Le Front national, bastion anti-écologique ? Maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan, Jean Jacob tord le cou à cette fake news institutionnelle.
Le 25 juin dernier, dans un entretien accordé au site universitaire en ligne The Conversation, l’historien Stéphane François faisait une assertion pour le moins curieuse : « le Front national (FN), sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, n’a jamais eu d’intérêt marqué pour l’écologie ». Déjà dans Le Monde, le 25 mars 2021, il affirmait : « Jean-Marie Le Pen ne s’y est jamais intéressé et considérait l’écologie comme une préoccupation de “bobo” ». Toujours dans Le Monde d’ailleurs, l’essayiste Pierre Madelin abondait dans le même sens en prétendant, le 6 juin 2023, que Jean-Marie Le Pen avait été « généralement hostile à la protection de l’environnement (…) ».
Une enquête et une lecture sérieuses des textes publiés par le parti à la flamme et son leader auraient pourtant évité la propagation de ces fausses informations. Jean-Marie Le Pen a souvent emprunté une démarche proche de l’écologie – une science centrée sur les relations réciproques entre un ou des êtres vivants et leur environnement – pour conforter ses propres convictions politiques. Souvent de façon subliminale – l’intérêt du FN pour le monde animal n’étant pas innocent, des leçons souvent rudes transpirant de son observation… – et parfois de façon explicite.
Ordre naturel
La parution en 1984 de l’ouvrage Les Français d’abord, signé par Jean-Marie Le Pen aux éditions Carrère-Michel Lafon l’illustre. Pour légitimer sa vision du monde, le fondateur du FN y rappelait que la droite s’est de longue date montrée attentive à « l’ordre naturel » (p. 71). Pour Jean-Marie Le Pen, celui-ci est rude, car les hommes et les peuples sont, écrit-il, « soumis à la dure loi pour la vie et l’espace » (p. 75). Partout, l’homme doit travailler une nature qui n’est pas toujours bienveillante. L’Europe y aurait, sur ce point, excellé, mais jusqu’à verser dans une forme de scientisme et de vanité (p. 159), lui faisant oublier Dieu.
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Pour Jean-Marie Le Pen, il faudrait davantage veiller à pérenniser désormais les équilibres subtils dégagés au fil du temps, qui ont abouti à différentes modalités de vivre-ensemble. « Toute la civilisation a consisté à affiner, à améliorer, à sauver la diversité du monde vivant » (p. 185), et non pas à trop se mélanger. C’est que Jean-Marie Le Pen restait convaincu de l’existence de races, ethnies et cultures différentes (p. 167). Il faut donc selon lui veiller à ne pas subir une « submersion » migratoire (p. 99). Contre le jacobinisme, Jean-Marie Le Pen valorise le régionalisme (p. 194), les communautés hiérarchisées.
Paul Carton et Alexis Carrel, deux médecins un peu oubliés
Pour asseoir scientifiquement son propos – qui élude très largement la dimension coopérative de monde vivant – Jean-Marie Le Pen se référait en 1984 (p. 90) à deux… médecins – Paul Carton et Alexis Carrel – qui s’étaient l’un et l’autre caractérisés par leurs positions politiques radicales.
Paul Carton (1875-1947) a été un grand contempteur de la médecine contemporaine, trop analytique à ses yeux. Il a multiplié livres et brochures vantant les mérites d’une vie plus saine loin de la surconsommation, en adéquation avec un ordre naturel créé par Dieu. En 1944, il a eu l’occasion de fustiger sur plus de 200 pages Le Faux Naturisme de Jean-Jacques Rousseau, en revalorisant pour sa part une base chrétienne, loin du paganisme allemand.
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Alexis Carrel (1873-1944), récipiendaire en 1912 du prix Nobel de médecine, a pour sa part défrayé la chronique pour ses propos pugnaces et eugénistes. En 1935, dans un ouvrage fameux, L’homme, cet inconnu publié chez Plon, il s’émouvait des travers de l’homo oeconomicus (p. 3), de l’avachissement contemporain et – scientifiquement – des ravages d’un dualisme cartésien. Convaincu de la supériorité de l’homme sur la femme (p. 104) et des succès de la « race blanche » (p. 128), il se proposera dans l’urgence d’œuvrer pour la perpétuation d’une élite (p. 363). Au besoin par une forme d’eugénisme en faveur d’une « aristocratie biologique héréditaire » (p. 367) voire une euthanasie par gaz pour les plus criminels (p. 388).
