000 soleils », collection imaginée par Gallimard Jeunesse afin de sensibiliser le jeune public aux chefs-d’œuvre. Tous ces grands classiques qui indiffèrent ou intimident sont au nombre de 156. « 1000 soleils » jouait à l’entremetteur en usant de vieilles ficelles : des couvertures colorées à vocation cinématographique et une certaine tension dramatique. L’illustration était la porte d’entrée de l’écrit. De Tolkien à Cyrano, de Croc-blanc à La gloire de mon père, de Melville à Gide, ils étaient tous là : Dhôtel, Bradbury, Kipling, Giono, Mac Orlan, Hugo, Roald Dahl et même Homère. Parmi les 156, j’ai mon préféré Le fauteuil hanté de Gaston Leroux paru en 1979, terrifiant avec cette tête de mort surmontée d’un bicorne en forme de coupole. À la fin de ce roman, le jeune lecteur avait droit à quelques informations sur le rôle de l’Académie, son fondateur Richelieu, quelques points du règlement et Alain Decaux racontait en deux pages son arrivée, insistant sur la courtoisie de la compagnie. « L’Académie ne recherche aucune hérédité, aucune ressemblance dans les successions de siège. Ainsi, je suis l’exemple type de cette volonté : je suis un autodidacte, je n’ai ni diplôme, ni agrégation, ni doctorat » écrivait-il. Parfois, on est possédé par la géométrie des années 1970, les lignes stylisées à la Vasarely, le losange Renault de ces années-là m’a toujours plu pour sa simplicité et son éclat. Julliard a lancé la collection « Idée Fixe » dirigée par Jacques Chancel en inaugurant un format tout en longueur et une palette allant du vert fluo au mauve psychédélique. On y trouvait de solides francs-tireurs, des populistes et des précieux, Audiard, Sternberg, Forlani, Nucera, etc… L’objectif avancé était de donner « l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres ». Le plus fascinant d’entre eux fut signé par André Hardellet, il s’intitule Donnez-moi le temps et est sorti en 1973. Hardellet nous révèle l’endroit où il a attrapé le virus de l’écriture dans « ces minutes d’enfance », du côté du jardin de Vincennes. Étudiant, j’étais fier d’exposer sur un rayonnage de ma bibliothèque, une vingtaine d’exemplaires de la collection « Le Promeneur » domiciliée chez Gallimard à partir de 1991 et dirigée par Patrick Mauriès. Depuis, au fil des années, j’ai acheté presque la totalité des 174 ouvrages, il m’en manque une quinzaine. Sans « Le Promeneur », je n’aurais pas eu accès aux écrivains italiens qui sont d’essentiels compagnons de route. Je n’aurais pas connu Soldati, Flaiano, Manganelli, Arbasino ou Consolo. Je me vois encore acheter Le père des orphelins en 1999, ne pouvant résister au dessin de Pierre Le-Tan et dépensant la somme élevée de 90 francs à l’époque pour ce livre d’une centaine de pages. Enfin, je demeure un inconditionnel de la collection « L’instant romanesque » portée par Brigitte Massot qui avait pour leitmotiv : « Ici, ils (les écrivains) prennent un savoureux plaisir à s’exprimer sur un sujet n’exigeant pas un long parcours ». Jean Freustié, René de Obaldia, Grainville ou Vitoux y donnèrent quelques textes. Je place deux d’entre eux au sommet de la pyramide littéraire, il s’agit de La nuit myope d’A.D.G et de Pierrot des solitudes de Pierre Kyria.
Sélection :
Le fauteuil hanté de Gaston Leroux – 1000 Soleils
Donnez-moi le temps de André Hardellet – idée fixe – Julliard
Le père des orphelins de Mario Soldati – Le Promeneur
La nuit myope d’A.D.G – L’instant romanesque – Balland
Pierrot des solitudes de Pierre Kyria – L’instant romanesque – Balland