Affaire Benjamin Griveaux. À lire tous nos brillants éditorialistes, la vie politique française serait gagnée par les mœurs pudibondes de l’Amérique. Ils ont vu jouer cela où ? Rassurons-nous, on reste en France, et ce n’est objectivement pas ce qui s’est passé.
À la suite de la surprenante affaire Griveaux, plusieurs éditorialistes ont jugé bon de s’alarmer, croyant y voir les prémices dans notre beau pays d’un puritanisme à l’américaine. C’est ainsi que, sur le site de Marianne, Jack Dion évoque « un tsunami de boue » tandis que Louis Hausalter dénonce dans cette affaire l’un de ces « scandales sexuels réservés à la politique américaine ». De son côté, dans Le Figaro, Maxime Tandonnet s’alarme des effets du « scandale autour de Benjamin Griveaux », décrit « un lynchage-éclair impitoyable, foudroyant, implacable » et affirme que « en France, le puritanisme américain a désormais pris possession des esprits », tout en demandant : « Que reste-t-il de la traditionnelle indulgence nationale envers les frasques personnelles des responsables et dirigeants politiques ? »
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Dimanche, Denis Olivennes, pour Le Point, s’interroge : « Cela le concerne, lui et ceux qui l’entourent. De même pour l’adultère. Qu’avons-nous à voir avec cela ? De quel droit jugeons-nous ce qui se passe entre adultes consentants ? Quel crime a-t-il commis ? Et quel rapport avec sa qualité d’homme politique ? »
Les citoyens français ne jugent pas moralement Griveaux
Or, n’en déplaise à ces respectables chroniqueurs, je n’ai vu se produire, au cours de cette affaire, ni « lynchage », ni « scandale », ni jugement. À ma connaissance, personne ne s’est permis de juger ce qui s’est passé entre M. Griveaux et la destinatrice du message Alexandra de Taddeo ; personne ne s’est scandalisé de son éventuel adultère. Que ce soit dans la classe politique ou dans l’opinion publique, je crois avoir entendu essentiellement – sinon uniquement – des mots de désapprobation ou d’indignation pour le procédé employé, et de solidarité avec M. Griveaux : M. Ferrand a parlé « d’ignominie », M. Castaner a promis « des poursuites », M. Philippe a manifesté au candidat « sa sympathie et son soutien » tandis que partis de droite comme de gauche, de LFI à LR en passant par le PS ou EELV, ont clairement dénoncé cette violation de la vie privée. Et puis, bien sûr, il y a eu, au long des réseaux sociaux, des gauloiseries diverses. Mais, à l’exception notable d’un article outré de Michèle Cotta dans Le Point (elle voit dans l’acte de M. Griveaux « une insulte collective » qui lui inspire « dégoût » et « écœurement », rien que ça…), je n’ai entendu personne condamner moralement ou éthiquement M. Griveaux. On ne lui a reproché ni de s’être livré à une fantaisie sexuelle, ni de l’avoir fait avec une autre que son épouse. Au contraire, la traditionnelle indulgence nationale m’a paru s’exercer dans toute son ampleur !
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C’est en cela que nous sommes, me semble-t-il, à mille lieues de ce fameux puritanisme à l’américaine. Lorsque par exemple Bill Clinton s’est trouvé empêtré dans l’affaire Lewinsky, c’est bien son comportement – infidélité conjugale et jeux sexuels divers – que l’opinion publique américaine lui a reproché. C’est bien de ce comportement dont il a dû faire amende honorable, au point qu’il lui a fallu pour s’en sortir une absolution publique de son épouse. Lorsqu’Anthony Weiner, député de l’état de New York, fut pris en 2011 dans une affaire comparable à celle qui embarrasse aujourd’hui l’ex-candidat LREM, il finit par démissionner mais dut en outre promettre de « se faire soigner » pour sa prétendue dépendance au sexe. Plus récemment, Katie Hill, députée de Californie, a dû quitter son poste sous la pression de l’opinion, simplement parce qu’elle avait eu avant l’élection une relation avec un membre de son équipe de campagne. Or, rien de tel pour M. Griveaux. Les Français n’ont pas exprimé de réprobation pudibonde à l’idée de ses agissements – ni encore moins exigé qu’il se soigne.
Nous ne sommes pas totalement américanisés
En revanche, ce que les Parisiens ont pu lui reprocher, ce qui lui a effectivement porté préjudice, c’est l’incroyable légèreté du candidat et ex porte parole du gouvernement dont témoignait cette affaire. En gros, la réaction du public a été : « Mais comment ce type, à l’heure d’Internet, a-t-il pu être assez c… pour se laisser prendre comme ça ? » De là, un corollaire a rapidement été tiré : « Il n’est peut-être pas très prudent de lui confier les clés de Paris ». Procès en naïveté, pas en immoralité.
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Si M. Griveaux a décidé de renoncer, ce n’est pas sous le poids d’une opinion publique réprobatrice, mais d’abord par crainte de la multiplication des coups bas dans une campagne désormais sans règles (ce qui pouvait à terme nuire à sa vie personnelle et familiale), et ensuite par souci d’éviter une certaine forme de ridicule. Il est vrai aussi, dans une moindre mesure, que cette histoire collait mal avec le positionnement « bon chic bon genre » qu’il avait choisi d’adopter. Mais s’il avait crânement assumé la situation, s’il avait su mettre les rieurs de son côté, l’opinion publique l’aurait très majoritairement suivi. Parce que, justement, les Français ne sont pas puritains.
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