Hostile au nucléaire
La brochure d’une vingtaine de pages La vraie opposition : le Front national éditée au milieu des années 1980 est moins catégorique mais tout aussi soucieuse d’écologie. Le parti frontiste s’y montre tout particulièrement inquiet de l’essor tant de l’arme atomique que de l’énergie nucléaire. « Face au terrible danger nucléaire » (p. 16) qui pourrait se traduire par une « vitrification du territoire national », le FN prône alors une politique publique de construction d’abris. Quant au nucléaire civil, le Front National « ne manifeste aucune gêne à dénoncer les graves dangers et incertitudes liés à l’utilisation comme à l’avenir des centrales nucléaires. Opposé au tout nucléaire, il considère que l’accent doit prioritairement être mis sur les énergies nouvelles pour garantir à la France son indépendance énergétique » (p. 29).
Dans un long entretien accordé à Présent du 18 août 1989, Jean-Marie Le Pen évoque en outre le risque provoqué par « le déversement calorique des centrales nucléaires, en particulier, (qui) a pour conséquence de modifier les constitutifs des fleuves et d’aider au réchauffement ». Il y perçoit aussi plus globalement la probabilité de voir se multiplier les réfugiés climatiques, environnementaux. « C’est la pauvreté, la sécheresse, la désertification qui provoquent les grandes migrations. »
En 1990, l’organisation d’un colloque du FN à Nice sur l’écologie puis la parution d’un numéro d’Identité Revue d’études nationales consacré à « Repenser l’écologie » ne font ainsi qu’amplifier une réflexion latente. Dans son éditorial, Jean-Marie Le Pen s’y propose désormais de « dépolluer les têtes ». Jean-Jacques Rousseau y est d’emblée stigmatisé, pour avoir prétendument oublié les obligations morales et sociales. Pour Jean-Marie Le Pen, il faut défendre une véritable « politique de la vie ».
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Dans un discours prononcé le 11 février 2007, le candidat à la présidence Jean-Marie Le Pen réitère longuement sa foi écologiste, en plaidant à nouveau pour le respect de l’ordre naturel tout en fustigeant le productivisme et le matérialisme d’autres courants politiques. Mais la perspective de voir la France devoir se soumettre à des contraintes climatiques internationales le pousse aussi à y adjoindre des réserves proches du climato-scepticisme. Sa crainte du nucléaire s’y est également singulièrement émoussée. Toutefois, d’autres trouvailles technologiques (éoliennes…) pourraient pareillement améliorer l’environnement.
Un localisme technophile…
Avec Marine Le Pen, le FN devenu RN semble perdre sa boussole au gré des ralliements. En 2011, l’écologie enracinée chère à la Nouvelle droite néo-païenne y fait une apparition aussi fracassante qu’éphémère, à l’image de son porte-parole Laurent Ozon, chantre du localisme. Des figures plus nuancées suppléeront à son éviction. Avec le poids croissant de Florian Philippot – venu des rangs du scientisme chevènementiste – les nostalgies ruralistes d’un Jean-Marie Le Pen semblent ensuite passer de mode. Mais c’était compter sans l’apparition d’un essayiste mondain publié dans Le Monde et chez Gallimard, le consultant Hervé Juvin. Féru d’ethnologie et d’écologie enracinée, détracteur d’un capitalisme prédateur, devenu collaborateur de la revue Eléments, c’est cet autre défenseur du « localisme » que Jordan Bardella fera élire député européen en 2019.
Le volet écologique du « projet pour la France de Marine Le Pen » offrira ainsi un mélange déconcertant de considérations philosophiques sur les mérites du « localisme » et les méfaits d’une « croissance » illimitée (p. 17) mâtinées d’un scientisme euphorique (« inventer, innover, transformer ! » (p. 7) qui ne froissera pas son électorat. Hervé Juvin évincé à son tour, le RN changera à nouveau son fusil d’épaule. Ainsi, Jordan Bardella tentera de rassurer le patronat le 18 avril 2024, en se prononçant pour « la croissance, la croissance et la croissance ». Illimitée ?
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