Nous étions des millions à fuir les villes pour nous barricader en province. Nous sommes le même nombre à avoir réintégré nos pénates citadins. Chronique d’humeur et d’humour sur l’exfiltration tardive et la reprise d’une existence désormais prophylactique, et comme on dit chez Mastercard « sans contact ».
Bon ben voilà. Il va bien falloir rentrer.
Tous les clignotants sont au vert, comme disait un Premier ministre surnommé « gros quinquin » du côté de Lille. Enfin toutes les cartes. Même la météo s’est mise au diapason du retour, comme pour chasser les citadins des provinces. Pour virer les migrants des campagnes en sonnant le tocsin à grands coups d’orages et de froidure. Sauf que le clairon n’a pas entonné la charge pour le bureau. Question bataille, on n’est pas à Iéna ou encore moins à Eylau. Et à Paris, Murat n’est plus qu’un boulevard. À Bordeaux, c’est pire, c’est une rue. Et plus du tout le maréchal courageux qui fendit les forces de l’Empire russe en les chargeant à la tête de 80 escadrons… Pour l’éternel retour on est même tous en file indienne. La tête basse comme une armée de fantômes vaincus. C’est dire si on est loin des ports de tête impétueux des chasseurs de la garde en colback à plumet. Ok ok, on a compris. On rentre. N’en jetez plus. Mais je vous préviens ça n’est pas de gaieté de cœur. C’est même avec des pieds de plomb. Et en se pinçant le nez. Il y a deux mois fallait se laver les mains vingt fois par jour en ouvrant les lourdes avec les pieds. Comme des oiseaux de mer « inaptes au vol » vivant dans l’hémisphère austral. Des pingouins quoi.
Bienvenue dans un monde hygiéniste
Aujourd’hui, voilà qu’on doit suivre « les protocoles de déconfinement » pour aller bosser. Respecter les « recommandations en termes de jauge par espace ouvert », gérer les flux, le nombre des présents, se munir d’équipements de protection individuelle. Il y a même des entreprises qui vous prennent la température.
A relire: Première sortie de crise
Oh là là ! Avouez que pour une génération qui a connu la vitesse libre sur autoroute, les courses en DS23 avec papa au volant qui essayait de taper « le con devant avec sa 504 Ti » et l’amour libre des années 70 jusqu’aux années sida, la nouvelle vie d’après Covid manque carrément de piment. Elle serait même un tantinet trop hygiéniste. Parce que la vraie question, le vrai problème, celui que personne n’ose vraiment soulever, vraiment aborder avec franchise… bien avant le chômage, les dépôts de bilan, les émeutes raciales et les genoux à terre des poulets à Minneapolis… l’habitude française que le monde entier nous envie… même avant la gastronomie… Et dont on parle même dans la presse étrangère : quand pourra-t-on se refaire la bise?
Ce débat sur l’identité française qu’on nous refuse
Parce qu’il ne faut pas se voiler la face, sans jeux de mots aucun, c’est ça le vrai débat. Quand pourrons-nous enfin re-ressentir « la Vie est belle » dans le cou de Jacqueline Chombard, la dame du cinquième qui a des jolis yeux ? L’ « Heure bleue » sur les joues d’Odette Fourjus, la blonde pimpante qui dirige le développement d’une main de velour ? Et pour les dames, les fragrances viriles (et évidemment enivrantes) « d’Eau Sauvage » quand elles embrassent leur charmant patron ? La question n’est pas de savoir si on est content d’avoir vaincu le péril. Bien sûr qu’on est tous ravis d’avoir jugulé le Corona. Fait rentrer la saloperie dans son terrier chinois. Mais à part le bonheur de déjeuner en terrasse et celui de sortir sans ausweis, quand est-ce qu’on redevient vraiment 100 % Français ? Et il est où le bonheur sans bisous ? Le plaisir sans l’échange ? Avec juste les yeux, sans la bouche ? Va falloir se pencher respectueusement l’un vers l’autre comme des Japonais ou des judokas en kimono pour se dire bonjour ? C’est ça la nouvelle vie ? Se mettre la main sur le cœur façon « Ave » de Romains pour se saluer ? Comme les sportifs écoutant God Save « the couine » en montant sur le podium ? Mais on est Français que diantre ! On est des latins. On a besoin de contacts, déjà qu’on ne peut plus fumer en voiture ou se garer en ville, faut bien qu’il nous reste quelque chose quand même. Hein? Et notre culture ? Ils y ont pensé tous ces énarques et ces médecins à notre culture ? À la bise unique en Bretagne, la double en Ile-de-France, les trois bisous dans le Massif Central, la Drôme, la Lozère, l’Ardèche, les Hautes-Alpes et l’Ain ; les quatre smacks, dans l’Aube, l’Yonne, la Haute-Marne, et la Vendée ; les cinq même, dans certains villages corses ! On y a pensé au ravage culturel dans l’hexagone dû à la disparition de ces millions de bécots ? Ces tsunamis d’affection en suspens ?
A lire ensuite: Après la manifestation « Adama Traoré », Virginie remonte (difficilement) la pente
Nike fabrique bien des hidjabs de running après tout, Décathlon vend des casques pour trottinette avec clignotants et feu stop intégrés, vous ne pensez pas qu’en trois mois de Covid on aurait pu trouver un moyen d’améliorer les masques autrement qu’en dessinant des bêtises dessus? C’est invariablement la même chose en France, on trouve toujours du monde pour nous emmerder avec des modes à la con, mais lorsqu’il s’agit de protéger nos institutions, il n’y plus personne. C’est virus et bouche cousue.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !