Puisseguin: l’obscénité à deux vitesses


Puisseguin: l’obscénité à deux vitesses

Puisseguin récupération

On peut, avec raison, s’indigner des réactions de Gérard Filoche ou de Noël Mamère après le drame de Puisseguin, alors que le car et le camion impliqués dans l’accident étaient encore fumants. L’horreur de la chose devrait plutôt tétaniser quand bien même on estimerait que la politique gouvernementale ne nous plaît pas et en est responsable, ce qui pour le coup n’est pas évident. Au sens étymologique du terme, ces réactions sont de fait, obscènes. On pourra trouver néanmoins des circonstances atténuantes : la passion politique, l’engagement sincère font commettre des bêtises, surtout quand un simple tweet ou un simple statut Facebook amplifient à l’usage des milliers de lecteurs ce qui aurait dû rester du domaine d’une discussion dans un coin de couloir.

Espérons que Filoche et Mamère – qui mènent et ont mené par ailleurs des combats tout à fait respectables, préférant souvent la dissidence au sein de leur propre parti au suivisme bêlant –, aient retenu la leçon et pensent désormais à tourner sept fois leurs doigts sur le clavier avant de se jeter sur leur smartphone.

Mais il ne faudrait tout de même pas exagérer. L’obscénité, pour ma part, je l’ai surtout vue dans le traitement médiatique de cet accident. Aucune chaîne de télé, même parmi celles du service public, n’a refusé de franchir la frontière qui sépare l’information du voyeurisme. Ce n’est pas nouveau : l’horreur des faits divers fait vendre des écrans publicitaires mieux qu’un reportage sur le Traité transatlantique, la situation au Proche-Orient ou le coup d’état silencieux qui a lieu en ce moment au Portugal. Un scandale dénoncé justement par Jacques Sapir : une gauche majoritaire en voix et en sièges est écartée du pouvoir et l’on nomme de nouveau un Premier ministre sortant battu, au nom des intérêts supérieurs de Bruxelles.

Si pathos il y a eu, et de la pire espèce pour reprendre un mot employé par Manuel Moreau, on l’a trouvé dans ces reportages montrant complaisamment des villages abasourdis, dévastés,  dans la façon dont on s’est efforcé de trouver des vieux miraculeusement rescapés parce qu’ils n’étaient pas partis ce matin-là et de s’arranger, ce qui n’est somme toute pas difficile, pour les faire pleurer, histoire de nous montrer à quel point leur souffrance est grande. Mention spéciale pour les chaines d’informations continues, qui les ont répétés jusqu’à la nausée, occupant l’antenne exclusivement avec cet événement, dans ce débit si particulier des journalistes sur le lieu des catastrophes, entre épouvante et extase.

On a parlé, à propos de Mamère et Filoche, de « récupération ». Faut-il rappeler, en matière de faits divers, qu’ils n’en ont pas le monopole. J’ai eu l’impression ces dernières années que la droite française, ou une partie non négligeable des siens, s’emparait elle aussi de ce qui pouvait, même de très loin, aller dans son sens. Le moindre détenu en permission qui fait une connerie, et voilà que l’on demande la tête de Christine Taubira sur une pique, la moindre agression dans le 9-3 ou à Marseille, et voilà que l’on nous explique à demi-mots que la  consonance arabe du nom des agresseurs, prouve à quel point l’immigration est une catastrophe et ses enfants définitivement inassimilables.

Alors soyons honnête : ou l’on estime que le fait divers n’est pas politique et à ce moment-là, on en rend compte et on se tait ; ou l’on estime qu’il est politique, et dans ce cas, on produit sur lui un discours qui peut être l’objet d’un débat mais on ne se jette pas mutuellement à la figure l’accusation, absurde, de « récupération ». Ou alors Albert Vidalies, Secrétaire d’Etat aux transports, nous expliquant l’excellence du réseau secondaire français ou même François Hollande rendant hommage aux victimes, c’est aussi de la récupération.

Non, un fait divers n’est jamais innocent, y compris une catastrophe naturelle. Un tremblement de terre de même intensité va faire des milliers de morts dans les pays du sud, et quelques dizaines dans les pays développés. Parce que dans un cas des pays sont assez riches pour avoir des constructions antisismiques, des services d’urgence dignes de ce nom, et dans l’autre non.

Plus généralement, cette frénésie médiatique qui demande, quelle que que soit la complexité d’une situation, de la résumer avec des images souvent atroces dont on prévient hypocritement « qu’elles seront dures à supporter », voilà la véritable obscénité. Je n’ai pas besoin, pour ma part, de voir un cadavre d’enfant, une décapitation ou une personne âgée effondrée pour savoir le cauchemar que cela représente. Ou alors c’est que je suis devenu, très banalement, un voyeur.

*Photo : SIPA.00728286_000010



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