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Quand Emmanuel Macron remplaçait Arnaud Montebourg

C’était le 27 août 2014…


Quand Emmanuel Macron remplaçait Arnaud Montebourg
Arnaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron à Bercy, 27 août 2014 © Christophe Ena/AP/SIPA

L’abdication de la gauche patriote remonte à cet épisode un peu oublié


Vous souvenez-vous de cette journée du 27 août 2014 ? À Bercy, en grande pompe médiatique, un Ministre de l’Économie et du Budget en remplaçait un autre. L’un, sincèrement patriote et désireux de protéger les intérêts de la France face au pillage industriel américain, passait le témoin à l’autre, fervent partisan de la « souveraineté européenne » et surtout fervent partisan de sa propre personne et de son ascension politique à venir. Arnaud Montebourg avait échoué dans son entreprise, il accueillait Emmanuel Macron dans une ambiance d’ailleurs apaisée et joviale. Il avait même gratifié son successeur d’un « Bonne chance Manu ! » dont il ferait sûrement l’économie aujourd’hui en pareilles circonstances.

Une culture commune… de gauche !

Il est aussi amusant qu’instructif de se replonger dans les discours de cette passation. Sur la forme, le tutoiement et la décomplexion prévalent sur les « Monsieur le ministre » et tout autre carcan protocolaire : à gauche, comme chacun sait, il faut savoir déjouer le formalisme des institutions. Malgré les dissensus exposés de part et d’autre, on sent entre les deux hommes le partage d’une culture politique commune. Flotte en effet dans la salle ce parfum suranné d’un parti socialiste où cohabitent pacifiquement chevènementistes et rocardiens. « Nous n’avons pas toujours eu les mêmes orientations mais je crois pouvoir dire que nous sommes deux hommes de conviction, qui appartenons à la même famille, et c’est là le plus important » scande l’actuel président de la République.

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Pourtant, malgré les amabilités réciproques, ce 27 août 2014 met au grand jour des désaccords irrémédiables entre les courants politiques portés par les deux hommes. Arnaud Montebourg quitte son poste, il a les coudées franches pour déroger à la ligne gouvernementale et expliquer que la priorité en matière d’économie est de défendre les intérêts nationaux au détriment des prédations financières de tout bord ; Emmanuel Macron n’a pas le franc-parler que nous lui connaissons, il avance encore relativement masqué mais nous avons maintenant le recul nécessaire pour voir que les mots employés ce jour-là dessinent un programme politique : « ne pas produire d’oppositions stériles », « notre incapacité durant les 20 dernières années à mener les bonnes politiques », « restaurer la confiance que les investisseurs étrangers doivent avoir dans notre pays », etc. La loi Macron (modification du travail dominical ou de certaines professions règlementées), les privatisations (aéroport Toulouse-Blagnac), ou le rachat d’une partie d’Alstom par General Electric figurent en filigrane dans ce discours introductif.

Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains…

A posteriori, sachons aussi voir dans cette passation estivale le point de départ de la longue succession de trahisons pratiquées par Emmanuel Macron. Trahison des salariés de la branche énergie d’Alstom, puisque nous savons maintenant qu’il n’a rien fait pour empêcher le plan de licenciements de General Electric, trahison du président de la République en 2016 (« Il m’a trahi avec méthode » confiera Hollande plus tard) lorsqu’il se servit des réseaux que lui ouvrait Bercy pour lancer sa candidature présidentielle, trahison au printemps 2017 de François Bayrou, dont il obtient le ralliement en échange de circonscriptions législatives qu’il ne lui donnera jamais, et l’on pourrait ainsi poursuivre la liste. Pour autant, il est compréhensible qu’Emmanuel Macron ait trahi pour parvenir à ses fins présidentielles, on n’accède pas à la magistrature suprême sans une bonne dose de cynisme politicien : comme Péguy le disait de Kant, « s’il a les mains pures c’est qu’il n’a pas de mains ». Mais ce qui frappe dans son ascension politique, c’est ce mélange de candeur et de bienséance avec lesquelles il a su planter des couteaux dans le dos des uns et des autres. Un gendre idéal, bien sous tous rapports, voilà ce qui apparut aux yeux de la presse et des Français en ce 27 août 2014.

Site Alstom à Belfort Photo : SEBASTIEN BOZON / AFP

Pour le chantre du made in France, la scène n’est en pas moins annonciatrice des années à venir.

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Depuis deux ans, il n’est jamais parvenu à peser suffisamment sur les arbitrages effectués par le Premier ministre et le président de la République, la ligne libérale prévaut quasi systématiquement sur le patriotisme économique que le Nivernais essaye d’insuffler à l’exécutif. Il l’avoue d’ailleurs à demi-mot dans son discours. Les années qui suivront ne feront que confirmer cet échec idéologique, jusqu’à l’abandon de sa campagne électorale il y a quelques jours. Arnaud Montebourg a échoué à réintroduire au sein de la gauche française une quelconque forme de patriotisme, qu’il soit économique ou politique. Il a été victime, depuis 2014, de l’abandon de l’idée de nation par les gauches : « par le haut » pour la gauche d’Emmanuel Macron via l’obsession de l’Europe, « par le bas » pour Jean-Luc Mélenchon via l’apologie de la « créolisation » et du multiculturalisme. Arnaud Montebourg a pensé qu’il était possible de passer outre ce mouvement de fond en professant un patriotisme suranné. En 2021, il s’est lancé dans la campagne présidentielle en endossant le costume de bon père de famille protecteur du capitalisme industriel français. Dans sa surenchère au patriotisme, il a même tenté d’ajouter une autre corde à son arc, celle de la lutte contre une immigration de masse aux conséquences délétères, proposant en novembre 2021 de bloquer les transferts d’argent vers les pays empêchant le retour de leurs ressortissants. Cette posture ferme a provoqué un bide électoral complet car elle sonnait comme insincère, l’intéressé ayant auparavant fait preuve d’un angélisme désarmant à ce propos, et d’autre part car, nous y revenons, la nation n’est plus la bienvenue à gauche. Piteusement, il s’excusa et tenta de rétropédaler, suscitant l’opprobre des belles âmes et les moqueries de la droite.

Son abandon électoral il y a quelques jours vient clore cette pénible débâcle et acte l’incompatibilité de son projet politique avec ce que sont devenues les gauches, ce que reconnaît lui-même l’intéressé dans la vidéo officialisant son retrait : « J’en ai tiré la conclusion que mes idées étaient certainement devenues étrangères à ma propre famille politique ». Une phrase qui, finalement, aurait eu toute sa place quelques sept ans plus tôt dans son discours de Bercy, en guise de chant du cygne de la gauche patriote.

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