La disparition d’Henri Belolo (1936-2019), producteur des Village People et de The Ritchie Family, marque la fin d’une époque.
Au creux de l’été, la Disco résiste aux assauts des musiques urbaines et fédère étrangement les communautés les plus éloignées. Des campings populaires aux soirées huppées, elle tire toujours la couverture à elle et met un baume sur les différences. Le Rock n’aura pas eu sa peau. Et le Rap n’a réussi qu’à piller ses meilleurs samples. Pour la postérité, on repassera. Perfectos cloutés et survêtements Tacchini bariolés peuvent rester au vestiaire. La boule à facettes et le stroboscope ne reconnaissent que les combinaisons à paillettes.
La Disco est une fille facile
Indifférente et pas rancunière, la Disco subit un délit de sale gueule depuis quarante ans. Elle fut, tour à tour, accusée d’individualisme, de satanisme et même d’impérialisme. La Disco est une fille facile, on l’écoute nous raconter ses bobards dans une boîte fatiguée de province et on succombe immédiatement dès les premières notes à son charme poisseux. On ne la juge pas. On l’aime justement pour cette innocence un brin surjouée, on lui pardonne même sa répétition rythmique. Elle sera toujours pour nous cette cagole rencontrée dans un bar du Sud qu’on feint de mépriser mais avec qui on rêve de finir la nuit. Trop populaire. Trop peinturlurée. Trop voyante. Trop aguicheuse. Trop charnelle.
La Disco réveille les assemblées assommantes, enflamme les mariages ratés et purifie les humeurs maussades. Les DJ l’appellent à la rescousse quand l’ambiance est définitivement plombée. Dernier sursaut d’orgueil avant de fermer la boutique et de remballer ses maxi 45 tours. Avec elle, les battements de la piste sont impénétrables. Les exégètes des nightclubs tentent en vain de percer son mystère. Ils se cassent la tête sur son tempo épuré et sa mécanique entraînante. Sa simplicité agace. Sa flamboyance est suspecte. Son œcuménisme a quelque chose de dégoûtant. La Disco se moque des chapelles musicales. Elle respecte seulement les règles de l’harmonie. C’est un produit hybride, née sur les terres giboyeuses de la Funk, de la Soul, des sons caribéens et africains, portée par les clubs gays américains et popularisée par quelques divas à la voix sirupeuse.
Un Frenchie à l’assaut des USA
Saviez-vous que la Disco chantait aussi La Marseillaise ? Henri Belolo, le producteur des Village People et de The Ritchie Family vient de nous quitter à l’âge de 82 ans. Avec son comparse Jacques Morali (directeur artistique chez Polydor et compositeur du Crazy Horse), ce pionnier d’une musique nouvelle avait repeint en bleu, blanc et rouge les pistes du monde entier. Belolo formé à l’école Barclay, était parti dès le milieu des années 70 à la conquête de l’édition musicale aux USA. Le duo Belolo-Morali aura vendu 100 millions de disques. Nul n’est prophète en son pays. Leurs noms étaient connus des seuls amateurs et spécialistes alors qu’ils ont fait danser la France entière avec Patrick Juvet (I Love America), Eartha Kitt et ils furent également les promoteurs du breakdance. Le smurf, c’était eux aussi ! Leur recette ? « Nous avons apporté une sorte de lyrisme européen avec les glissandos de violon, au service de mélodies fortes et d’une rythmique largement dérivée du funk » avouait-il, dans Disco de Florent Mazzoleni aux éditions Flammarion. Leur clip In the Navy fut tourné en 1979 sur un porte-avion basé à San Diego. Les deux frenchies gagnèrent ainsi leurs galons de producteurs superstars et devinrent à l’occasion « citoyens d’honneur de la marine américaine ». La Disco était la consécration d’un rêve impossible, imposer son propre label au pays de la Motown et du Studio 54.
Esquiver le malheur rien qu’une nuit
Quand vous entendrez durant le mois d’août, à une terrasse ou dans un comice agricole, l’un de ces esprits chagrins et querelleurs remettre en cause cette musique « insipide » des Seventies. Vous lui rappellerez qu’un petit français qui avait vu le jour à Casablanca, avait gravé son nom sur le microsillon de la bannière étoilée. Et que la Disco, c’est une fantaisie salvatrice, une bouffée d’oxygène dans une société fermentée, une manière d’esquiver le malheur, l’espace d’une nuit. Juste quelques heures de répit, c’est déjà beaucoup. Quand les sœurs Sledge chassaient la mélancolie avec leurs tubes sucrés, quand Donna Summer bouche en cœur et frisure huileuse était une promesse d’amour défendu, quand Giorgio Moroder veillait au grain derrière sa moustache, quand Cerrone bûcheronnait avec brio sa batterie ou que le groupe Baccara était la meilleure campagne pour le tourisme espagnol, quand l’air était plus respirable tout simplement.
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