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Quand Hollande va au Front


Avantage à qui ? Bien malin qui peut le dire aujourd’hui, ce qui en clair signifie : bien crétin qui affirme le savoir. Les impressions que je vais vous livrer ci après sont donc celles de Marc Cohen, et ça vaut pas plus cher. Bien malin, donc, qui peut expertiser à H+12 le fond de l’âme de 18 millions de téléspectateurs, et ce qu’il adviendra dimanche dans l’isoloir de la trace laissée par ce choc frontal. Permettez-moi une certitude cependant : le tsunami obligatoire, celui qui ferait que Nicolas Sarkozy comblerait son retard présumé en trois heures n’a pas eu lieu hier soir.

La faute à qui ? À François Hollande, bien sûr, qui a été d’une rare malice sur les occurrences les plus touchy. Depuis le temps que les débatologues nous cassaient les oreilles avec le théorème à la noix du judoka (faire une force de son infériorité musculaire blabla blabla), on l’a enfin vu à l’œuvre. Sur le nucléaire et le multicul, deux thèmes où Nicolas Sarkozy pensait pouvoir profiter de sa supériorité (celle donnée par l’assentiment majoritaire des Français d’en bas) pour terrasser l’adversaire, Hollande a raflé la mise.

Sur le nucléaire, le harcèlement sarkozyste, au lieu de le mettre mal à l’aise, lui a donné l’occasion de rappeler à tous les Français qu’il ne se sentait aucunement engagé par l’accord calamiteux passé entre Martine Aubry et Cécile Duflot[1. Cécile Duflot qui sera, n’en doutons pas, balayée aux Législatives dans le XIème, par la députée socialiste sortante Danièle Hoffman-Rispal devenue candidate indépendante de gauche] et qu’on allait refiler Fesseinheim comme un susucre aux Verts et pis c’est tout !

Même topo sur les centres de rétention. Le président pensait déstabiliser son challenger avec l’engagement stupide donné il y a dix jours à France Terre d’Asile de faire des centres de rétention « une exception ». Sentant le danger, Hollande s’est immédiatement renié, quitte à faire blêmir quelques lecteurs du Monde Diplo : en ces affaires mieux vaut passer pour un peu distrait que complètement laxiste. Et je ne vous raconte pas ma propre surprise quand j’ai appris, à l’occasion de cette joute verbale, qu’en 2003, Sarkozy avait défendu, contre Hollande, le droit au port du voile islamique dans l’école publique…

En fait le champ de mines de Nicolas Sarkozy aura surtout permis à Hollande de multiplier les messages subliminaux et même des appels du pied assez directs en directions de l’électorat mariniste. C’est lui et lui seul qui dans ce débat a prononcé le mot « halal », pour signifier qu’il l’interdirait dans les cantines publiques, idem pour les horaires de piscine ou la médecine non mixte dans les hopitaux.

Quant au vote des étrangers, j’ai lu ça et là qu’Hollande l’avait courageusement défendu. Tu parles Charles ! Certes, le candidat de la gauche a nié l’évidence en faisant semblant de ne pas voir les dangers communautaristes induits par cette mesure. Mais qu’importe, puisqu’en insistant lourdement sur le fait que le vote des étrangers serait très probablement soumis à référendum, il a tout bêtement expliqué aux Français que même s’ils l’élisaient, ce sont eux et eux seuls qui décideraient. Bref dans l’ordre de ses priorités, Hollande a remisé cette mesure-phare si chère à Mélenchon, Télérama et Terra Nova quelque part entre les calendes grecques et le Père Lachaise : laissez venir à moi les petits enfants bleu marine !

À tout cela, on n’oubliera pas d’ajouter la réaffirmation musclée de l’instauration d’une dose conséquente de proportionnelle. Pour ceux qui n’auraient pas compris le sous-texte, François Hollande a chiffré à 100 le nombre de députés ainsi élus, ce qui en clair garantira au FN (ou plutôt au néoparti qui lui aura succédé) un groupe parlementaire à l’Assemblée.

À cela on pourra me rétorquer que contrairement à Hollande, Sarkozy a formulé un appel direct aux électeurs frontistes, en citant –en toute fin de débat- le nom de Marine Le Pen. Sauf qu’en passant les deux premières heures (interminables !) de la confrontation à tenter de montrer qu’il incarnait mieux que son adversaire la Règle d’Or, la concorde européenne et le modèle allemand, bref en draguant lourdement un fantomatique électorat rigoristo-bayrouiste, Sarkozy a tout fait pour désespérer l’électorat mariniste, auquel il n’aura d’ailleurs pas pris la peine de parler de mariage gay ou d’insécurité.

Une fois acté le refus des trois débats, jamais le président n’aurait dû avaliser un tel déroulé de l’unique face-à-face, et on se demande encore pourquoi, à l’instar de Ségolène en 2007, il n’a pas fait exploser en route le plan bien trop plan-plan servi par David et Lolo. Pour mettre Hollande en difficulté, il fallait sortir des clous. Des clous de ce débat trop bayroucentré et des clous de Bruxelles. Mais Sarkozy ne l’a pas fait. De là à imaginer que lui aussi pense que c’est déjà plié…



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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