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Quand j’étais giscardien

Le Moi de Basile


Quand j’étais giscardien
« Roll over Raymond Barre ! », Chuck Berry avec Raymond Barre. © Maral Binh/AFP

Un seul jour à retenir ce moi-ci : le 2 décembre, date de la mort de VGE. Toute une époque ! Mes premiers souvenirs de nègre, avant Pasqua. Chez les giscardiens, j’ai côtoyé des poids lourds comme Barre, Ponia, Simone Veil… et même Chuck Berry ; mais ça, peu de gens le savent.


Premiers pas dans la négritude

En 94 ans, je n’ai jamais eu l’honneur de rencontrer personnellement le président Valéry Giscard d’Estaing, et aux dernières nouvelles ça ne risque pas de s’arranger.

Pourtant, sans qu’il le sache, j’ai puissamment contribué aux dernières années de son règne, jusqu’à la chute finale de mai 81.

Tout a commencé à la rentrée 1977, lorsque j’ai été embauché comme nègre à l’« Association pour la démocratie ». Sous ce nom ridicule se cachait plus modestement une officine giscardienne chargée d’alimenter les candidats UDF aux législatives de 1978 en discours types, argumentaires et autres « idées ».

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Outre ce travail quotidien, voire répétitif, voire chiant, mes fonctions m’ont heureusement permis de vivre quelques épisodes autrement plus glimougnants. Je fus ainsi chargé, parfois, figurez-vous, d’écrire personnellement des projets de discours personnalisés pour des vedettes du mouvement. À commencer par Simone Veil, mais bon, qu’est-ce que tu veux que je te raconte ? Je l’ai à peine entrevue, et je ne suis pas romancier. Seule certitude : son discours n’avait aucun rapport avec mon projet, sauf erreur ou omission.

Chuck & Ray alive in Paris!

Mon meilleur souvenir, sans hésiter : Raymond Barre. Pas seulement parce qu’il était Premier ministre, et à ce titre leader naturel de la campagne, mais surtout parce que j’ai bien ri. Rien que le thème du meeting m’avait ravi : « Raymond Barre s’adresse aux jeunes ».

Il m’est échu, sans doute parce que j’avais les cheveux longs, de préparer cette adresse à la jeunesse. Restait le plus difficile : trouver des vrais jeunes disposés à venir écouter Raymond Barre.

Heureusement, les communicants de Matignon avaient tout prévu. Ils s’en doutaient, pour remplir le Palais des sports entre deux « Holiday on Ice », les jeunes giscardiens du Triangle d’or ne suffiraient pas. Dans toutes les grandes villes de France, des cars gratuits furent donc mis à disposition des volontaires, auxquels on promettait en outre deux repas chauds et une visite de la capitale.

Mais surtout les Séguéla de l’autre rive, conscients qu’on n’attrape pas les jeunes avec du Raymond, eurent la bonne idée d’ajouter à l’affiche… Chuck Berry en personne. Résultat : plus de 5 000 réservations ! Un triomphe – légèrement salopé, hélas, par les caprices du Premier ministre, qui exigea de faire son numéro après Chuck « Crazy Legs » Berry.

Basile de Koch Photo: Hannah Assouline
Basile de Koch Photo: Hannah Assouline

La fête à Raymond

Ce qui devait arriver arriva. Dès la fin du concert, la salle se vida aux deux tiers. Ne restaient plus, pour entendre Barre, que des militants à T-shirt, des sympathisants en loden et quelques curieux.

Encore l’orateur trouva-t-il le moyen de se faire huer copieusement en improvisant un panégyrique du service militaire, avec des arguments du genre : « Ça fera de vous des hommes ! »

Face au hourvari, au lieu de changer de sujet, le bonhomme s’entêta jusqu’à conclure sous les lazzis par l’incontournable : « Ça restera le meilleur souvenir de votre vie ! »

Entre-temps, j’étais allé discrètement toucher ma petite prime en liquide. Dans les coulisses m’attendait un bar VIP encore désert où, durant la catastrophe, j’ai pu glisser dans un ample cache-poussière prévu à cet effet un assortiment d’alcools de qualité.

