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Quand la gauche n’essaie plus


Quand la gauche n’essaie plus
Assez fainéanter ! Les vieux, au boulot !
Assez fainéanter ! Les vieux, au boulot !
Assez fainéanter ! Les vieux, au boulot !

21 janvier, jour anniversaire de la mort d’un révolutionnaire qui a réussi, Lénine, et d’un réformateur qui a échoué, Louis XVI. En ce frisquet après-midi de 2010, il y a grève de la fonction publique. Sarkozy : aujourd’hui quand il y a une grève, plus personne ne s’en rend compte, quand bien même le phénomène serait encore amplifié par l’assourdissant silence des médias.

Oui, décidément, ils n’étaient pas beaucoup à défiler, les fonctionnaires. Ces sales parasites qui islamo-marxisent les enfants immigrés à l’école, qui font semblant d’être débordés aux urgences des hôpitaux, qui rétablissent le courant illégalement pour les assistés mais mettent des semaines à réparer des lignes à près une tempête de rien du tout, ces facteurs qui ont le temps d’être leaders trotskystes et d’aller distribuer une lettre à affranchissement normal à une grand-mère cévenole, ces inspecteurs du travail que Darcos entend empêcher de faire respecter le code obsolète du même nom, ces policiers qui refusent de confondre la sécurité d’une nation avec une politique d’expulsion massive, bref, ces affreux ronds de cuirs semblent à bout de souffle, démobilisés, se trainant dans des cortèges étiques de refuzniks du tout-libéral. Il suffirait de presque rien pour que la bête meure, pour que cette corporation à qui le salariat français délègue la protestation sociale depuis 1995 soit enfin éliminée en tant que classe, libérant la perspective cavalière sur un monde sans usagers mais avec des clients, c’est-à-dire un monde que l’on ne partage plus mais que l’on consomme et que l’on consume.

Le pire, c’est que le coup de grâce, juste avant cette manif exténuée, est venu de la gauche, en l’occurrence de Martine Aubry qui a annoncé qu’elle ne voyait aucune objection à ce que l’âge légal de la retraite passe à 61 ans, voire à 62. Si elle voulait achever de désespérer Billancourt, elle ne s’y serait pas prise autrement. Signe indubitable qu’elle est par cette déclaration admise dans le club des gens avec qui « on peut parler », le premier ministre[1. Il s’appellerait François Fillon] a aussitôt salué cette évolution du parti socialiste et ce réalisme qui l’honorait.

Comme si c’était nouveau. Le Parti Socialiste est réaliste depuis 1983. Le refus de la sortie du SME et le virage deloro-doloriste furent sont Bad Godesberg.

Depuis, il est délégué par la droite pour réformer quand c’est trop difficile. C’est pratique, tellement pratique, une gauche qui n’essaie plus, une gauche qui gère les injustices, qui privatise (euh pardon qui ouvre le capital), qui dit « L’Etat ne peut pas tout », qui dit « Mon programme n’est pas socialiste » et qui finalement perd les élections. Quelques mesures, souvenirs d’un surmoi progressiste, font encore illusion et forcent l’électeur, quand il n’appartient pas aux couches populaires, à se prendre par la main pour quand même aller voter « à gauche » : la réduction du temps de travail, les emplois jeunes, la CMU.

Oh, on les connaît les arguments de Martine Aubry qui, pour faire passer la pilule, déclare simultanément ou presque qu’elle est pour le vote des immigrés aux élections locales : le recul de l’âge légal de la retraite serait le seul moyen de sauver le système par répartition et il faut savoir composer avec le réel. Mais de quel réel parle-t-on, au juste, et depuis quand la politique a-t-elle renoncé, justement, à le changer le réel, à rompre avec lui, à le transformer, le façonner ?

Le seul réel qui tienne dans la France de 2010, c’est que la part des salaires dans le PIB à chuté de 10 % en vingt ans. À la louche, ce sont 200 milliards d’euros qui sont passés du travail au capital. On pourrait pourtant en faire des choses avec 200 milliards d’euros, non ? On pourrait, je ne sais pas, boucher le trou de la sécu, améliorer le système éducatif sans le privatiser, créer des postes dans les hôpitaux et tiens, pourquoi pas, financer sans trop de problèmes les retraites sans pour autant en reculer l’âge légal.

On apprend, en plus, (mais il faut prêter l’oreille dans le ronronnement des éditorialistes) que finalement, les Français sont au deuxième ou au troisième rang mondial en termes de productivité la plus élevée du monde et que la durée annualisée de travail est la plus importante en Europe.

Il est passé où ce gain de productivité, comme disent les économistes ? A-t-il servi à baisser les horaires hebdomadaires, à transformer l’argent en temps libre ? Depuis les 40 heures de 1936, on est royalement passé à 39 heures en 1981 et à 35 en 1997. Cinq heures de moins en trois quarts de siècle…

Il est assez amusant, tragiquement amusant, de voir opposer ce principe de réalité par le PS lui-même à toute volonté de transformation sociale. François Furet est passé par là, il y repassera sans doute. Heureusement que le Front Populaire n’avait pas eu ces pudeurs de jeune fille quand le comité des Forges hurlait à la mort pour quinze jours de congés payés qui allaient ruiner les entreprises françaises.

Il est assez amusant de voir que le programme de la gauche de la gauche (du PG au NPA en passant par le PCF) est « révolutionnaire » simplement parce qu’il reviendrait à un statu quo ante, c’est à dire au rapport capital/travail qui existait sous Giscard.

Pour le reste, il ne faut pas que cette gauche de la gauche ait pour autant peur de perdre son âme dans des alliances avec un PS tellement rose pâle qu’il donnerait bonne mine à la Dame aux Camélias. Il suffit qu’elle établisse le rapport de force en sa faveur, qu’on ne puisse pas se passer d’elle pour avoir une majorité. Et le meilleur moyen, c’est de se rappeler qu’elle n’est pas là pour gérer le monde et se soumettre au réel mais pour le faire changer de base, comme la contre-révolution libérale a su si bien le faire de son côté depuis trente ou quarante ans.

Février 2010 · N° 20

Article extrait du Magazine Causeur



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