Bref, une soirée réussie pour Chuck et moi.

Ponia, son chien, son œuvre

C’est grâce à mes amis les Associés pour la démocratie que j’ai été recruté par Michel Poniatowski pour un projet de livre intitulé L’avenir n’est écrit nulle part.

En guise d’entretien d’embauche, j’ai droit à un déjeuner en tête-à-tête avec le ministre à son domicile neuilléen.

« J’ai prévu un repas froid pour plus de tranquillité, si vous n’y voyez pas d’inconvénient… » me dit en rosissant le redoutable Ponia, plus intimidé que moi… Quand soudain, en plein apéro, d’étranges bruits parviennent d’une pièce attenante.

« C’est vous, Ulysse ? » interroge mon hôte. Sans réponse, il rosit de plus belle et me prie de bien vouloir l’excuser un instant. J’imagine déjà un Nestor en gilet rayé s’affairant en cuisine – quand j’entends Ponia s’exclamer : « Mais enfin Ulysse, vous savez bien que ce poisson n’est pas pour vous ! »

Quoi ! Le maître d’hôtel mangerait dans les plats ?? Mais non ! Revoilà mon hôte, accompagné d’un gros chien dont j’ai oublié la marque. Le prince voussoie son chien ! Va falloir s’adapter.

À part ça, excellent déjeuner. Le bar entier poché sauce gribiche, ou genre, est succulent, sans arêtes ni poils. Quant au programme, il est copieux. Le ministre, tout juste libéré de ses fonctions, souhaite asseoir sa réputation intellectuelle avec une somme dessinant, à la lumière des sciences, de l’histoire et de la géopolitique, les contours du « monde nouveau » qui s’annonce. Rien de moins.

L’ensemble devrait comporter une trentaine de chapitres, dont trois ou quatre particulièrement délicats qu’il se réserve, me prévient-il. Pas de problème ! 25 chapitres, ça me suffit amplement.

D’emblée, Ponia tient à me rassurer : pour chacun d’entre eux, sa secrétaire me fournira un feuillet de directives renvoyant à cinq ou six livres joints. Bref, toute la documentation nécessaire. À parution, je n’en goûterai que plus l’ironie de ses remerciements « à M. Bruno Tellenne, documentaliste ».

Mais bon, il aurait très bien pu ne pas me citer du tout. Et moi, je suis fier quand même d’avoir participé à l’écriture de l’avenir, même « nulle part ».

La défaite en bâfrant

Après les législatives, dissolution de l’AD. Dans la perspective de la présidentielle de 1981, me voilà muté au Parti républicain, aile giscardienne pur porc de l’UDF.

Peu d’anecdotes heuristiques sur cette période. À vrai dire, le souvenir le plus saillant reste le dernier : le 10 mai. En cette soirée de deuil électoral, comme prévu, les somptueux buffets dressés au QG de campagne giscardien, à l’UDF et même au PR, sont quasiment déserts. Quant aux Jeunes giscardiens présents, la gorge serrée, ils n’ont guère le goût de ripailler. On se réconforte, les filles sanglotent, les garçons pleurent tout bas. Certains songent même tout haut à quitter le pays ; d’autres parlent déjà d’organiser la « résistance ».

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Du coup, les videurs se montrent moins regardants sur les badges. La presse est là ! Il faut faire nombre, et si possible bonne figure. Dans ce contexte, la bande à Jalons est la bienvenue.

À nous donc verrines et chiffonnades, langoustines et Saint-Jacques petits fours et mignardises, le tout arrosé de champagne et de bons crus. Et tout ça, trois fois de suite…

Après quoi, repus et convenablement éméchés, les meilleurs d’entre nous décident de prendre un peu l’air en improvisant, au hasard des rues, une manif aux cris de « On a perdu ! » en brandissant des posters de VGE.

Mini-manif, gros succès en matière d’insultes de tous bords. Un régal de nonsense ! Comme pot de départ de chez les giscardiens, je ne pouvais rêver mieux.

Après, je suis devenu pasquiste.

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Article extrait du Magazine Causeur




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